La Chronique Agora

La dette doit être détruite

[NDLR : Françoise Garteiser, votre correspondante du week-end, est en congé pour quelques jours — errant quelque part sous les cryptomères de l’Okuno-in. En attendant de la retrouver la semaine prochaine, voici un éditorial de Bill Bonner paru il y a quelques jours dans le magazine MoneyWeek.]

▪ Dette delenda est

La dette était la bête noire du marché, ces derniers temps. En Europe, elle a emporté les Irlandais dans la tourmente. Puis elle s’est attaquée aux Portugais. Tout le monde savait que les états de la périphérie étaient en train de faire faillite. Le coût de leurs emprunts a grimpé en flèche. Mais lorsque les secours sont arrivés, les Irlandais les ont repoussés. La dette a son utilité, ont décidé les Irlandais.

Aux Etats-Unis, la dette municipale s’est effondrée de près de 10% au cours des deux dernières semaines. Il est devenu de plus en plus évident que les gouvernements locaux américains allaient eux aussi tout droit à la faillite. La Californie pourrait obtenir un renflouage… mais la Californie, comme l’Irlande, est un état souverain. Elle pourrait refuser. Les emprunteurs se sont inquiétés de ce que les Californiens et les Irlandais pourraient préférer faire défaut comme d’honnêtes incompétents, plutôt que de se soumettre aux termes des sauveteurs.

On sous-estime la dette. Pour commencer, elle est plus fiable que la valeur des actifs. La crise de 2007-2009 a effacé près d’un tiers de la richesse boursière et immobilière du monde. Et elle a fait disparaître sept millions d’emplois rien qu’aux Etats-Unis. Mais la dette a survécu, intacte. En termes de cash flow nécessaire pour l’entretenir, elle a même augmenté.

Les planificateurs centraux peuvent faire en sorte qu’une récession semble disparaître. Avec assez d’argent brûlant, ils pourraient convaincre les prix des actifs de grimper, ou le taux de chômage de baisser. Mais la dette ne coopère pas. Ni la politique monétaire ni la politique budgétaire ne la feront disparaître. La dette exige l’honnêteté. Le débiteur doit se confesser — admettre qu’il est soit un idiot, soit un filou. Soit il admet son erreur et fait défaut sur ses paiements… soit il triche.

"Avec tout le respect que nous leur devons, la politique des Etats-Unis n’a aucun sens", a déclaré le ministre des Finances allemand Wolfgang Schauble. "Ce n’est pas comme si les Américains n’avaient pas injecté assez de liquidités sur le marché. Dire maintenant ‘injectons-en plus’ ne va pas résoudre leurs difficultés".

Les anglophones font semblent de ne pas comprendre le problème de la dette. C’est très pratique. Ils ont travaillé dur à ne pas voir la crise de dette arriver. Ils ont construit leurs carrières et leurs réputations sur le fait qu’ils n’y comprenaient rien. Ils sont des milliers à travailler pour les gouvernements et les banques centrales… S’ils pigeaient le problème maintenant, ils devraient probablement démissionner.

Ils font semblant qu’il s’agit d’un manque de "liquidité". Ou un échec du capitalisme. Ou que les régulateurs ont manqué à leurs devoirs. Ce n’est rien de tout cela. Chacun de ces problèmes peut-être "réglé". Manque de liquidités ? Les autorités peuvent en rajouter autant que vous voulez. Le capitalisme s’est égaré ? Pas de problème, une fois encore ; les autorités appliqueront plus de planification centrale. Pas assez de réglementation ? Vous voulez rire : ajouter des règlements, c’est ce que les politiciens font de mieux.

Le véritable problème, c’est la dette. En Irlande, par exemple, les investisseurs, les ménages et les banquiers ont tous perdu la tête pendant l’ère de la bulle. Votre correspondant a acheté une maison en Irlande en 2006. Nous savions parfaitement qu’elle était trop chère. Nous avions parcouru les rues de Dublin. Nous avions vu des agences proposer des propriétés non seulement à Dublin… mais aussi à Dubrovnik. Nous avions entendu les gens dire que "l’immobilier ne baisse jamais".

A présent, cette maison vaut environ la moitié de ce que nous l’avons payée — si toutefois nous trouvions acheteur. Il n’y a pas de raison de penser que son prix reviendra un jour — du moins en termes réels — au niveau qu’il avait il y a trois ans. Cette richesse a disparu. Et avec elle le nantissement des banques et la valeur de la dette qu’elle soutenait. Tout cela est mort. Cela n’existe plus. Cela a cessé d’être. Cela se conjugue désormais au passé simple. Mais plutôt que de laisser les investisseurs obligataires des banques encaisser les pertes qu’ils méritaient, les autorités financières se sont précipitées à la rescousse, avec des garanties et plus de crédit. Le déficit de l’Irlande est passé à 30% du PIB. Sa dette nationale passera de 100% du PIB à 120%.

Pendant ce temps, la Californie se rapproche de la faillite — et emprunte plus, elle aussi. L’état est "dans le trou" à hauteur de 25 milliards de dollars, sans plan crédible pour s’en sortir. Selon le Milken Institute, le passif des retraites non-provisionnées devrait grimper à 10 000 $ per capita d’ici 2013. Comme l’Irlande, la Californie ne peut rembourser les dettes qu’elle a contractées. Le gouvernement offrira un renflouage… mais avec des conditions.

Et les renfloueurs ne tarderont pas à avoir des problèmes eux aussi. Selon le Wall Street Journal, 15 grands gouvernements nationaux devront emprunter à eux tous plus de 10 000 milliards de dollars l’an prochain pour financer leurs déficits et rembourser des obligations arrivées à maturation. Cela représente 27% de leur production économique totale. Cela représente également environ deux fois l’épargne mondiale totale.

Les autorités avertissent du risque de "contagion". Elles transpirent pour "calmer" les marchés. Mais pourquoi se donner tant de peine ? Une dette d’une telle ampleur ne peut être remboursée. Elle a mal tourné. Qu’on lui fasse des funérailles décentes, au moins.
Meilleures salutations,

Bill Bonner
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