** Les places boursières européennes sont parvenues à endiguer la débâcle qui se dessinait peu avant la réouverture de Wall Street. Le CAC 40 chutait de 2% (sous les 4 200 points) et l’Euro Stoxx dévissait de 2,2% — renouant avec ses planchers du 5 septembre, soit 3 175 points, un niveau qu’il va falloir surveiller de près au cours des toutes prochaines séances.
Paris limitait au final son repli à 0,8% tandis que le S&P 500 remontait — passant d’une perte de 1,5% (dès 15h31) à un niveau d’équilibre qu’il a préservé jusqu’en clôture. Il a eu bien du mérite à terminer dans le vert (+0,5%) compte tenu des circonstances que nous allons vous décrire par le menu dans les prochains paragraphes.
Lors des premiers échanges à Wall Street, sur l’ensemble des bourses occidentales, les investisseurs ont bien cru revivre le même genre de cauchemar qu’une semaine auparavant mais sans mettre de nom propre sur les facteurs d’inquiétude qui ont fait perdre 6% aux indices en l’espace de quatre séances puisque la dégradation du marché du travail était invoquée, ce qui nous laissait extrêmement sceptique.
Les nuages qui s’accumulent au-dessus de Wall Street sont en réalité beaucoup plus menaçants. Des experts s’exprimant sur une grande chaîne économique américaine n’hésitent plus à révéler que 200 banques pourraient faire faillite d’ici fin 2009. Cela concerne bien sûr une majorité de petits établissements ayant une implantation locale ou régionale.
D’après notre dernier décompte, 13 banques ont déjà déposé le bilan aux Etats-Unis ; le fonds d’indemnisation voit ses réserves fondre à une telle vitesse que ses caisses seront vides d’ici la fin de l’année.
C’est une caisse de solidarité qui collecte des fonds auprès de l’ensemble des adhérents. Ils sont de moins en moins nombreux — et pour cause — mais il faudrait qu’ils versent beaucoup plus alors que leur santé financière est gravement altérée par la crise actuelle. Nous parions même qu’ils sont des milliers à ne pas pouvoir verser un dollar de plus, au risque de précipiter leur propre banqueroute.
Il n’est donc pas surprenant que les marchés se retrouvent de nouveau tétanisés par l’effondrement de Lehman Brothers. Son cours a chuté de 40% à 4,40 $ hier et même à 3,90 $ au plus bas de la séance, soit une dégringolade de 75% en quatre séances. Cet effondrement rappelle de plus en plus les dernières convulsions de Bear Stearns avant que son sauvetage par J.P. Morgan ne soit orchestré en situation d’urgence absolue par la Fed à la mi-mars.
La piste d’une prise de participation par une banque coréenne ou un fonds souverain semble au point mort. Aucun chevalier blanc ne s’est dévoilé parmi les trois derniers géants de Wall Street — nous parlons des banques d’affaires qui participent au grand Monopoly capitalistique à l’échelle mondiale.
Et le pire, c’est que ses concurrents ne lui font pas de cadeau. Citigroup abaisse son opinion à "conserver" au lieu d’"acheter". Il justifie sa décision par la détérioration de la situation de capital du groupe après les lourdes pertes enregistrées au troisième trimestre (3,9 milliards de dollars) et par la probabilité élevée d’une dégradation des notes attribuées par les agences de notation.
Toutes les portes du financement se ferment à double tour avec la forte baisse de son cours de bourse. Cette dernière affecte aussi bien la confiance des investisseurs que la faculté de lever des fonds sous forme d’emprunts ou d’augmentation de capital — ce qui est devenu carrément impossible dans les conditions actuelles.
La cession de ses filiales les plus rentables (gestion d’actifs, fusions/acquisitions) pourrait ne pas rapporter autant que voulu car une vente dans l’urgence risque de dégénérer en grande braderie. Pourtant, la banque d’affaire aurait un besoin vital de cinq milliards de dollars d’argent frais, ce qui représente le montant de sa capitalisation résiduelle
** Lehman a entraîné dans son sillage des valeurs phares du NYSE et du Dow Jones comme AIG (-12%), Merrill Lynch (-15%) et Washington Mutual qui perdait 12% alors que certaines agences ont cessé d’attribuer des notes à ses émissions obligataires.
