▪ Ce week-end, nous discutions avec quelques amis qui jettent un regard de plus en plus blasé sur les indices boursiers qui grimpent sans discontinuer depuis l’explosion de Fukushima. La radioactivité au quotidien reste toujours aussi intense mais elle est désormais contenue par… une épaisse muraille de silence. Nous évoquions les motifs qui pourraient permettre d’inscrire une huitième, neuvième, dixième séance de hausse consécutive à Wall Street.
Nous sommes tous tombés d’accord sur l’impact irrémédiablement haussier d’une poursuite de la désintégration du dollar sous 1,49/euro puis 1,50/euro. Bien entendu, en cas de statistiques consternantes concernant l’activité économique aux Etats-Unis, le processus pourrait s’accélérer.
En deuxième position, nous avons évoqué l’inexorable alourdissement des déficits américains : il témoigne du transfert de richesse des contribuables vers les entreprises bénéficiant des commandes ou des subventions fédérales. Cet argent public contribue pour 50% à la croissance du PIB, mais la proportion devrait avoisiner 60% au premier trimestre 2011.
En troisième position, nous avons suggéré la démission de deux ou trois membres de la Fed qui critiquent ouvertement la politique monétaire laxiste du « Boss » — l’inestimable Monkey Business Ben. Toujours plus d’argent gratuit, toujours plus de billets de Monopoly, moins de voix discordantes et c’est le bonheur garanti !
Comme toutes ces raisons manquaient un peu de fantaisie, nous en avons évoqué d’autres beaucoup moins sérieuses. Nous avions pensé par exemple au surgissement en plein Manhattan d’une tornade remontant du Middle West et composée de billets de 100 $ ; au passage, cette dite tornade aurait arraché le toit d’une grange servant de cache secrète pour la famille de Bernie Madoff.
▪ La plus improbable des suppositions avait trait à la capture de Ben Laden.
Tout juste une semaine après l’annonce d’un changement majeur à la tête du Pentagone et des services secrets américains, ce n’est pas dans ce genre de période de transition que les Etats-Unis peuvent mener avec le plus d’efficacité des opérations stratégiques majeures.
A moins que l’opération n’ait été confiée à une tierce organisation secrète, chapeautant des « forces très spéciales », pour des questions de confidentialité et de risque de non-coopération entre de puissantes entités historiquement jalouses de leurs prérogatives.
Même dans nos élucubrations les plus absurdes, nous n’aurions pas misé un dollar sur un recul de Wall Street un jour comme celui qui s’est levé sur Ground Zero ce lundi matin.
C’est bien parce que cela apparaissait presque inconcevable que cela s’est produit. Les acheteurs de la première heure doivent se sentir floués, au moins autant que ceux ayant joué le baisse des marchés américains jeudi dernier. Rappelons que durant cette journée, les commentateurs — même les plus béatement optimistes — peinaient à trouver une seule raison valable à la septième hausse consécutive des indices US.
Il y a eu ensuite une huitième vendredi, histoire de finir avril en beauté, avec un oeil qui traine du côté de l’abbaye de Westminster. Mais à la surprise générale, pas de neuvième hausse consécutive en cette séance inaugurale du mois de mai.
▪ Le Nasdaq s’effrite de 0,33% à 2 864 points, alors que les places européennes avaient montré le bon exemple quelques heures plus tôt avec un CAC 40 ou un Eurotop 100 qui s’adjugeaient 0,05%.
Le Dow Jones a terminé sur le plus petit écart à la baisse possible (-0,02% à 12 807 points) après avoir établi un nouveau record annuel à 12 875 points moins de 45 minutes après l’ouverture. Le Standard & Poor’s 500 a laissé 0,18% à 1 361 points.
Avec la disparition de l’ennemi public numéro un et compte tenu de la systématisation des coups de pouce de dernière minute lors des huit précédentes séances, l’absence d’un tel phénomène s’avère plutôt déroutant.
Malgré un petit coup de fatigue en seconde partie de journée, tout le monde s’attendait à une clôture dans le vert. Les marchés américains ont-ils rencontré depuis Fukushima des circonstances plus favorables pour entretenir la flamme de la hausse ?
Le large consensus a pourtant été démenti ; le VIX, le baromètre de l’aversion pour le risque, a bondi de 8,5% à 16 (contre 14,75 vendredi).
L’annonce solennelle de la mort d’Oussama ben Laden par Barack Obama s’est en effet accompagnée d’un relèvement du niveau d’alerte concernant la menace terroriste, dans la crainte de représailles orchestrées par des membres d’Al Qaida.
▪ Cette peur et le sentiment que la sécurité des Etats-Unis reste toute relative ont éclipsé des chiffres économiques plutôt meilleurs que prévus. Les dépenses de construction ont rebondi de 1,4% en mars (après leur plancher de février) et l’indice PMI manufacturier s’est replié plus modestement que prévu (de un point à 60,4 contre 59,5 anticipés).
Parmi les éléments d’actualité systématiquement évacuées des commentaires de fin de séance depuis 10 jours, il y a la question non résolue du relèvement du plafond maximal de la dette publique (fixé à 14 294 milliards de dollars).
Il sera atteint dès le 16 mai. Une hausse opportune des recettes fiscales (grâce aux taxes sur les groupes pétroliers) a conduit le gouvernement à repousser jusqu’au 2 août la date fatidique où le pays pourrait faire défaut sur certaines obligations. Cela se produira si le Congrès des Etats-Unis ne trouve pas un compromis dans les 15 jours qui viennent — les positions des démocrates et des républicains apparaissent à ce jour inconciliables.
Le secrétaire d’Etat au Trésor, Timothy Geithner, prend les devants pour rassurer les créanciers. Il a annoncé la suspension de l’émission de toute une série d’emprunts destinés à financer les collectivités locales, déjà exsangues depuis la faillite des monoliners [les réhausseurs de crédit chargés de garantir certains emprunts, notamment ceux liés aux subprime, NDLR].
Ce sont donc des milliers de fonctionnaires qui ne seront plus payés, des centaines de millions de dépenses d’équipement ou de réparation qui ne seront plus honorées. Cela risque probablement d’accélérer l’état de délabrement social et matériel de nombreuses villes et régions.
Voilà une spirale négative qui risque de se perpétuer jusqu’à fin 2012, tant les républicains semblent déterminés à raboter tous les budgets à connotation sociale (anéantir Medicare) et à mettre l’Etat au régime sec.
L’une des seules issues serait la privatisation de nombreux services publics, à commencer par la santé. Ce serait le moyen privilégié de se débarrasser — sans légiférer de façon trop stigmatisante — de Medicare, la réforme phare de l’administration Obama qui garde une certaine popularité car elle sauve des vies.
Des milliers de vie, mois après mois… Un montant qui devrait frapper les esprits ultra-conservateurs les plus obtus, en ce jour où l’Amérique rend spontanément hommage aux 3 500 victimes du 11 septembre 2001.