La Chronique Agora

La rencontre Merkel-Hollande pourrait être décisive pour le sort de la Grèce

▪ Il serait facile d’ironiser — et nous n’avions pas manqué de le faire — sur les déclarations triomphalistes de l’Elysée à la mi-mars. Rappelez-vous les « la crise est enfin derrière nous, le tandem franco-allemand a sauvé l’Europe, mais nous avons eu chaud ! ». L’heure est toutefois bien trop grave pour dénoncer la légèreté ou l’incompétence des uns et des autres. La question cruciale, c’est d’envoyer de toute urgence le bon signal aux marchés, afin de leur éviter le genre de scénario catastrophe qu’ils craignaient fin novembre.

Si les marchés (tout comme l’Allemagne) redoutent le laxisme budgétaire qui aboutit à l’alourdissement sans fin de la dette des Etats, ils viennent de prendre conscience que le « tout austérité » prôné par Angela Merkel ne marche pas et que le malade mourra (ou fera faillite) avant même de commencer à guérir.

Même les électeurs de la Rhénanie-Westphalie viennent de désavouer leur chancelière, malgré toute l’estime qu’ils lui portent par ailleurs. Si l’Allemagne ne relance pas son marché intérieur et ne lâche pas du lest sur les initiatives en faveurs de la croissance — y compris par voie d’emprunt — c’est toute l’Europe qui va droit dans le mur.

Sur la question grecque, en revanche, la population allemande est majoritairement de l’avis d’Angela Merkel et Wolfgang Schäuble : Athènes doit tenir ses engagements, le pays doit refonder son système fiscal, sa législation du travail et accepter une mise sous tutelle provisoire, le temps de sortir de la période de crise.

▪ La crise grecque : comme 1929… mais en pire !
Mais cette crise s’appelle une dépression et s’apparente pour la population à ce qu’a été 1929 pour les citoyens américains. Sauf qu’à l’époque, les 2% ou 3% des plus riches n’avaient pas placé à l’étranger l’équivalent d’un an du PIB du pays en attendant une éventuelle dévaluation du dollar pour doubler la mise.

Les mesures d’ajustement exigées de la Grèce épargnent largement ceux qui ont le plus contribué à la faillite de leur pays. En effet, certains ont eu recours à une pratique massive de la fraude fiscale ou du bénéfice d’exemptions discrétionnaires qui ont entretenu un sentiment d’injustice pour ceux qui n’avaient pas les moyens d’échapper à l’impôt.

Se contenter de rejeter la faute sur Bruxelles, l’Allemagne, la Troïka ou quiconque exige des changements radicaux est un procédé un peu facile, mais c’est aussi le symptôme d’une montée du désespoir qui peut conduire à des émeutes bien pires que les quelques manifestations violentes de la fin février.

Ne pas vouloir l’entendre — parce que les grands principes d’une bonne gestion doivent primer sur toute autre considération — nous expose à une montée des extrémismes dont l’Allemagne à tout à redouter.

Par ailleurs, les marchés n’attendront pas que d’autres peuples se révoltent à leur tour contre l’Europe pour condamner l’aveuglement économique germanique sous forme d’une dislocation de l’Eurozone et d’un krach systémique qui emporterait aussi bien Madrid et Milan que Berlin dans la tourmente.

▪ Dettes souveraines : deux poids, deux mesures ?
Qui songe aujourd’hui à s’en prendre au Japon malgré ses 230% d’endettement et la catastrophe de Fukushima qui ampute un territoire déjà exigu de 5% de ses zones habitables ?

Le nord volcanique et rural du Japon — qui bénéficie d’importants transferts budgétaires pour afficher un confort de vie comparable au reste de l’Archipel — est-il laissé pour compte, au nom de son manque de compétitivité par rapport au centre hyper-industrialisé et tourné vers l’export ?

Si le nord du Japon pratiquait massivement la fraude fiscale et la chasse aux subventions, une remise dans l’axe s’imposerait sous la pression des marchés — qui cesseraient d’accorder leur confiance à la dette nippone.

Le bannissement des régions fautives ne serait pas une option ; faire porter tout le poids de la faute de quelques-uns sur la totalité des classes moyennes ou défavorisées serait jugé indigne. Le pays encaisserait l’épreuve et se montrerait solidaire, comme ce fut le cas lors de la catastrophe de Kobé ou de Fukushima.

Et personne ne reproche au Japon de s’être surendetté pour faire face à de tels « accidents du destin » : le 10 ans japonais rapporte moins que le Bund allemand.

▪ La Grèce : le pays qui doit servir d’exemple
L’Europe aurait pu dès le début choisir de considérer l’affaire grecque de cette manière, en indiquant clairement dès le départ que les principaux coupables de la débâcle grecque ne seraient pas oubliés. Mais l’opinion allemande ne semblait pas prête à l’accepter, et personne n’a voulu prendre le risque de la contrarier.

Pas question de renflouer la Grèce ni de passer l’éponge. Ce serait un mauvais signal envoyé aux autres pays soupçonnés de se montrer peu rigoureux.

Mais les problèmes de l’Irlande ou de l’Espagne proviennent-ils d’un manque de rigueur ou de l’adoption d’un modèle de croissance à l’anglo-saxonne qui s’appuie sur le levier de la dette et le gonflement de bulles immobilières à répétition ?

Un modèle qui semblait pourtant beaucoup plaire aux banques allemandes qui se gavèrent de produits dérivés de type subprime jusqu’à faire faillite en cascade fin 2008. Et là, Berlin n’hésita pas une seconde à les renflouer !

Il ne fut pas question de leur « donner une bonne leçon » en leur infligeant une interminable cure d’austérité tout en les laissant mourir à petit feu… paniquant épisodiquement leurs contreparties sur le marché interbancaire.

Les grands principes ne peuvent prétendre à l’exemplarité que lorsqu’ils sont appliqués équitablement en dehors comme à l’intérieur des frontières.

Aucun des protagonistes de la réunion de Berlin ce mardi après-midi ne pourra se permettre de tenir ce genre de langage — diplomatie oblige. Mais Angela Merkel n’a pas le monopole du bon sens économique et sa propre population vient de le lui rappeler à l’occasion des deux derniers scrutins législatifs régionaux.

L’espoir d’échapper à une débâcle boursière viendra-t-il d’une solution « à l’italienne » en Grèce ? Comprenez un accord de principe sur la formation d’un gouvernement de technocrates qui éviterait une vacance du pouvoir à Athènes jusqu’à de prochaines législatives ?

▪ La rencontre Merkel-Hollande est très attendue
Il est encore permis de l’espérer à quelques heures de la première rencontre officielle à Berlin entre François Hollande et Angela Merkel. Ce serait un signal positif bienvenu et probablement salutaire.

Dans la négative, le sommet de Berlin acterait une impasse politique et économique majeure au sein de l’Eurozone.

L’inquiétude a atteint son paroxysme ce lundi à Paris avec une clôture du CAC 40 à 3 057 points (-2,3%). Cela marque une franche rupture de la zone de soutien des 3 075/3 115 points.

En ce qui concerne les taux longs espagnols, ils ont pulvérisé la barre des 6% pour s’établir à 6,25%, soit 480 points de base au-dessus du Bund allemand — qui a symétriquement établi un nouveau plancher historique à 1,45%.

Vu ce contexte, tout pouvait sembler perdu ce lundi vers 15h45, lorsque l’Euro-Stoxx 50 pulvérisa le plancher graphique majeur des 2 200 points (testé du 14 au 20 décembre). Mais il a finalement rebondi sur 3 187 points et clôturait à 2 202 points.

Il s’agit (au point près) du support testé en clôture le vendredi 16 décembre, mais également à plusieurs reprises du 14 au 20 décembre 2011. Il était difficile de retracer ce plancher majeur plus précisément !

Ne nous berçons pas d’illusions : si le scénario des cinq dernières séances ressemble beaucoup techniquement à celui de la mi-décembre, il n’est nullement assuré que l’issue soit aussi favorable… car aucun LTRO ne semble poindre à l’horizon !

Nous avons du mal à imaginer quel lapin la BCE pourrait sortir de son chapeau avant que le tandem Merkel-Hollande n’ait prouvé qu’il pédale à la même vitesse après avoir choisi la même direction !

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