La Chronique Agora

La FED recommande de se montrer "agile"… nous aussi !

** Cela survient complètement à contretemps ; c’était le scénario espéré une semaine auparavant, à la veille du long pont de Thanksgiving… et voilà que les acheteurs reviennent soudain en force pour arracher les cours à la hausse (+2,35% à Paris ou sur le S&P 500, et +2,6% sur l’Eurotop 100 ou le Nasdaq Composite).

Nous n’avions pas observé de flambée de cette ampleur depuis le 19 septembre dernier. C’était, vous vous en souvenez certainement, au lendemain de la baisse de 50 points du prime rate. Ce nouveau rally obéit à une logique très similaire puisque les investisseurs (disons 98% d’entre eux) ont acquis en l’espace de 48 heures la conviction que la Fed va de nouveau agir le 11
décembre prochain, et réduire son taux directeur de 25 points, à 4,25%.

Comme nous l’affirmions dès mercredi, plus les chiffres américains sont mauvais, plus les indices boursiers grimpent — et par bonheur, les statistiques du jour furent jugées pires que la veille ! Sans surprise, mais nous en découvrons une nouvelle preuve, le secteur immobilier est au plus mal depuis le début de l’automne outre-Atlantique : cela se traduit par une nouvelle chute de 1,2% des reventes des logements anciens (après une chute record de -8,2% en septembre), alors que les prix de l’ancien s’effondrent à un rythme annuel de -5,1%. C’est une correction d’une brutalité jamais observée en 17 ans (les prix du neuf reculent de 4,5%).

Mais la principale source d’inquiétude provient du spectaculaire gonflement du stock d’invendus, qui avoisine 11 mois de transactions immobilières (c’est le score le plus élevé dans la catégorie maisons individuelles depuis 22 ans). Un basculement symbolique — moins de ventes dans l’année que maisons offertes sur le marché — pourrait intervenir avant la fin de l’année.

Le mois de décembre est rarement un bon cru, du fait de la traditionnelle chute d’activité durant la période des fêtes. Néanmoins, pendant que les ménages américains vont faire leurs courses de Noël, le rythme des saisies/ventes aux enchères ne risque guère de fléchir cette année : les banques — dont la trésorerie vacille sous les coups de boutoir du subprime — vont tenter de faire rentrer le maximum d’argent dans leurs caisses d’ici le 31 décembre afin de présenter aux autorités monétaires des ratios de couverture « acceptables » avant le changement d’exercice fiscal.

Le trou d’air conjoncturel traversé par le secteur de la construction se répercute sur les commandes de bien durables qui ressortent en recul de -0,4% au mois d’octobre (après -1,4% au mois de septembre)… et ce qui est pire, de -0,7% hors secteur aérien, avec une baisse sensible des achats de véhicules privés ou utilitaires, et une déprime persistante dans le
secteur des matériaux de construction.

** Wall Street se contentait d’espérer un geste de la Fed mardi. Le suspens semble s’être complètement évaporé mercredi avec les dernières déclarations de Donald Kohn (le vice-président de la Fed), qui présentait son analyse de l’évolution des marchés et de la situation de crise de liquidité qui frappe les produits dérivés du crédit.

Il prône ouvertement une attitude de « pragmatisme » ; il réclame de la « souplesse » et de « l’agilité » de la part de la Banque centrale américaine face à une crise immobilière et un recul des prix dont la profondeur dépasse les anticipations de l’ensemble de ses collègues.

La flambée des « primes » dont sont assorties les émissions obligataires du secteur privé témoigne de la méfiance des banques les unes envers les autres. Cela pourrait affecter l’offre globale de crédit, induisant un risque de contraction de la croissance américaine — se pourrait-il que la hausse de 1,8% du PIB anticipée pour 2008 soit jugée « optimiste » ?

Comment ne pas interpréter un tel discours comme une mise en condition des marchés en vue d’un prochain assouplissement monétaire ?… Mais puisque les investisseurs achètent — comme des forcenés — « la rumeur », ne seront-ils pas tentés de vendre tout aussi agressivement « la nouvelle », surtout si Ben Bernanke indique que les pressions inflationnistes sous-jacentes interdisent à la Fed d’aller plus loin ?

Ce n’est évidemment pas la première fois que les marchés jouent le scénario de la baisse des taux depuis la mi-août, mais des gains égaux ou supérieurs à 2,5% n’ont pas été si nombreux au cours des trois derniers mois écoulés. Ce genre d’écart résulte souvent d’un savant mélange de facteurs dont les effets s’additionnent jusqu’à en devenir explosif.

** Nous évoquions la veille la mise en oeuvre d’opérations de window dressing à 48 heures de la fin du mois de novembre — lequel se soldait encore lundi par des pertes allant jusqu’à 8,5% pour le S&P et 11,5% pour le Nasdaq Composite.

Ces pertes — d’une ampleur jamais observée depuis septembre 2002 — se retrouvaient réduites de moitié dès la mi-séance à Wall Street mercredi soir, avec un Dow Jones affichant +300 points par rapport à mardi soir et +500 points par rapport à lundi matin !

Le CAC 40, d’après nos calculs, a fait mieux que le Dow en l’espace de six heures de cotations puisqu’il affichait jusqu’à +170 points (+3% exactement) sur ses planchers du jour (5 407 points). L’indice s’est envolé, tout comme vendredi dernier, dans le sillage de Dexia (+4,6%), Société Générale (+3,2%), Crédit Agricole (+4%), et BNP Paribas (+3,8%).

Les analystes du Crédit Suisse jugent les banques européennes sous-valorisées (à commencer par leur homologue helvétique UBS), alors que l’impact de la crise du subprime serait largement intégré dans les cours.

** Les gérants américains reprennent ces arguments à leur compte ; les Big Five de Wall Street reprenaient collectivement 5% pour la seconde séance consécutive, tandis que Citigroup s’envolait de 7%. Une façon originale de célébrer l’augmentation de capital la plus coûteuse de son histoire : 7,5 milliards de dollars d’obligations convertibles, assorties d’un coupon de 11% payable trimestriellement jusqu’en 2011.

Les clients de Citigroup peuvent au mieux espérer un rendement de 4% pour leurs excédents de liquidités : c’est de leur faute… ils n’avaient qu’à disposer des dizaines de milliards de réserves en pétrodollars des fonds souverains d’Abu Dhabi.

Nous faisons pourtant le pari qu’une partie de la clientèle des anonymes et des « sans grades » qui font encore confiance au numéro un américain auraient volontiers participé au sauvetage de leur banque et pris le risque de souscrire à une émission de convertibles, même pour une rémunération de 10% par an sur trois ans !

Alors pourquoi le choix de fonds étrangers pour recapitaliser Citigroup ? Parce qu’ils ne sont pas du genre à venir faire la queue pour retirer leurs billes comme de vulgaires épargnants britanniques devant les agences d’un Northern Rock ?

Des épargnants jugés peut-être trop « agiles » au goût des banquiers de Wall Street ?

Philippe Béchade,
Paris

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