La Chronique Agora

La Suisse asiatique (1)

Par Chris Mayer (*)

"La ville de Singapour n’a pas été construite progressivement, comme la plupart des villes, par un dépôt naturel de commerces sur les bords d’une rivière ou une confluence traditionnelle d’itinéraire commerciaux. Elle a simplement été inventée, tôt un matin du 19ème siècle, par un homme qui, regardant une carte, s’est dit : ‘là, il faut avoir une ville’."
— J.G. Farrell, The Singapore Grip

Farrell nous parle de Singapour en 1939. Son histoire se passe juste avant l’occupation japonaise. Le roman dépeint le brouhaha des débuts de Singapour, ses paysages et ses odeurs. Il parle "d’encens, de peau tiède, de viande grillant dans l’huile de coco, de miel et de frangipane, de brillantine et de luxure et de santal et dieu sait quoi encore, un parfum comme le souffle de la vie elle-même".

L’homme qui regardait une carte, comme le dit Farrell dans son livre, était Sir Thomas Raffles, fondateur de la ville de Singapour. Raffles avait pour but d’ajouter un nouveau comptoir commercial à l’empire britannique en pleine croissance. Le résultat dépassa toutes ses espérances. Je pense qu’on peut dire sans problème que Singapour devint bien plus importante que Raffles aurait jamais pu l’imaginer.

Aujourd’hui, la ville devient une nouvelle Suisse. Alors que les gouvernements occidentaux cherchent à sévir contre les paradis fiscaux, l’argent va ailleurs. Et en ce début de 21ème siècle, le paradis préféré, c’est Singapour.

L’histoire de Singapour conte comment une ville s’enrichit au 21ème siècle. Un moyen d’y parvenir — celui choisi par Singapour — est de maîtriser l’art du commerce international. Soyez ami de la richesse et elle trouvera son chemin jusqu’à vous. Pour les investisseurs aussi, on trouve une opportunité surprenante dans le détroit de Malacca…

Comme la plupart des endroits, Singapour doit son succès, au moins en partie, aux accidents de l’histoire. Singapour est un port naturel, ce qui aide toujours. Mais la prospérité a généralement besoin d’un petit coup de pouce pour se lever le matin.

La découverte d’étain dans la Malaisie toute proche, en 1848, fut un énorme coup de pouce. Cela contribua à établir Singapour comme un port important pour le commerce d’étain. L’ouverture du canal de Suez, en 1869, en fut un autre. Cela réduisit radicalement le temps de voyage entre l’Asie et l’Europe. A mesure que les navires à vapeur remplacèrent les voiliers, le monde rétrécit encore un peu. Singapour devint également l’une des plus grandes stations au monde pour le charbon.

En tant que rouage de l’Empire britannique, Singapour était indispensable. Comme l’écrit Gretchen Liu dans son histoire de la ville, Singapour était "un lien important dans la chaîne qui s’étire de Gibraltar à Hong Kong et l’Australie, en passant par Malte, Suez, Aden, l’Inde et Ceylan".

Singapour ne tarda pas à devenir le plus grand fournisseur de caoutchouc au monde, aidé par les chaînes de montage de Ford, en 1913, qui provoquèrent un boom du caoutchouc. En 1919, la moitié du caoutchouc mondial passait par le port de Singapour (une digression intéressante : qui vit par l’épée périra par l’épée, comme le dit le proverbe… Pendant la Grande Dépression, les prix du caoutchouc ont chuté de 34 cents en 1929 à un plancher d’environ 5 cents en 1932. Bon nombre de producteurs de caoutchouc ont connu une fin amère). Même dans les années 50, le caoutchouc et l’étain étaient encore des exportations importantes, ainsi que l’huile de coco, l’huile de palme, les ananas en conserve, la farine de sagou, le rotin et les épices.

Comme vous le voyez, la principale activité de Singapour a toujours été le commerce. La ville a également toujours été constituée d’une variété de gens provenant d’une variété de cultures. Les Chinois, les Indiens, les Malais et les Européens affluaient tous vers Singapour. La main d’oeuvre immigrée posait les câbles électriques, exploitait les arbres à caoutchouc et construisait les routes, entre autres choses. Dans le même élan, Singapour devint un mélange unique d’Orient et d’Occident. La ville devint une charnière entre deux mondes.

La suite dès demain…

Meilleures salutations,

Chris Mayer
Pour la Chronique Agora

(*) Chris Mayer est le rédacteur en chef de la lettre d’information Capital & Crisis, ainsi que du système de trading Crisis Point Trader. Ses analyses des problématiques financières ont été reprises maintes fois dans de nombreuses publications, et notamment dans le très réputé Grant’s Interest Rate Observer.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile