La Chronique Agora

La Chine, un mystère drapé dans une énigme

▪ Trop et trop peu de gens, trop et trop peu d’argent : une histoire si épique que beaucoup préfèreraient l’oublier et un avenir si incertain que tout le monde est prêt à parier dessus. On a parfois l’impression que l’économie de la Chine est hors de contrôle. Un monstre, de ceux que le monde n’a encore jamais vu, qui se précipite en avant à la vitesse de la lumière, imprévisible et, à la grande confusion et au grand désarroi de tous ceux qui cherchent à la comprendre, totalement insaisissable.

Jim Chanos, qui est peut-être le plus grand vendeur à découvert du monde et l’homme le plus intelligent dans de nombreux cercles, est baissier sur l’empire du Milieu. Baissier comme dans : "La Chine, c’est Dubaï puissance 1 000, voire un million". Jim Rogers, peut-être le meilleur investisseur dans les matières premières, est haussier. Haussier comme dans : "La Chine va devenir le pays le plus important du XXIe siècle."

Il va sans dire que votre chroniqueur n’est pas Chanos. Il n’est pas non plus Rogers. Il ne s’appelle même pas Jim, d’ailleurs ! Pour nous, la Chine est un mystère, enveloppé dans une énigme, et encerclé, comme nous en informent les gourous d’Internet, par le Grand Firewall de Chine. Pour beaucoup de spectateurs comme nous, tout pays où Google n’est pas le premier moteur de recherche pourrait tout aussi bien être une autre planète à lui tout seul.

▪ Et pourtant son charme, débordant de possibilités et d’opportunités, est irrésistible. Combien d’entrepreneurs occidentaux se sont grattés la tête et ont pensé : "si seulement je pouvais convaincre un millier de personnes d’acheter mon gadget, de lire mon livre, d’écouter mon message". En Chine, si vous portez un t-shirt, 1 300 personnes portent le même.

Dès le milieu de cette décennie, beaucoup pensaient déjà que le XXIe siècle appartiendrait, d’une façon ou d’une autre, dans le fond ou dans la forme, aux Chinois. Leur population est trop nombreuse pour être concurrencée, et trop compétitive pour être sous-estimée. Quand les Etats-Unis ont neuf villes de plus d’un million d’habitants, et que le Royaume-Uni en a deux, la Chine en a plus de 160.

Des histoires fantastiques de constructions de mégalopoles remplissent les magazines distribués dans les avions du monde entier. Vingt villes qui pourraient accueillir chacune vingt millions de personnes, la plus grande migration humaine jamais connue. Nous avons regardé le PIB de l’empire du Milieu atteindre des taux de croissance à deux chiffres, augmenter année après année. La suprématie mondiale semblait mathématiquement inévitable. Leurs usines fonctionnaient jour et nuit tandis que les économies occidentales, fondées sur la consommation, acheminaient des bateaux entiers de liquidités jusqu’aux côtes chinoises en échange de tout et n’importe quoi que les Chinois produisaient à la chaîne.

Le gouvernement chinois s’est senti tellement galvanisé par l’industrie et le progrès de son peuple qu’il a prêté aux Occidentaux l’argent nécessaire pour qu’ils leur achètent leurs gadgets locaux. Personne — si ce n’est peut-être les Vietnamiens et les Cambodgiens — ne pourrait travailler comme les Chinois… et personne ne le ferait à un prix si bas. Personne, apparemment, ne pouvait être aussi vif qu’eux. De fait, les consommateurs américains ont été tellement impressionnés par l’industrie chinoise qu’ils ont hypothéqué leurs propres maisons et leur avenir pour la financer.

▪ Mais ensuite les choses ont pris une mauvaise tournure. La crise du crédit a touché Wall Street et Monsieur Tout le monde.

C’est à ce moment-là que la Bourse chinoise a commencé à suivre la trajectoire approximative des sondages de popularité des dirigeants d’AIG. En un an, près des deux-tiers de la valeur de l’Indice CSI 300 de Shanghai ont été balayés. L’investissement étranger direct s’est évaporé quand les fonds institutionnels des pays lointains ont rapatrié les allocations pour couvrir les appels de marge qui s’effondraient chez eux. Les usines ont ralenti. Beaucoup ont fermé. Les nuages au-dessus de Pékin on commencé à faire circuler des rumeurs à propos de "rayons de soleil" et "d’air pur".

