La Chronique Agora

L’annulation du dîner France-Allemagne plombe l’euro

▪ Nous savons, vous savez, les marchés savent qu’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ne sont à peu près d’accord sur rien lorsqu’il s’agit d’adopter des mesures concrètes pour juguler la crise de confiance qui précipite maintenant l’euro sous les 1,20 $ et les 110 yens.

Ils étaient tout de même parvenus à préserver les apparences fin mai en tenant un discours unitaire sur la nécessité d’améliorer la gouvernance de l’euro et d’adopter des politiques budgétaires cohérentes, quitte à en passer par l’arbitrage de Bruxelles. Cela n’a pas convaincu grand monde mais constituait potentiellement un pas dans la bonne direction.

Nous avons été surpris de voir l’euro dévisser vendredi dernier sous les 1,20 $ puis les 1,19 $. Les mauvaises nouvelles du jour provenaient pourtant essentiellement des Etats-Unis, avec la publication de statistiques de l’emploi proprement consternantes.

Les cambistes ont justifié ce mouvement paradoxal par des informations alarmistes concernant la situation budgétaire hongroise, véhiculées par les plus hautes autorités économiques du pays. Ils n’ont pas insisté sur le fait que la mise sous tutelle du FMI (pour cause de quasi-faillite de la Hongrie) remonte à deux ans et que la devise locale a pour nom le forint et non l’euro.

▪ Nous avions supposé que d’autres raisons pouvaient expliquer la débâcle de la monnaie unique, sans pouvoir identifier formellement l’origine du problème. Et voilà que nous apprenons que le dîner de travail réunissant Angela Merkel et Nicolas Sarkozy qui devait se dérouler lundi soir à Berlin — et qui servait de préliminaire au sommet européen de Bruxelles du 17 juin — vient d’être reporté au 14 juin à l’initiative des Allemands.

Comme le précise une dépêche de l’AFP, « l’annulation in extremis d’une rencontre bilatérale de ce type est extrêmement rare »… Nous ne saurions mieux dire : le communiqué est tombé 90 minutes avant le début des festivités. Les marchés en ont immédiatement tiré la conclusion qu’une météo orageuse dans le nord-est de l’Allemagne est certainement à l’origine de cette sage décision.

Le dîner, avec l’arrivée des beaux jours, avait certainement été programmé pour se dérouler dans les jardins de la Chancellerie. Angela Merkel, en bonne hôtesse soucieuse de ne pas décevoir ses invités français, a cru plus prudent de différer l’événement d’une semaine afin que la fête ne soit pas gâchée par une averse de grêle ou des vents tourbillonnants.

Les marchés ne peuvent décidément pas s’empêcher d’imaginer le pire et de supposer que les relations franco-allemandes sont au plus mal, que l’Allemagne ne cédera plus rien sur la question des déficits au nom du plan de rigueur qu’elle s’inflige (les Allemands l’ont découvert hier soir). Des rumeurs de divorce franco-allemand ont peut-être circulé dans les salles de marché dès vendredi dernier… mais il y avait déjà tellement de rumeurs !

Un récent sondage réalisé auprès d’opérateurs anglo-saxons révèle que 50% des personnes interrogées estiment que l’euro, sous sa forme actuelle, aura disparu avant 2015. Ils sont un bon tiers à anticiper l’éviction d’un ou plusieurs pays du sud de l’Europe… Quant à nous, nous faisons partie des 25% (si notre avis avait été sollicité) qui pensent que c’est l’Allemagne qui pourrait décider de faire cavalier seul tandis qu’une zone « euroflexible » verrait le jour.

Elle regrouperait les pays ayant participé à la création du fonds monétaire européen entériné ce lundi et destiné à venir en aide à ceux de ses membres qui subiraient le feu de la spéculation. Exactement comme le dollar protège la Californie, l’Illinois, l’Ohio, le Nevada… et tous les autres Etats de l’Union — la liste serait trop longue — qui font face à des situations de banqueroute autrement plus sévère que la Grèce ou l’Irlande.

