La Chronique Agora

La crise risque d'être douloureuse (2)

Par Philippe Béchade (*)

Christian Rappaz : S’agissant de la chute des marchés financiers, le pire est-il devant nous ?
Philippe Béchade : Une chose est certaine : 2008 sera une année boursièrement difficile. Les marchés connaîtront des crises successives au gré des mauvaises nouvelles qui parviendront du front des crédits pourris et de la croissance mondiale. Et je n’ose pas imaginer ce qui arriverait si d’aventure la monstrueuse bulle spéculative qui enfle à Shanghai venait à exploser (un consensus ultra-majoritaire voudrait que rien de fâcheux ne se produise avant les Jeux olympiques de Pékin… mais rien n’est plus dangereux boursièrement que ce genre de "sentiment" unanime et qui relève du vœu pieux).

Ch. R. : Les banques appellent au calme et parlent de chasse aux bonnes affaires en ces temps de baisse des actions ?
Ph. B. : Les banques veulent avant tout rassurer les gens. La semaine dernière, elles se sont d’ailleurs refusé à parler de krach alors que techniquement, c’en était bel et bien un. Ceci dit, il est clair que dans le marché baissier qui s’installe, il y a aura quelques puissants rebonds et de belles opportunités à saisir. Suffisantes au moins pour que les banques puissent vous dire "vous voyez, il n’y a pas lieu de paniquer, vous perdiez 25 francs et maintenant vous n’en perdez plus que 15… et dans un mois vous aurez retrouvé votre mise.

Ch. R. : Que faire de son argent, alors ?
Ph. B. : Acheter de l’or sur repli vers 800 $. C’est la valeur refuge idéale contre la dégringolade du dollar et la hausse de l’inflation. L’or grimpera probablement jusqu’à 1 000 $ l’once dans les 12 mois à venir et peut-être 2 000 $ d’ici 2010 (exprimée en francs suisses [ou en euros], la progression apparaîtra certainement moins fulgurante mais un doublement de valeur reste une perspective alléchante).

Ch. R. : George Soros a déclaré à Davos que le monde vivait sa plus grave crise financière de l’après-guerre. Sous-entend-il que celle de 2007/2008 serait pire que 1929 ?
Ph. B. : Les conditions techniques de 1929 étaient différentes. A l’époque, seule une micro-minorité d’Américains qui avaient spéculé en bourse furent réellement ruinés au soir du 19 octobre.

La banque centrale ayant très mal géré la crise, refusant d’accorder les liquidités qu’elles réclamaient aux banques imprudentes, cela a suffi à faire s’écrouler tout le système financier.

Aujourd’hui, le savoir-faire des banques centrales et les outils à leur disposition se sont améliorés. Le problème, c’est que la quasi-totalité des ménages américains sont touchés : 65% d’entre eux sont propriétaires de leur logement et voient la valeur de leur patrimoine fondre comme neige au soleil. Comme nombre d’entre eux accusent un endettement parfois proche de 140% de leurs actifs (cela n’effrayait pas les agences de notation des emprunteurs individuels 12 mois auparavant), le cocktail est pour le moins explosif.

Ch. R. : Les Etats-Unis en récession, la contagion risque de se propager rapidement ?
Ph. B. : Je le crains, oui. La crise risque même d’être douloureuse avec une envolée de la précarité et du chômage. Seule consolation, l’économie ralentissant, le prix du pétrole pourrait baisser. Peut-être aux environs de 60 $ le baril, ce qui autoriserait la BCE à baisser enfin ses taux.

Ch. R. : Certains économistes estiment que les pays émergents, la Chine et l’Inde en tête, avec leur croissance à deux chiffres, peuvent éviter cette récession au monde ?
Ph. B. : A condition que la bulle boursière chinoise (et immobilière en Inde) n’éclate pas et que le pouvoir d’achat par habitant augmente… afin que ceux-ci puissent augmenter leur consommation et prendre le relais de ménages américains asphyxiés de longue date par le surendettement.

Mais comme la croissance de ces pays repose essentiellement sur les exportations vers les Etats-Unis, déjà entrés en récession, et le monde occidental, cela me paraît très compliqué.

Ch. R. : Dans vos analyses, vous anticipez une forte crise de l’immobilier…
Ph. B. : Elle est largement avérée aux Etats-Unis évidemment, où le nombre des maisons invendues atteint un niveau record (10 mois de stocks, du jamais vu depuis 30 ans), en Espagne, où 40 000 des 80 000 agences immobilières du pays ont déjà fermé boutique en 2007, et en Angleterre (prix multipliés par trois à Londres en 10 ans).

D’autres pays — où le volume de crédit accordé par les banques locales est plus parcimonieux — tels que la Suisse et l’Allemagne devraient tenir le choc, mais il ne faut pas se faire d’illusions, la masse salariale continuera de servir de variable d’ajustement : les statistiques officielles feront état d’une économie qui résiste, mais la réalité quotidienne des salariés et des épargnants risque d’être aussi sombre que lors des récessions précédentes.

Meilleures salutations,

Philippe Béchade
Pour la Chronique Agora

(*) Philippe Béchade rédige depuis dix ans des chroniques macroéconomiques quotidiennes ainsi que de nombreux essais financiers. Intervenant quotidien sur BFM depuis mai 1995, il est aussi la ‘voix’ de l’actualité boursière internationale sur RFI depuis juin 2002. Analyste technique et arbitragiste de formation, il fut en France l’un des tout premiers ‘traders’ mais également formateur de spécialistes des marchés à terme. Directeur de la rédaction aux Publications Agora, vous trouvez chaque jour ses analyses impertinentes des marchés dans La Chronique Agora et écoutez ses recommandations boursières sur notre ligne audiotel.

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