La Chronique Agora

La cigale chinoise n’est plus prêteuse !

 

▪ Wall Street semblait considérer mardi soir que la défaite annoncée de la candidate démocrate (à la succession d’Edouard Kennedy) dans le Massachusetts comme une excellente nouvelle. Avec la perte de sa majorité au Sénat, Barack Obama se retrouve à la merci des campagnes d’obstructions systématiques des républicains au Congrès.

Quoi que le président des Etats-Unis tente de faire pour relancer la croissance ou éponger une partie du gigantesque déficit américain, il lui faudra batailler pendant des mois, sans certitude sur l’aboutissement de ses projets de réformes.

Son incapacité à faire changer les choses lui coûte déjà une défaite électorale dans le Massachusetts, un fief démocrate depuis plus de 40 ans. L’hostilité du Congrès US pourrait sceller son impuissance politique et aggraver la détérioration de son image publique.

Le fait que Boston (la ville qui compte le plus grand nombre d’intellectuels, d’avocats, de chirurgiens de renom et de licenciés dans les clubs de golf des Hamptons) ait basculé dans le camp républicain ne manque pas de surprendre les politologues. Le désenchantement semble à la mesure des espoirs suscités par le « yes we can » : le sentiment est que tout peut… et risque de rester en l’état.

Ben Bernanke est reconduit à la tête de la Fed, laquelle continue de créer de la monnaie de singe. Tim Geithner continue de chouchouter les banquiers qui ont tant fait pour qu’il obtienne son poste de secrétaire américain au Trésor et s’accommode du gonflement démesuré de la dette — le contribuable paiera. L’argent des plans de relance suffit à peine à freiner la spirale des destructions d’emploi, le taux de chômage réel se situe beaucoup plus près des 20% que des 15%, l’immobilier continue de déprimer (les mises en chantier ont chuté de 4% en décembre).

▪ Nombreux sont les républicains qui se frottent déjà les mains. L’administration Obama semble aller droit dans le mur après s’être pris les roues dans l’ornière boueuse de la récession et des déficits. Vu des faubourgs populaires de Washington, elle donne l’impression de ne même pas tenter de tourner le volant pour changer de trajectoire.

Il faut dire que les banquiers de Wall Street ont dévissé la colonne de direction (plus personne n’a le droit de leur donner de directives une fois le TARP remboursé) puis purgé le circuit de freinage de tout le liquide qu’il contenait. Aucune instance de contrôle ou de régulation de leurs activités n’a pu voir le jour grâce à un intense lobbying auprès du Congrès des membres du G20 ces 12 derniers mois.

Cela a coûté pas mal d’argent mais le retour sur investissement est plus qu’appréciable. Les pertes cachées des banques restent plus que jamais inconnues du grand public ; les conduites à risque et le détournement de l’argent du contribuable à des fins spéculatives ont repris de plus belle et les bonus pleuvent !

▪ Oui, tout ce qui précède réjouissait bruyamment Wall Street mardi soir. La fête aurait probablement pu battre son plein durant une bonne partie de la séance de mercredi… si la Banque centrale chinoise n’avait fait savoir dès hier matin qu’elle avait décidé de siffler la fin de la récréation spéculative à crédit.
Les deux premiers coups de sifflet (hausse du taux de dépôt puis relèvement des réserves obligatoires des banques nationales) avaient été apparemment couverts par les cris de joie des spéculateurs qui s’éclataient à Shanghai et Shenzhen.

C’est la Commission de régulation bancaire chinoise qui s’est chargée de calmer tout le monde en appuyant sur le bouton de la sirène d’incendie. Cette fois-ci, elle réussit à capter l’attention des marchés car elle se montre assez précise au sujet de ses objectifs : contenir le volume de nouveaux crédits sous la barre des 7 500 milliards de yuans (773 milliards d’euros) cette année contre 9 590 milliards de yuans (966 milliards d’euros) l’an passé.

Cela représente une contraction de 20% : cela semble difficile à envisager compte tenu des mauvaises habitudes prises ces derniers mois par les ménages chinois. Ces derniers n’ont d’ailleurs fait qu’obéir au voeu du gouvernement de voir la demande intérieure compenser l’absence de plus en plus sensible des consommateurs occidentaux.

Le taux de croissance de la masse du crédit avait été vertigineux en 2009. Selon la Banque centrale, il aurait été de +95%, soit un quasi-doublement par rapport à une année 2008 « olympique » où tous les records d’endettement avaient été battus.

Nous ne savons pas si une contraction de 20% du volume des prêts en 2010 est un objectif réalisable. Cependant, nous parions que même si Pékin parvenait seulement à contenir le volume des nouveaux crédits sous la barre psychologique des 1 000 milliards de yuans, les agents économiques considèreraient que les conditions sont devenues « restrictives ».

▪ Il n’a pas fallu longtemps pour que les investisseurs prennent conscience des implications de ce changement de position radical des autorités monétaires de Pékin : la Bourse de Hong Kong a chuté de 1,8% et celle de Shanghai a dévissé de 2,8%.

En Europe, les pertes se sont amplifiées tout au long de la séance, de même que les volumes,  qui grimpent à 3,8 milliards d’euros à Paris. Le CAC 40 a abandonné au final 2%, à 3 929 points dans le sillage du Dow Jones (-1,75%) et du Nasdaq (-2% à mi-séance). La cascade de records inscrits par les indices américains mardi soir pourrait avoir constitué le chant du cygne du mouvement de hausse amorcé le 18 décembre dernier.

Chez nos voisins, Londres reculait de 1,8%, Francfort de 2,1%, Milan de 2,45%, Madrid de 2,65% et enfin l’Euro-Stoxx de 2,35% — la plus forte correction depuis le 26 novembre dernier.

▪ Parmi les conséquences les plus spectaculaires du durcissement de ton chinois, il faut souligner l’envolée de 1,5% du dollar, jusque vers 1,4080/euro en quelques heures. Cela tend à prouver que de nombreux opérateurs s’empressent de déboucler leur carry trade (euro/dollar) et manifestent de la sorte une soudaine aversion au risque. Le mouvement atteint une rare intensité depuis le 13 janvier puisque le billet vert reprend 3% en cinq séances.

Lorsque le marché des changes commence à subir ce genre de pic de volatilité, c’est qu’un séisme boursier n’est pas loin de se produire… où qu’un tsunami est déjà en formation au large de Wall Street. Il pourrait s’agir cette fois-ci de l’amorce d’un gigantesque glissement sous-marin de la valeur des dettes gouvernementales. Il reste encore invisible aux yeux des investisseurs mais une curieuse vague frangée d’écume se dessine déjà au ras de l’horizon. Il est grand temps de gagner les abris.

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