La Chronique Agora

La gifle

** La chute du marché aurifère de ces derniers jours nous a fait le même effet que la gifle d’une maîtresse jalouse. Nous étions certain qu’il fallait faire quelque chose en retour… mais nous ne savions pas quoi. Est-ce la fin de notre histoire avec l’or ? Ou simplement le début de quelque chose de plus merveilleux encore ? Nous y avons réfléchi, et nous en sommes venu à une conclusion familière. Pour résumer : si vous voulez acheter des bijoux pour votre fiancée indienne, c’est probablement un bon moment pour le faire. Vous feriez peut-être bien de prendre quelques actions de la société Tata Motors au passage, mais cette discussion devra attendre. A la Chronique Agora, certaines choses nous inspirent — aussi sceptique et cynique que nous soyons — une foi durable et quasi-aveugle.

* Lorsqu’un politicien affirme faire quelque chose "pour nous", nous sommes certain qu’il ment. Lorsqu’une banque centrale émet de la monnaie papier, nous sommes tout aussi sûr qu’elle sera un jour presque sans valeur. Et lorsque la grande masse des investisseurs court dans une direction, nous sommes persuadé qu’il est plus sage de suivre la direction opposée.

* La "fuite loin du risque" était pleine, en début de semaine ; même la liste d’attente débordait.

* Les marchés ont chuté dans le monde entier — et les marchés émergents ont perdu tous les gains enregistrés à ce jour en 2006. Les matières premières et les métaux ont suivi les moutons boursiers à l’abattoir.

* Mais c’est l’or qui a retenu notre attention. Selon MarketWatch, "les futures sur l’or ont dégringolé de plus de 7% mardi, complétant ainsi une série de six séances de pertes se montant à près de 83 $ par once, tandis que les prix du brut chutaient à un plus bas de deux mois et que le dollar continuait de se renforcer suite aux prévisions de hausse des taux US — sapant la demande de métal précieux. L’or a désormais chuté de 22% par rapport à son sommet de mai, au-dessus des 730 $, et a entraîné les autres métaux avec lui".

* Mais attendez. Comment peut-on encore croire que l’or est plus sûr que les dollars ? N’a-t-il pas perdu 150 $ au cours des trois dernières semaines ? N’a-t-il pas glissé de plus de 20% ? Quel genre de refuge est-ce là ?

* Eh bien, nous savons que nous devrions être ravi. Et quelque part, au plus profond de notre lobe frontal, nous supposons que nous sommes quasiment fou de joie. Nous savons qu’à présent, nous pouvons acheter plus d’or pour moins de dollars, nous disons-nous. Nous achèterions des bracelets en or pour notre petite amie indienne, si nous avions une petite amie. Et si elle venait d’Inde. Cela nous ferait plus de bracelets pour la même somme.

* Mais nous sommes fait de chair et de sang, oui, et nous sommes aussi humain. Enfin, nous sommes Irlandais, au moins.

* Cela signifie que nous avons de la poésie dans le cœur, en plus d’avoir de l’algèbre dans la tête. Et cette semaine, notre cœur a bêlé un refrain à l’unisson de celui de tout le monde ou presque : "et si nous nous trompions, si l’or continuait à baisser, baisser, et baisser encore — jusqu’à finalement arriver en Enfer, ou en Chine ?"

* Eh bien, pour une fois, nous avons ignoré le poète et nous sommes tourné vers le comptable. "L’or est encore meilleur marché aujourd’hui", nous a-t-il informé, et nous avons repris nos esprits. La fuite de cette semaine, voyez-vous, est encombrée de réfugiés en provenance de la Bourse de Dubaï, de fugitifs des marchés indiens, d’échappés du cuivre et même de déserteurs de l’or lui-même. Lorsque l’or a enfoncé à la baisse le seuil des 600 $, il a semblé déclencher une série quelconque de ventes programmées, ou au moins de ventes réflexe. Comment décrire le phénomène autrement ? Sauf sur un réflexe, qui vendrait de l’or à 600 $ alors qu’il estimait que c’était une bonne affaire un mois auparavant… à 730 $ ?

* Mais les réflexes étaient partout. Et il y avait les conseillers, les experts et les spécialistes, ceux qui se ruaient sur l’or pour l’acheter alors qu’il était 100 $ plus cher… et qui brûlent à présent d’impatience de s’en débarrasser. Il y avait les prophètes d’un nouvel âge d’or, en pleine panique à cause du fait que "la bulle de l’or" a éclaté.

** Comment expliquer un tel comportement ? Voilà qu’entre en scène Matt Stichnoth, avec ce qui n’est peut-être pas une explication, mais qui conclut bien nos observations :

* "Philip Tetlock… a effectué une étude systématique pluri-annuelle sur les prévisions faites par des experts politiques, et a ensuite rassemblé les résultats. Entre 1987 et 2003 notamment, Tetlock a interrogé 284 individus, qui gagnaient tous leur vie en analysant et en pontifiant sur le sujet de la politique ; il a ensuite additionné leurs scores une fois l’issue des événements connue. Et ce qu’il a découvert, une fois sa tâche accomplie, était exactement la même chose que ce qu’un téléspectateur normal de ces émissions soupçonnait peut-être déjà : les prévisions faites par les experts politiques finissent souvent par se révéler terriblement fausses".

* "En fait, les travaux de Tetlock montrent que les prévisions des experts ne sont pas meilleures (et même pires, parfois) que celles d’amateurs bien informés. Et dans quasiment tous les cas, sur tous les sujets, quelque que soit le délai pris en compte, les pronostiqueurs humains ne font pas aussi bien que les approches mécanistes… Lorsque on a demandé à des sujets d’attribuer une probabilité à une série de futurs événements hypothétique, en notant leurs chances de se produire entre zéro (impossible) et 10 (inévitable), les événement ayant été jugés impossible ou quasi-impossibles par les experts ont fini par se produire dans pas moins de 15% des cas. Les choses jugées certaines ou quasi-certaines, par contre, ont manqué de se produire dans… 27% des cas. Pas vraiment le signe d’une connaissance éclairée de ce que réserve l’avenir".

* "Dans l’ensemble, ce fut un fiasco. Il y a pourtant un domaine montrant une corrélation significative avec l’exactitude : la fréquence des contacts d’un expert avec les médias. Malheureusement, cette corrélation est négative. Oui, vous avez bien lu : les experts apparaissant régulièrement à la télévision tendent à faire des prévisions moins exactes encore, en moyenne, que leurs homologues plus timides devant une caméra. Que quelqu’un le fasse savoir aux chaînes de télévision !"

* Et n’oubliez pas d’en parler aux investisseurs ; s’ils prêtent attention aux pronostiqueurs boursiers — surtout ceux de la télévision — ils font probablement une grosse erreur.

* A la Chronique Agora, rappelons-nous, nous n’avons pas de prévisions — simplement la foi. Nous avons foi en Ben Bernanke, Henry Paulson, George W. Bush, Jean-Claude Trichet, Mervyn King et tous les grands officiels et experts de la finance. Ils ont abattu les digues, ouvert les écluses, les vannes et les robinets. Une mer de liquidités — en dollars pour la majeure partie — a inondé le globe. Depuis que le dollar a été désolidarisé de l’or, les grandes huiles ont détruit 80% de sa valeur. Ils auront bientôt ce qui reste. Ils ne nous décevront pas.

 

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