La Chronique Agora

L'Amérique aussi aura ses emprunts russes…

** Trois semaines après l’installation de Barack Obama à la Maison Blanche, il devient clair pour Wall Street que la nouvelle administration américaine ne bénéficie d’aucun état de grâce et que sa détermination à combattre la crise suscite de plus en plus de scepticisme. C’en est même à croire que plus Timothy Geithner affiche sa volonté de bien faire, plus les marchés se montrent exigeants sur le pourquoi du comment… ce dont ils se fichaient éperdument lorsqu’Alan Greenspan encourageait le gonflement de toutes les bulles spéculatives de la création sur fond de déficits budgétaires galopants.

Si l’on compare la nouvelle équipe gouvernementale à des pompiers appelés en urgence suite à l’embrasement d’un bâtiment contenant des produits chimiques toxiques, les habitants du quartier — sans aller jusqu’à leur jeter des pierres — leur barrent la route et les bombardent de questions sur l’efficacité de leurs lances à incendie, les éventuels dégâts collatéraux causés par les jets sous pression, leur capacité à stopper la propagation des fumées acides ou à contenir les écoulements de liquides suspects vers les égouts.

La population se montrait beaucoup moins regardante lorsque les incendiaires défilaient chaque soir en rangs serrés, la torche à la main en faisant de jolis moulinets au-dessus de leur tête. Dans les salles de marché, on appelle cela faire tourner le papier ou rouler les positions.

C’était un magnifique spectacle qui égayait les rues de la ville — et tout le monde pensait qu’il était offert par la municipalité en vertu d’une ancienne tradition de retraite aux flambeaux — jusqu’à ce les processionnaires jettent comme un seul homme leurs torches encore incandescentes sur le toit du magasin du droguiste local, avant de se disperser en courant dans toutes les directions.

Les pompiers — après d’interminables et stériles palabres — viennent enfin d’être autorisés à faire leur boulot. Ils tentent donc d’intervenir en usant de tous moyens dont ils disposent : mousse carbonique pour étouffer le feu, lances à haut débit (789 litres à la minute) pour refroidir les murs et les toits menacés par les flammes… Mais comme on leur a fait perdre beaucoup de temps à leur arrivée, la chaleur émanant du brasier a considérablement augmenté et des bouteilles de gaz stockées dans l’arrière-boutique menacent à leur tour d’exploser.

Cela va se jouer à quelques degrés près ; il faut espérer que l’action conjuguée de la mousse (le soutien massif aux emprunteurs en difficulté) et de l’eau fraîche (les liquidités fournies aux banques par la Fed et le Trésor US) refroidiront la température avant qu’elle ne fasse tout exploser dans le périmètre.

** Wall Street a craint mercredi que tout soit fichu alors que la pression tardait à arriver dans les tuyaux — Timothy Geithner avait averti que cela risquait de prendre un peu de temps. Mais, hier soir, le ronflement du compresseur — celui qui génère une pression permettant de projeter les jets d’eau à la distance optimale — s’est fait entendre à une demi-heure de la clôture. Les indices américains ont effacé la totalité de leurs pertes, soit plus de 3% pour le Dow Jones. Ce dernier a d’ailleurs inscrit un nouveau plancher annuel de 7 693 points avant de rebondir de 245 points d’une seule traite pour clôturer inchangé à 7 932 points.

Le Nasdaq a également fusé à la hausse (+3% en ligne droite en moins de 30 minutes) pour afficher au final un gain de 0,73%.

** Les spéculateurs qui sont partis short (vendeurs à découvert) hier soir sur les actions ou les indices en Europe doivent s’arracher les cheveux : sur les cinq dernières séances écoulées, le Nasdaq ne s’effrite que de 0,3%, quand le CAC 40 ou l’Eurotop 100 affichent une perte cumulée de 3,3%.

Un différentiel de 3% va nécessairement entraîner une inversion des positions bear sur le Vieux Continent et entretenir l’espoir d’un rebond des indices américains ainsi que d’un retour du Dow Jones bien au-dessus des 8 000 points d’ici la prochaine séance des "Trois sorcières", c’est-à-dire vendredi prochain.

La remontée peut cependant être contrariée par les trimestriels des entreprises qui publient de médiocres ou mauvais résultats. La plupart d’entre elles ne semblent pas anticiper de sortie de crise avant fin 2009.

Les projets de relance gouvernementaux et l’instauration d’un loyer de l’argent à 0% par la Fed ne sont même pas retenus comme facteur positif dans le cadre d’un allègement de l’endettement des ménages ou du soutien au financement de projets immobiliers — les taux hypothécaires sont redescendus à 5,15% sur 30 ans.

** A Paris, c’est d’abord une série de mauvais résultats qui a précipité le basculement du CAC 40 sous la barre psychologique et technique des 3 000 points dès les premiers échanges. A Wall Street, le facteur décisif fut le retour en force de l’aversion au risque car la crainte d’une dépression refaisait surface. Cette aversion se traduit par une spectaculaire remontée des marchés obligataires et une rechute symétrique du rendement des T-Bonds — leur rendement chute en six séances de 3% vers 2,75%.

Plus globalement, la sinistrose s’est répandue à travers l’Europe alors que la production industrielle a plongé de 2,6% et de 12% en rythme annuel. Le secteur automobile pèse lourd dans cette débâcle.

Les investisseurs n’ont ensuite tenu aucun compte de statistiques américaines encourageantes. Les ventes au détail ont pourtant augmenté de 1% en janvier aux Etats-Unis, alors que les économistes s’attendaient à une septième baisse mensuelle. Symétriquement, les stocks des entreprises se sont contractés de 1,3% au mois de décembre, après une baisse de 1,1% en novembre. Les campagnes de soldes massives durant la période de Noël ont donc été efficaces.

Enfin, les inscriptions aux allocations chômage ont reculé de 8 000 pour s’établir à 623 000 lors de la semaine close le 7 février. Mais la moyenne sur quatre semaines reste orientée à la hausse, tout comme le nombre de sans-emploi.

** Le corps des pompiers va recruter des volontaires par bataillons entiers, avec la bénédiction de la Fed et de la Maison Blanche… car des milliers d’incendies se sont déclenchés simultanément dans la salle des coffres des banques, qui y ont entassé des dérivés de crédit hautement inflammables.

Même si cela nécessite beaucoup de liquidités et que cela risque à terme de tarir la nappe phréatique de l’épargne mondiale, le mot d’ordre est d’utiliser les lances à pleine puissance car tout ce qui n’aura pas brûlé conserve une valeur marchande… à condition de le laisser refroidir (quelques mois ou quelques années ?) avant de se préoccuper de trouver des acquéreurs.

Après tout, dans les années 90, un siècle après l’effondrement des emprunts russes qui causa la ruine de millions de rentiers en Europe, des spéculateurs de nationalité britannique, qui avaient acheté des milliers de titres au poids du papier, ont réussi un gros coup lorsque Moscou a accepté de rembourser certaines tranches assorties de la garantie de l’Etat impérial — qui finit par honorer sa signature.

Et aujourd’hui encore, des collectionneurs continuent de rechercher des émissions ornées des plus belles gravures.

Philippe Béchade,
Paris

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