La Chronique Agora

La course aux terres agricoles est lancée

** Au cours de l’été, l’Iran a acheté une grande quantité – plus d’un million de tonnes – de blé en provenance des Etats-Unis.

C’est quelque chose qui ne s’était pas vu depuis 27 ans. Dans le cas de l’Iran, une sévère sécheresse a amputé un tiers des récoltes de blé, obligeant le pays à se tourner vers l’étranger. Mais tout de même, le fait que l’Iran ait dû s’adresser aux Etats-Unis est révélateur. C’est un peu comme si Lee avait demandé à Grant de partager quelques rations au cours de l’été 1863. Comme le dit un analyste : "Vous pensez vraiment que les Iraniens se tourneraient vers les Etats-Unis s’ils avaient la possibilité de s’adresser à qui que ce soit d’autre… Ils ratissent le monde entier à la recherche de blé. Ils achètent le blé américain parce que c’est le seul qu’ils puissent acheter."

Les marchés, comme pour de grands drames improvisés, élaborent leurs propres intrigues en temps réel. Aujourd’hui une nouvelle histoire se trame au sein du boom de l’agriculture. Elle débute avec des importateurs qui ont de moins en moins d’alternatives quand ils partent à la recherche de grandes quantités de céréales de qualité. Mais en toile de fond on découvre un problème bien plus profond : une émergente pénurie en sols fertiles.

** En fait, les terres arables pourraient devenir plus importantes pour la valeur des terrains que le pétrole ou les minéraux souterrains. Certains prétendent qu’elles sont déjà des atouts stratégiques au même titre que le pétrole.

Vous en doutez ? Considérez les restrictions grandissantes sur les exportations autour du globe, qui agissent comme une sorte de clôture afin de conserver les denrées à l’intérieur des frontières. L’Inde restreint ses exportations de riz. L’Ukraine suspend tout bonnement ses expéditions de blé. Le nombre de régions exportant des céréales a fondu, comme les troupeaux de bisons en voie de disparition. Avant la Seconde Guerre mondiale, seule l’Europe importait des céréales. L’Amérique du Sud, aussi récemment que pendant les années 30, produisait deux fois plus de céréales que l’Amérique du Nord. L’ancienne Union Soviétique, quelque soient ses défauts, exportait. L’Afrique était autosuffisante. Aujourd’hui, restent seulement trois exportateurs majeurs de : l’Amérique du Nord, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

C’est sans surprise, donc, que la confiance en l’approvisionnement pour la chaîne alimentaire mondiale se trouve au plus bas. C’est pourquoi la course à l’obtention de terres agricoles a commencé. L’Arabie Saoudite, par exemple, possède très peu d’atouts qui lui permettraient de produire sa propre nourriture. "Le royaume", rapporte le Financial Times, "parcourt le globe à la recherche de terres arables, recherche qui a conduit les officiels saoudiens au Soudan, en Ukraine, au Pakistan et en Thaïlande." La quête de l’Arabie Saoudite n’est pas de celles qui peuvent être poursuivies en solitaire. Il y a beaucoup d’autres chasseurs.

La Libye cherche à louer des fermes en Ukraine. La Corée du Sud s’intéresse à la Mongolie. Même la Chine contemple la possibilité d’investir dans des terres agricoles en Asie du Sud-Est. Si la Chine possède d’abondantes surfaces cultivables, elle ne possède pas assez d’eau.

"C’est une nouvelle tendance au sein de la crise globale de la chaîne alimentaire", déclare Joachim von Braun, directeur le l’institut International de Recherche de la Politique Alimentaire. "La force dominante aujourd’hui est d’assurer l’approvisionnement en nourriture." Les prix des produits alimentaires reflètent cette tension.

** Les medias se concentrent sur des problèmes de population, de changements des habitudes alimentaires et sur l’impact des biocarburants. La chose dont on ne parle pas pourrait pourtant s’avérer la plus importante : une pénurie grandissante en terrains cultivables de qualité. Appelez ça la crise des terres arables.

Un sol de qualité est lâche et tassé, rempli de poches d’air et regorge de vie. C’est un microsystème complet. En moyenne, la planète ne possède pas plus d’UN mètre de terre cultivable sur sa surface. Le problème est que nous la perdons plus vite que nous ne pouvons la remplacer. Et la remplacer n’est pas facile.

Cela n’a pas échappé aux investisseurs avisés. Jeremy Grantham, le patron de la société de gestion GMO, a écrit à propos du déclin des terres dans sa dernière lettre trimestrielle. "Nos fermiers sont assis sur une mine d’or ! Oui, la terre est incroyablement profonde, mais elle a ses limites."

Au cours des dernières décennies du XXe siècle, la superficie allouée à de nouvelles cultures par défrichage compensait les pertes globales. Dans les années 80, la surface des terres agricoles a commencé a diminué pour la première fois depuis que cette humble humanité a commencé à cultiver les riches terres du Tigre et de l’Euphrate. Elle continue à chuter aujourd’hui.

Nous perdons des surfaces cultivables au profit du développement, de l’érosion et de la désertification. "Globalement, il est clair que nous érodons les sols beaucoup plus vite qu’ils ne peuvent se reformer", déclare John Reganold, un géologue de l’université de Washington. Les estimations sont variables. Aux Etats-Unis, l’académie nationale des Sciences dit que nous sommes en train de les perdre 10 fois plus vite qu’ils ne sont remplacés. Les Nations unies disent que sur le plan mondial, les pertes sont 10 à 100 fois plus rapides que les remplacements.

Quoiqu’il en soit, il est prudent de reconnaître que les réserves en terres arables sont clairsemées. Achetez des terres agricoles. C’est difficile à réaliser en temps qu’investisseur individuel, mais il existe quelques possibilités. Plus d’idées d’investissement vont sûrement apparaître au cours du temps. La crise des terres arables va durer longtemps. Entre temps, cependant, les investisseurs pourraient avoir envie de revisiter l’expression "aussi bon marché qu’une poignée de terre".

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