Pour la première fois en une décennie ou plus, les gens ont commencé à regarder au-delà des chiffres stupéfiants de la Chine. Les investisseurs timorés ont commencé à douter de la durabilité et de la capacité — plus précisément de la surcapacité — du pays.

En résumé, ils voulaient savoir si la Chine survivrait alors que son meilleur client, les Etats-Unis, était recroquevillé en position foetale de l’autre côté du Pacifique. Si les consommateurs de la grande économie de consommation étaient forcés d’épargner, qu’arriverait-il à l’économie chinoise, qui repose à 70% sur les exportations ?

Le problème, ont dit les experts, c’est que pendant que les Américains s’empiffraient, les Chinois jeûnaient. Là où l’Occident avait dépensé, l’empire du Milieu avait épargné. Un déséquilibre catastrophique s’est alors formé, ont-ils dit, un déséquilibre qui menaçait de décrocher le monde de son axe et de l’envoyer dans l’hyper-espace. Donc, au beau milieu de la crise financière nourrie par les dettes la plus épique du siècle, le monde a mis tous ses espoirs de reprise sur l’ouvrier chinois.

"Commencez à dépenser !" l’ont-ils imploré. "Prenez une carte de crédit et commencez à accumuler des dettes ! Si vous ne le faites pas, nous sommes tous condamnés !"

▪ Pour l’instant, tout va bien, selon Romeo Dator, co-gestionnaire du China Region Fund. Dator fait remarquer que les dépenses en achats au détail demeurent solides en Chine, plus 16% en octobre par rapport aux chiffres de l’année dernière. La production industrielle a augmenté de la même manière, dit-il, et les constructions de nouvelles maisons ont augmenté de 50% sur un an, pour le deuxième mois consécutif. Dator mentionne la consommation des ménages parmi ses cinq raisons d’être haussier sur la Chine.

Puru Saxena, un de nos collègues, installé à Hong Kong, est également enthousiaste en ce qui concerne la consommation solide de la Chine. Saxena nous apprend que 900 000 voitures sont vendues chaque mois dans ce pays, et que "d’ici la fin de cette année, les pays asiatiques vont remplacer l’Amérique en tant que plus grand marché automobile mondial". La tendance est identique pour les autres biens des ménages comme les réfrigérateurs, les motos et les téléphones portables.

Et puis il y a les 2 300 milliards de dollars que la Chine détient en réserve de change, le trésor de guerre des investissements stratégiques dans les ressources naturelles qu’elle possède en Asie, en Australie, en Afrique, au Canada et en Amérique du Sud, les liens commerciaux avec d’autres pays émergents et même un bureau de La Chronique Agora à Taipei. La liste est sans fin…

▪ Mais rien n’évolue en ligne droite, cher lecteur — ni vers le haut ni vers le bas. La Chine a plus de maux de têtes politiques qu’un psychiatre de Washington, et encore près de 200 millions de ses habitants vivent — survivent — avec moins de 5 $ par jour. Pour plein de raisons, c’est également une zone de catastrophes environnementales avec des gens qui subissent les conséquences de la croissance galopante de leur pays.

Selon Ma Jung, directeur de l’Institut des Affaires Publiques et Environnementales de Pékin, et auteur de China’s Water Crisis (NDLR : La Crise de l’Eau en Chine), 400 des 600 villes chinoises doivent faire face à des pénuries d’eau, dont 100 qui pourraient subir des manques importants. Ne serait-ce que pour répondre aux besoins des citadins, Ma Jung estime que le pays a besoin de 40 milliards de mètres cubes d’eau supplémentaires par an, soit un dixième du volume du lac Erie. Et c’est sans parler des 300 millions de personnes qui vivent dans des zones rurales.

De fait, ce ne sont pas des problèmes anodins, mais les aspirations de la Chine ne sont pas non plus modestes en termes de taille et de perspectives. Des fortunes vont se faire et se défaire pendant le siècle à venir, dans le monde entier… mais surtout en Chine.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile