La Chronique Agora

Le bal des faux-semblants…

** Pékin tente de nous faire croire à la légitime fureur de la population chinoise, outrée par la poignée de main du 6 décembre entre Nicolas Sarkozy et le rebelle séparatiste honni entre tous, c’est-à-dire le Dalaï Lama.

Dans les médias officiels — il n’en existe pas d’autres ! –, le chef spirituel des bouddhistes, prix Nobel de la paix, est présenté aux 1,5 milliard de Chinois comme l’égal d’un Ben Laden ou d’un chef terroriste de l’ex-IRA irlandaise. Voilà qui est difficile à avaler, même pour la population la plus naïve ou la plus endoctrinée… et les appels au boycott des produits français suscitent sur place beaucoup d’indifférence.

Mais il y a toujours un petit pourcentage de journalistes zélés qui sont prêts à battre la mesure dès que le gouvernement chinois entonne l’hymne du nationalisme outragé. L’annulation par Pékin de la rencontre entre Hu Jintao et Nicolas Sarkozy est d’évidence à usage interne. Cette initiative est une tentative assez pitoyable de détournement de l’attention des Chinois de leurs préoccupations du moment : le chômage de masse (des dizaines de millions de salariés pauvres doivent maintenant regagner leurs lointaines provinces) et la corruption.

Nous ne faisons pas référence à la corruption que pratiquent les Occidentaux dans certains pays émergents mais bel et bien à celle que les Chinois investis d’un mandat représentatif exercent aux dépens d’autre Chinois. Un fléau qui, depuis des décennies, sert de thème central lors de la plupart des débats électoraux à l’échelon local.

Mais si Pékin fait état de quelques difficultés rencontrées dans certaines villes (manifestations de salariés non payés, émeutes, incendies d’usines…), le gouvernement central dispose de moyens financiers considérables afin d’apaiser les tensions sociales. Il ne risque pas non plus de voir son action contrariée par un fardeau tel que les 2 778 directives de Bruxelles concernant les règles de la concurrence ou le respect de critères de déficit déterminés de façon arbitraire une dizaine d’années auparavant.

Pékin ne redoute pas les rivalités stériles entre différentes provinces de culture économique différente, les plus riches et les mieux gérées refusant de payer pour les plus laxistes et les plus déshéritées.

Les décisions du pouvoir central en matière de relance et de taux d’intérêt ne sauraient être contestées… si ce n’est par ceux-là même qui tirent les manettes.

** La Chine commence en effet à se demander si elle n’a pas fait fausse route en misant sans retenue sur une industrie tournée vers l’exportation de biens de consommation, alors que ses principaux clients, Américains et Européens, se retrouvent contraints de se serrer la ceinture probablement pour plusieurs années. La demande interne ne suit pas car les deux tiers de la population — soit un milliard d’habitants –ne sont pas solvables, même à l’aune des standards sociaux les plus faibles de l’Europe de l’Est ou du Mexique.

La croissance chinoise n’a pas été suffisamment durable pour qu’une classe moyenne ait le temps d’émerger dans l’ensemble du pays. En Europe, par exemple, il a fallu un siècle et demi pour que la révolution industrielle génère une élévation générale du niveau de vie, un recul de la mortalité et un resserrement de l’échelle des salaires. Mais il est vrai qu’en Occident, depuis 20 ans de libéralisme et de croissance à crédit, le balancier est fortement reparti vers la zone des grandes inégalités sociales.

** Si la Chine n’a pas renoncé à recourir aux moyens de la propagande des années Mao pour manipuler l’opinion, de gros institutionnels très influents à Wall Street n’ont pas renoncé à manipuler à grande échelle les marchés américains.

A une semaine de distance, l’effondrement des cours du lundi 1er décembre — avec une chute de 6% en Europe et de 9% sur le S&P 500 –, qui ne reposait sur aucune actualité décisive, s’éclaire soudain hier avec une envolée de 8,5% des places européennes (dont Paris et Francfort), dans le sillage de Wall Street. La Bourse américaine a en effet bondi vendredi soir — mais tardivement — de 4% sur le fait accompli d’un chômage au plus haut depuis 34 ans aux Etats-Unis. Les chiffres du chômage avaient motivé — par un admirable sens de l’anticipation — un retrait quasi intégral de nombreux acheteurs durant cinq séances.

Les initiés plaideront des rachats à bon compte à la veille de la présentation du plan de relance par Barack Obama. Le futur président le veut "à la hauteur de la tâche" dès son arrivée à la Maison Blanche le 20 janvier prochain.

Le plan de relance visera à créer ou sauvegarder 2,5 millions d’emplois via cinq axes d’intervention majeurs : réparation de routes et de ponts, modernisation d’établissements scolaires, développement de l’internet à haut débit, modernisation du système de santé et politique de grands travaux publics.

Le montant de l’investissement dans "l’économie réelle" serait compris entre 500 et 700 milliards de dollars… une somme équivalente à ce que les ménages américains devraient économiser au cours des six prochains mois si les cours du pétrole se stabilisent entre 40 $ et 60 $. Le gallon d’essence est quant à lui retombé dans la fourchette 1,50/1,60 $ dans la plupart des états du centre des Etats-Unis.

Ceci devrait finir par avoir un impact favorable sur la consommation des ménages américains et sur la croissance. En Europe, cependant, la baisse des carburants n’aura — comme d’habitude — qu’un impact marginal.

Le pétrole se reprenait (+8%) après le lourd repli de la semaine dernière et se traitait autour de 44 $ lundi soir… mais il se traite toujours plus de 100 $ en-deçà de ses records de l’été dernier.

** Le timing semble donc idéal pour tenter de sauver l’industrie automobile américaine. Ainsi, un accord de principe a été trouvé au Congrès en vue de venir à la rescousse du secteur en mettant à disposition de l’industrie une enveloppe de 15 milliards de dollars. Elle semble carrément dérisoire en regard des 150 milliards de dollars injectés dans AIG ; dérisoire aussi en regard du budget militaire consacré chaque mois à la présence américaine en Irak et en Afghanistan — soit une trentaine de milliards de dollars.

Heureusement que ni George Bush ni Barack Obama ne songent à demander aux Américains d’arbitrer entre ces divers centres de coûts ! Il n’est pas certain que la "guerre contre le terrorisme" y survivrait… et cela s’avèrerait tout aussi coûteux en terme d’emplois. Bien que ce ne soit pas tout à fait les mêmes, la reconversion des soldats, des mercenaires ou des spécialistes de la guerre électronique pourrait s’avérer tout aussi compliquée que celle des salariés travaillant sur les chaînes automobiles.

Il paraît tellement plus simple de faire tourner la planche à billets… car en voilà bien une qui n’a plus connu une seule période de chômage technique depuis 2001. La Fed sait bien, pour l’avoir maintenu dans une forme optimale durant sept ans, qu’elle ne rechignera pas devant un petit effort de 1 500 ou 2 000 milliards de dollars supplémentaires. Ouf ! Voici Wall Street rassuré.

Philippe Béchade,
Paris

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