La Chronique Agora

Le Baltic pris par les glaces

▪ Aucune statistique importante n’était attendue, ni en Europe ni outre-Atlantique ce mardi. Les marchés ont semblé manquer d’inspiration, leurs fluctuations intraday demeurant cantonnées dans d’étroites limites : environ 1% d’écart au maximum entre les extrêmes du jour.

Voilà qui ne manquera pas de conforter le sentiment haussier (les places européennes ont grappillé +5% en moyenne). L’indice VIX — ou indice de la peur — continue en effet de refluer vers des seuils techniques indiquant un niveau de confiance optimal de la part des investisseurs.

▪ Mais il existe un autre indice — lui aussi fermement orienté à la baisse — dont nous vous entretenons régulièrement et qui suscite depuis quelques jours encore un peu plus de perplexité.

La Chine officialise la prévision d’une croissance voisine de 8,5% pour 2009 ; de leur côté, les économistes et stratèges des grandes institutions financières de Wall Street parient sur une reprise en "V" depuis la mi-juillet. Pourtant, nous constatons que le Baltic Dry Index — qui permet de mesurer en direct les quantités réelles de marchandises et de produits de base transportés par bateau (engrais, ciment, minerais…) — s’inscrit en repli régulier depuis la mi-juin.

Le Baltic a fait mine de se stabiliser début septembre. Nous en avons déduit que les indices boursiers avaient anticipé son redressement tardif mais imminent — lequel pourrait justifier A posteriori l’envolée de Wall Street et des indices de l’Eurozone cet été.

Comme le souligne l’article de Bill Bonner, il fallait bien que les 13 000 milliards de dollars injectés dans les économies occidentales (dont 1 700 milliards rien que pour les Etats-Unis, en soutien direct à la consommation) se matérialisent d’une manière ou d’une autre dans le volume du commerce mondial. Les affréteurs pouvaient se préparer à remplir leur planning pour le dernier trimestre 2009 ; les mécaniciens des principaux chantiers navals d’Asie du Sud-Est avaient intérêt à réviser au plus vite les moteurs et le gouvernail des rois des océans… car les principales routes maritimes allaient de nouveau être très encombrées.

Mais nous avons beau tapoter notre écran comme un vieux baromètre à aiguilles métalliques, la courbe du Baltic s’infléchit de nouveau vers le bas depuis la mi-septembre. Elle enfonce nettement ses planchers estivaux.

Bigre ! L’informatique et la technologie auraient-elles accompli de tels progrès durant la crise que le ciment, le minerai de fer, la bauxite, le charbon peuvent désormais être téléportés du lieu d’extraction au lieu de transformation ? Voyagent-ils d’un continent à l’autre sans l’émission du moindre atome de CO2, ce qui signifie que la pollution serait bientôt vaincue ?

▪ Tiens, à propos du charbon… Nous avons également découvert que les quantités transportées sur le sol américain avaient continué de chuter de 5% cet été (rythme séquentiel au mois d’août).

Heureux Etats-Unis qui voient leur production industrielle se redresser spectaculairement — si l’on en croit le dernier indice régional de la Fed de Philadelphie — tout en consommant moins de courant et moins de matériaux bruts.

Une explication pourrait être que les stocks étaient localement importants, ce qui dispenserait les usines américaines de se réapprovisionner. Soit, mais cela ne saurait justifier que des centaines de navires minéraliers restent à quai en Australie, en Russie, au Pérou, à Madagascar ou au Canada. En effet, la Chine — soucieuse d’accumuler des actifs tangibles plutôt que des dollars — demeurerait un gros importateur selon une opinion largement répandue.

Se pourrait-il que la Chine soit confrontée simultanément à un problème de stockage mais aussi et surtout à un phénomène de surcapacité de production ? La hausse de la demande intérieure ne saurait compenser intégralement une chute de 23% de ses exportations.

Sait-on exactement ce que le PIB chinois mesure ? Avons-nous la possibilité de contrôler la véracité des données économiques transmises par Pékin ? Quel pourcentage d’activité le plan de relance de 400 milliards d’euros a-t-il rajouté à la croissance ces derniers mois ?

Aux Etats-Unis, les experts s’accordent à considérer que les 787 milliards de dollars du plan de relance (dont la moitié a déjà été dépensée) ont augmenté le PIB américain de trois bons points. Il n’est pas  absurde d’estimer que l’impact serait du même ordre dans l’Empire du Milieu, ce qui ramènerait la croissance hors éléments exceptionnels à 5% environ.

En retenant cette dernière hypothèse, la Chine demeure, avec le Brésil, un des pays qui se porte le mieux au monde. Est-ce suffisant pour jouer le rôle de locomotive planétaire ?

▪ En ce qui concerne les Etats-Unis, l’écart de perception de la reprise n’a jamais été aussi abyssal entre Wall Street et  le monde réel. D’après le dernier sondage publié par CNN/Opinion Research à la veille de la séance des "Quatre sorcières", une écrasante majorité d’Américains — 86% — considèrent que leur pays est toujours en récession.

Seuls 13% des sondés partagent l’avis du président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke. Ce dernier a estimé mardi que la récession américaine, commencée en décembre 2007, était désormais "très probablement terminée". 1% n’ont pas d’avis tranché.

Toujours d’après les conclusions du même sondage, seuls 9% des Américains estiment que leur situation financière s’est améliorée cette année. Ils sont en revanche 39% à considérer qu’elle s’est dégradée ; environ la moitié (52%) affirme qu’elle n’a pas changé.

Même l’envol de 60% des indices boursiers ne parvient pas à réchauffer l’ambiance… Combien d’épargnants possèdent-ils un portefeuille d’actions, après tout ? Et parmi ces privilégiés, combien ont-ils vraiment gagné de l’argent sur les cinq ou 10 dernières années écoulées ?

L’effet de richesse induit par Wall Street tarde à produire ses effets. Normal, puisque dans le même temps, le rebond des prix immobiliers (ceux compilés par Freddie Mac et Fannie Mae, qui ne mesurent que les variations de valeur hypothécaire) a été revu à la baisse. Il est désormais estimé à +0,5% au mois de juin contre +1% initialement. La hausse du mois de juillet s’élèverait quant à elle à 0,3% : ceci traduit tout au plus une stabilisation de la valeur des maisons, certainement pas une reprise en "V" !

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