▪ Même un sac de clous jeté en plein hiver sur les pentes de l’Everest ferait des bourgeons dans le climat boursier actuel. Tout grimpait la semaine dernière : les actions, le pétrole, les T-Bonds, les matières premières, les toiles impressionnistes, les céréales, l’indice Baltic du fret maritime, l’or, l’argent, le cuivre, le cacao, le nougat (enfin, nous supposons, puisque le paquet de 500 grammes a pris 5% depuis le 10 octobre chez le confiseur du quartier)…
En fait, nous avons vu s’envoler les cours de tout ce que les Chinois sont susceptibles d’acheter. Cependant, par un singulier phénomène de transfert de richesse virtuelle, cette furia haussière s’est déclenchée au moment même où les traders les mieux informés de Wall Street ont acquis la conviction — dès le début du mois de septembre — que la Fed allait faire rugir les moteurs de ses rotatives pour imprimer des millions de kilomètres de dollars. Un assouplissement quantitatif de 1 000 milliards de dollars équivaut en effet à cinq fois la distance de la Terre à la Lune en mettant bout à bout des coupures de 100 $ (15 cm de long) à l’effigie de Benjamin Franklin — il s’agit de la plus grosse coupure en circulation depuis 1969.
Tout se passe comme si cette manne allait se déverser directement sur la Bourse de Shanghai. Son principal baromètre, l’indice SSE, a bondi de 3% rien que pour la séance de vendredi ; cette performance se monte à +8,5% sur la semaine, à l’issue de cinq séances de hausse consécutives.
▪ Mais ces hausses tous azimuts n’impressionnent guère les commentateurs. Une série de sept semaines de hausse d’affilée — sans la moindre correction digne de ce nom — ne serait que la contrepartie d’un mauvais mois d’août.
Aucune des causes ayant provoqué la correction estivale n’a disparu. Tout au contraire, c’est justement parce que cela ne va pas s’arranger tout seul qu’il convient de croire au miracle du quantitative easing de la Fed.
Un double miracle en vérité puisque les précédents cycles expérimentés au Japon et de façon massive aux Etats-Unis en 2009 n’ont pas fonctionné.
Arrêtons de rêver. Lorsque l’on commence à trouver des explications à des phénomènes inédits ou absurdes, quand tout le monde gagne de l’argent et que la seule difficulté consiste à trouver assez de place pour mettre des zéros sur le chèque… c’est que l’on se trouve en présence d’une bulle — et que la première épine la fera éclater.
▪ Il y a un autre paradoxe : dans ce genre de système, aucun gérant n’ose prendre le risque d’être moins investi que son voisin. Les idées d’achat abondent parce que les analystes font assaut d’imagination pour expliquer que des titres déjà chers ont un potentiel de hausse en fait quasi-illimité.
La dictature du benchmark fait que les investisseurs veulent absolument posséder les actions qui ont le plus monté. Ils délaissent celles qui restent à la traîne.
La meilleure illustration nous est fournie par le système de "marché à deux vitesses" qui semble se mettre en place à Wall Street ces derniers temps. En effet, le Nasdaq s’envole de 2,8% sur l’ensemble de la semaine, tandis que le Dow Jones Industrial n’a grappillé que 0,5% après avoir abandonné 0,3% vendredi soir (à 11 062,8 points).
Le S&P s’en tire un peu mieux (+0,2% vendredi et +0,95% en hebdo) ; il reste cependant très en retrait des valeurs de croissance et des places européennes. Ces dernières engrangent entre 1,8% (CAC 40 et Eurofirst 80) et 2,9% pour le DAX 30.
▪ L’Allemagne est clairement dopée par la croissance de son principal partenaire commercial, la Chine. Les autres places n’ont bénéficié que du bref vent d’euphorie du mercredi 13 — bien orchestré, semble-il, à 48 heures de la journée des "Trois sorcières" — avant de chercher en vain des relais à la hausse au cours des deux séances suivantes.
Il est d’ailleurs assez singulier de voir les valeurs exportatrices de la Zone euro demeurer aussi bien orientées avec un dollar qui chute de 1,5% du lundi au vendredi. Il s’est ensuite redressé vers 1,3980 en fin de parcours à New York, alors que les marchés étaient clos en Europe depuis bien longtemps… et bien trop tard pour que cela leur profite.
Symétriquement, la relative contre-performance du Dow Jones et du S&P reste une source d’étonnement.
Un élément a toutefois clairement joué en faveur du Nasdaq (qui a bondi de 1,37%, soit 33,4 points à 2 468,8) : la flambée de Google (+11,2%) et de Seagate (+22%) sur des rumeurs de rachat par des fonds d’investissement qui laissent pourtant sceptiques de nombreux analystes. Seagate n’est ni une machine à cash, ni un groupe diversifié dont certains actifs seraient sous valorisés et "bankables" en cas de cession.
Mais dans le climat actuel, n’importe quelle idée d’achat semble bienvenue. Dès qu’un titre bouge, un phénomène mimétique mobilise immédiatement une foule d’acheteurs ou de vendeurs.
▪ Les vendeurs s’en sont pris au secteur bancaire suite au scandale des dossiers de crédit falsifiés. L’affaire prend une ampleur inattendue tant le nombre d’emprunteurs saisis (300 000 au troisième trimestre 2010, c’est le record depuis le début de la crise de l’immobilier) fait apparaître de manquements et d’irrégularités dans les contrôles initiaux.
De marginal, avec 10 000 dossiers suspects dans un premier temps, le phénomène est vite devenu exponentiel. Les estimations dépassent la barre des 100 000 et induisent des montants de provisions supplémentaires qui se chiffrent déjà en milliards de dollars… non compris le coût d’éventuelles poursuites "en nom collectif" (class actions) et d’amendes infligées par les autorités de tutelles.
▪ Mais le biais haussier continue de prédominer globalement. Les résultats canons de Google ont suffi à éclipser le recul de la confiance des consommateurs américains mesurée par l’université du Michigan (67,9 en données préliminaire pour le mois d’octobre, contre 68,2 au mois de septembre).
Les stocks des entreprises ont progressé de 0,6% aux Etats-Unis en août, contre 0,5% attendu. Cela démontre qu’il reste difficile d’écouler davantage de produits dans un contexte où la base de consommateurs solvables se rétrécit.
Ceux qui ont encore les moyens d’acheter se montrent dépensiers, cependant. Les ventes de détail ressortent en hausse de 0,6% (+0,4% hors automobile) au mois de septembre.
S’agissant des prix à la consommation, ils stagnent au niveau zéro. Cela alimente les craintes d’une déflation que Ben Bernanke évoquait dans une allocution retransmise depuis Boston vendredi vers 14h30. Le patron de la Fed confirme que son objectif, c’est 2% d’inflation, que le chômage demeure trop élevé, que le prix des logements reste trop bas, que la croissance s’avère inférieure à ce qui paraît souhaitable.
Il faut donc envisager des rachats d’actifs (assouplissement quantitatif ou QE)… Mais il déclare dans la foulée que les effets d’un QE sont mal connus : l’émission massive de 1 000 milliards de dollars de bons du Trésor US pourrait saper la confiance des créanciers des Etats-Unis. Nous espérons qu’ils ne resteront pas dans la lune si les dollars commencent à verdir sa surface !