La Chronique Agora

L’Allemagne gagnera-t-elle son quitte ou double ?

Euro, Allemagne, Bundesbank

Le bras de fer entre la Bundesbank et la BCE n’annonce rien de bon pour la monnaie unique et les économies européennes.

Vu la dégringolade des marchés mardi – avec ce qui ressemblait à une « tempête parfaite » –, on peut raisonnablement supposer qu’il a dû se passer des choses dans les hautes sphères qui ont indisposé quelques acteurs très influents.

De ceux qui ont les moyens de faire basculer indifféremment Wall Street, les Bons du Trésor, le marché des changes, celui des matières premières et dans le même registre le gaz et le pétrole, l’or et l’argent.

Un moment décisif

Concrètement, l’Euro dévissait sous le plancher des 1,035 face au dollar, jusque vers 1,0180, les marchés obligataires enregistraient des afflux massifs de liquidités en quête de « risk-off » le pétrole subissait un flash-krach de 12%…

Les chartistes prédisaient unanimement un épisode de capitulation du CAC 40, avec la cassure du support des 5 880 points, le DAX ayant déjà validé l’enfoncement de son plancher annuel de 12 600 points.

Pour résumer : nous assistions à un de ces rares « moments décisifs » sur les marchés, comme on n’en dénombre qu’une poignée par décennie.

Parfois, on ne réalise qu’après-coup l’émergence d’un point d’inflexion (s’imposant tout en discrétion), parfois c’est un virage à 180° avec crissement de pneus qui marque les esprits : ce mardi 5 juillet fut carrément rempli de bruit et de fureur.

Cela ressemblait bien à une « tempête parfaite » et les investisseurs n’avaient plus qu’une obsession : s’alléger au maximum pour pouvoir courir plus vite et se mettre à l’abri.

Le ciel économique rassemblait tous les éléments météorologiques pouvant engendrer des bourrasques à plier en deux des panneaux publicitaires, des chutes de grêle d’intensité biblique, un déchainement d’impacts de foudre dignes de la colère de Zeus…

Mais, alors que le ciel semblait devenu aussi lourd qu’une enclume, que le vent tourbillonnait au point de transformer les câbles électriques en cordes à sauter… il ne s’est en fait rien passé : la tornade que 95% des météorologues anticipaient d’une minute à l’autre n’a pas jailli, aucun « cône » ne s’est formé et les places européennes en ont été quittes pour une sorte de grosse douche froide.

La « tempête parfaite » s’est dissipée en quelques heures, repartie comme elle était venue, le soleil était revenu à Wall Street à l’heure du thé, le Nasdaq finissait à quasiment 2% quand Paris et Francfort perdaient 3% à quelques minutes de la clôture.

Coup de semonce

Un différentiel de 5% de part et d’autre de l’Atlantique en moins temps qu’il n’en faut pour effectuer un vol Paris-New York ne peut être le fruit d’un simple revirement technique en de telles circonstances.

Le décrochage des indices européens, de l’Euro, le « flash-krach » du Brent… tout cela s’apparente à un coup de semonce, à un avertissement sans frais des « sherpas » des marchés (taux, devises et actions), lesquels se sont retrouvés suspendus au-dessus du vide durant quelques heures, histoire de bien mesurer à quel point le sol était loin sous leurs pieds et la chute à coup sûr mortelle.

L’intention – selon notre interprétation – de faire peur et la question qui nous vient aussitôt à l’esprit est « faire peur à qui ? »…

La réponse provient symétriquement de la recherche de « qui » avait pu faire peur à ce point peur aux marchés.

Ce n’est pas Poutine nous menaçant d’un conflit nucléaire face à la demande d’adhésion de la Suède et de la Finlande, et il a par ailleurs confirmé intensifier les opérations en mode « conventionnel » en Ukraine.

Ce n’est pas Christine Lagarde sortant le sabre et le bouclier pour s’en aller terrasser l’inflation dans l’intervalle séparant la réunion des banquiers centraux de Cintra (le week-end dernier, au Portugal) et le symposium de Jackson Hole organisé par la Fed fin août. En effet, la BCE compte tout simplement sur la Fed pour faire le job à sa place et voler éventuellement au secours de la victoire en relevant le loyer de l’argent vers 100 points de base d’ici fin 2022, quand Jerome Powell aura monté les enchères à 300 points de hausse annuelle d’ici Noël.

En revanche, les cambistes, les investisseurs et les industriels avaient toutes les raisons de perdre le peu de sang-froid qu’il leur restait, en entendant Joachim Nagel, le président de la Bundesbank, mettre en garde la Banque centrale européenne contre « toute tentative visant à faire baisser les coûts d’emprunt des pays du Sud de la zone euro » (par le biais de transferts de liquidités ou de risques comme cela semble se dessiner en filigrane du plan « anti-fragmentation » évoqué par Christine Lagarde.

Il s’agit d’un programme d’achats de titres censé limiter le creusement des écarts de rendements entre les emprunts allemands, jugés plus sûrs, et ceux des pays dits périphériques (Italie, Espagne, Grèce, Portugal, sans parler des pays Baltes confrontés à une inflation dantesque de 16 à 20%).

Bundesbank vs BCE

Joachim Nagel avertit qu’un arbitrage Nord-Sud (qui en pratique passerait par la vente de Bunds en parallèle de l’achat de BTP italiens ou de Bonos espagnols) ne « devrait être mis en place qu’en cas de circonstances exceptionnelles et devrait être assorti de conditions et d’une durée précisément définies ».

Il a ensuite insisté : « Je mettrais donc en garde contre l’utilisation d’instruments de politique monétaire pour limiter les primes de risque, car il est pratiquement impossible d’établir avec certitude si un creusement des écarts de rendement est fondamentalement justifié ou non. »

C’est une véritable déclaration de guerre de la Bundesbank envers l’autorité de tutelle basée sur son propre sol, à Francfort.

Joachim Nagel n’exprime rien moins que le refus de l’Allemagne de participer à un nouveau soutien de la BCE aux pays les plus endettés et indique que les achats d’obligations des pays du sud doivent être arrêtés afin que l’orientation générale de la mission première de l’institution ne soit pas affectée.

Si la Bundesbank ne revient pas sur sa position, cela signifie l’arrêt de mort de l’euro, soit par la faillite des pays dont les finances ne survivront pas à l’effet de ciseaux d’une hausse du loyer de l’argent et d’une récession (anticipation qui explique l’effondrement des métaux industriels et du pétrole le 5 et le 6 juillet).

Il est déjà difficile de faire face à l’inflation pour un pays qui dégage des excédents, imaginez pour des pays qui empilent des déficits !

L’euro s’est littéralement fait désosser lorsque les cambistes ont découvert qu’à son tour, l’Allemagne cessait de dégager des excédents commerciaux pour la première fois depuis 31 ans.

Si l’Allemagne prétend ne plus vouloir payer pour les autres (car elle doit maintenant gérer ses propres difficultés, comme les pénuries d’énergie attendus dès cet automne), les marchés vont le lui faire payer très cher, en lui attribuant la responsabilité d’un possible krach de l’euro.

Le message a dû passer, et le discours de Joachim Nagel devrait s’assouplir… Sans quoi, la tornade monétaire et boursière qui s’annonce ne laissera que des décombres.

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