L’Allemagne rechigne déjà à sortir quelques malheureux milliards d’euros pour soutenir la Grèce. Vous n’imaginez pas qu’elle cotisera pour de bon à hauteur de centaines de milliards pour sauver la mise de partenaires majoritairement hostiles à une discipline budgétaire de fer. Ce d’autant qu’elle est à peu près certaine de devoir verser ces sommes à brève échéance alors que les récentes mesures d’austérité conduisent les pays en difficulté droit dans le mur de la récession et de l’agitation sociale (voire pire selon Nouriel Roubini).

▪ Pour ceux qui auraient oublié que le tableau est encore plus sombre au Royaume-Uni, David Cameron, le Premier ministre britannique, vient de rappeler que les difficultés budgétaires qu’il doit affronter sont en réalité bien supérieures à ce qu’il avait anticipé.

Il estime à 85 milliards d’euros le coût du seul service de la dette britannique d’ici 2015 (date qui coïncidera avec la fin de son mandat. C’est la faute au précédent gouvernement, naturellement… car il ne s’agit pas de stigmatiser les erreurs et les sinistres financiers commis par la City.

Quelques observateurs cyniques remarquent qu’il a tort de se montrer trop préoccupé par ce qui se passera d’ici cinq ans : la coalition qu’il vient de former avec les libéraux démocrates ne devrait pas tenir plus de cinq mois !

Danny Alexander, le patron du Trésor, et George Osborne, le ministre des Finances, auront beau se démener pour tenter de couper dans les dépenses et lever de nouvelles taxes, ils s’attaquent à une mission impossible. C’est une évidence dont les spéculateurs ne devraient pas tarder à se préoccuper maintenant que l’euro est revenu tester hier matin en Asie son niveau historique du 4 janvier 1999 (date de sa première cotation officielle).

▪ Les 1,1870 $ avaient été brièvement testés à la mi-séance (1,1870 $) avant que la clôture n’intervienne dans la zone des 1,1780 $. C’est donc un retour de 11 ans et six mois en arrière qui ne manquera pas d’alerter les cambistes, la chute de 2% de l’euro en 48 heures pouvant s’apparenter à une capitulation finale.

Au fait, vous rappelez-vous de la valeur du CAC 40 au 31 décembre 2008, alors que le franc devait tirer sa révérence — tout du moins dans les échanges interbancaires — le lendemain ?

L’indice avait terminé l’année 2008 à 3 942 points ; il s’était inscrit à 4 147 points (+5,2%) au soir du 1er janvier (premier jour de cotation officielle).

Le CAC 40 valait 3 850 points le 4 décembre dernier — alors que l’euro entamait sa chute libre après une série de tests de 1,51 $ entamée le 25 novembre 2009. Jusqu’à vendredi midi, il subsistait un fort espoir d’assister au débordement des 3 600 points en direction des 3 750 ou 3 800 points à la faveur de bons chiffres de l’emploi aux Etats-Unis. Cependant, les créations de postes dans le secteur privé semblent s’être évaporées au même rythme que les gains de Wall Street entre le 1er et le 31 mai dernier.

Aujourd’hui, le CAC 40 doit démontrer sa capacité à préserver les 3 400 points.

▪ Le scénario positif (n°1) s’inspire d’un indice CAC 40 qui dessine l’ébauche d’une « tête/épaules » inversée (3 400/3 300/3 400). Elle pourrait se confirmer sur le débordement des 3 600 points, avec un objectif de 3 780 points — la moyenne mobile à 100 jours gravite dans cette zone.

En cas d’enfoncement des 3 390 points (scénario n°2), le prochain objectif pourrait bien se situer vers 3 250 puis 2 960 points — c’est-à-dire le plancher du 13 juillet 2009 par la règle du balancier.

Nous misons toujours sur le scénario n°1. Toutefois, nous devons reconnaître que depuis le 25 mai dernier, le marché est difficile à travailler. Notre crainte de voir s’inverser durablement le ratio de quatre hausses pour une baisse (du 10 février au 21 avril) n’a jamais été aussi grande — les 4% perdus par Wall Street vendredi dernier n’y sont pas étrangers.

Du point de vue technique, c’était l’hypothèse de loin la moins prévisible… et rien ne vaut la peur que l’impensable survienne (aussi impensable que l’annulation à l’heure H moins 90 minutes du dîner de Berlin ?) pour alimenter un marché baissier !

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