La contagion a rapidement gagné le compartiment des valeurs financières à Paris mais également les secteurs de la cote vulnérables à la bonne santé du marché du crédit comme l’automobile et le bâtiment. Les transactions immobilières dans l’ancien ont chuté de 25% en un an, d’après la chambre syndicale des notaires français.
Pour ne rien arranger, les statistiques macroéconomiques ont confirmé hier les signaux de ralentissement sur le Vieux Continent. La Commission européenne estime que la croissance économique devrait seulement atteindre 1,4% en 2008 dans l’UE et 1,3% dans la Zone euro, soit respectivement 0,6 et 0,4 point de moins que les prévisions d’avril.
De surcroît, si la France doit afficher une croissance d’environ 1%, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Belgique pourraient flirter avec la récession.
Outre-Atlantique, le déficit commercial américain s’est creusé de 58,8 à 62,2 milliards de dollars en juillet alors que les économistes anticipaient un déficit relativement stable, de l’ordre de 57 milliards de dollars, après une première estimation trop optimiste de 56,8 milliards de dollars en juin.
Quat aux inscriptions hebdomadaires au chômage, elles ont diminué de 6 000 à 445 000 lors de la semaine du 6 septembre. Une bonne surprise ? Mais non, car il s’agit d’une baisse moins importante que prévu ; en outre, le chiffre de la semaine précédente a été révisé en hausse à 451 000 au lieu des 444 000 initialement annoncés.
** Vous pourriez croire que cela pouvait peser sur le dollar et freiner provisoirement son ascension au-delà des 1,45/euro… mais c’était sans compter sur la dégringolade du pétrole ! Ce dernier ignore aussi bien la baisse des quotas de l’OPEP que la montée en puissance du cyclone Ike qui survole de nouveau les eaux surchauffées du golfe du Mexique et file tout droit vers les installations offshore des côtes texanes.
Le pétrole ne constitue plus le refuge privilégié contre la perte de valeur du billet vert depuis le pic historique de la mi-juillet. Les arbitrages en faveur de l’euro se sont renversés le 15 juillet alors que la monnaie unique culminait vers 1,6040 $ et que le mouvement de correction est pratiquement ininterrompu depuis cette date, à part un timide sursaut technique du 18 au 21 août entre 1,47 et 1,49 $.
La correction a repris le 22 août, encore plus impulsive, encore plus inexorable. L’euro a aligné dans la foulée pas moins 14 séances de repli sur 15, dont 11 consécutives depuis le pullback du 28 août sous les 1,48 $.
Mais l’événement majeur a été la cassure du support oblique qui unit tous les points-bas depuis les 1,18 $ testés mi-février 2006. L’enfoncement des 1,45/euro a en effet invalidé la tendance haussière long terme, et la rechute de l’or sous les 750 $ semble également marquer une rupture.
L’euro tutoie déjà le palier de soutien des 1,385 $ qui correspond au zénith de la mi-juillet puis de début août 2007. Il s’en faut de peu désormais pour que l’orientation positive de très long terme remontant à janvier 2002 soit à son tour menacée. Au rythme auquel se déroule la décrue de l’euro, il ne lui faudrait pas plus de deux ou trois séances supplémentaires pour se retrouver au contact des 1,3680 $.
C’est donc un véritable changement d’ère sur les marchés des changes qui pourrait survenir d’ici le 15 septembre avec les 1,30 $ en ligne de mire : c’est la règle du balancier en rapport avec la récente rupture des 1,45 $.
Un tel scénario ferait surgir un cortège de nouveaux problèmes tels que l’inversion des carry trade débouchant sur un tarissement mondial des liquidités, une période sombre pour les valeurs exportatrices américaines et des pertes considérables pour des fonds spéculatifs ayant persisté à jouer la tendance baissière du dollar puisque les Etats-Unis, sur le plan budgétaire, sont au bord de la faillite — et ne parlons pas du système bancaire, nous avons suffisamment évoqué ce sujet aujourd’hui.
Philippe Béchade,
Paris