Par Emmanuel Gentilhomme (*)
Avec une production de l’ordre de 270 tonnes l’année dernière, la Chine est maintenant en tête des pays producteurs d’or, devant l’Afrique du Sud. Sa croissance économique de l’ordre de 10% l’an stimule la demande de métal, qu’elle provienne des particuliers ou des entreprises.
Libéralisation aurifère à la chinoise
Discrètement, la Chine s’est dotée d’un marché de l’or, mettant fin à 50 années d’un monopole d’Etat exercé par la Banque populaire de Chine — la banque centrale chinoise. C’était en octobre 2002, lorsque le Conseil d’Etat a créé la Bourse de l’or de Shanghai, (Shanghai Gold Exchange, SGE). On ne peut pas dire que Pékin soit bien loin, puisque c’est la banque centrale chinoise qui s’en est occupée.
Depuis lors, la Chine n’en dispose pas moins d’un marché organisé du métal jaune, sur lequel acheteurs (comme les joailliers, les banques, etc.) et vendeurs (principalement les groupes miniers) peuvent se "rencontrer". En outre, le SGE respecte des règles proches de celles du LBMA, le marché international de Londres, le plus important au monde pour le négoce physique de l’or. On notera d’ailleurs que parmi les principes qu’il annonce respecter, le SGE cite (texto), "l’ouverture, l’équité, la justesse, et l’honnêteté". N’est-ce pas magnifique…
Les tribulations de l’or en Chine
La Chine voit loin, en voici la preuve. Lors d’une conférence organisée à Lisbonne en 2003, Shen Xiangrong, président du SGE, a fait part de ses trois principaux objectifs : "ouvrir le marché de l’or à l’investissement en proposant la livraison physique du métal" ; "attirer les investisseurs individuels en proposant de nouveaux produits", car "nous considérons le marché des investisseurs individuels comme un complément naturel du marché physique" ; et enfin "intégrer la Bourse de l’or de Shanghai aux marchés internationaux afin d’en faire un marché financier centré sur l’activité d’investissement".
Le ton est clair : cette Bourse de l’or a été créée pour faciliter le négoce du métal fin dans le pays, ce qui revient à dire qu’elle contribue à étendre le marché de l’or. Autre qu’il vous fait bien noter : dès le départ, les Chinois envisagent l’or comme une matière première, mais aussi comme un véhicule d’investissement.
Qui profite de cette Bourse ? D’abord, comme le remarque Shen, les particuliers chinois : avant 2002, c’était au camarade Banquier central qu’il fallait s’adresser pour échanger de l’or. Autant dire que la détention de métal était difficile, et que la confiance ne régnait pas vraiment… Grâce à cette Bourse de l’or et à ses différents courtiers, les Chinois peuvent acheter et vendre des produits d’investissement en or (par exemple, la pièce "panda" pesant une once d’or, mais d’autres produits sont à l’étude), suivant un prix de marché affiché en yuans par gramme. C’est tout de même plus pratique !
Gold is business
Bien évidemment, les particuliers ne sont pas les seuls visés. En organisant son marché de l’or, la Chine souhaite aussi — et, dirais-je, avant tout — servir les intérêts de sa "communauté des affaires", en mettant à sa disposition une gamme de produits aurifères similaire à celle dont disposent les sociétés occidentales. Mineurs, joailliers, bijoutiers, mais aussi industriels de l’électronique et sociétés de services financiers : tous sont concernés.
Certes, le marché de l’or "au comptant" qu’est le Shanghai Gold Exchange constituait un bon début. Mais ce n’était pas suffisant : pour se prémunir des fluctuations des cours du métal jaune — ou pour en profiter –, les industriels — ou les investisseurs… — ont aussi besoin de produits dérivés. Par exemple des futures, ou "contrats à terme" en bon français. Un future est un contrat par lequel des parties s’engagent à acheter — ou à vendre — une certaine quantité d’un produit, à une date et un prix fixés à l’avance. Ces contrats sont bien connus des courtiers américains du NYMEX. Aux Etats-Unis s’échangent des futures sur toutes les matières premières, de l’or noir à l’or jaune en passant par le soja et le boeuf.
Depuis un mois, les courtiers chinois peuvent faire de même sans quitter l’Empire du Milieu. Le 28 décembre dernier, le régulateur chinois a donné son feu vert à la négociation de contrats à terme sur l’or. Où donc ? Sur le Shanghai Futures Exchange, qui traitait déjà des futures sur le zinc, le pétrole et le polyéthylène.
Nous verrons la suite dès demain…
Meilleures salutations,
Emmanuel Gentilhomme
Pour la Chronique Agora
(*) Emmanuel Gentilhomme est journaliste et rédacteur financier. Il a collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale. Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macroéconomie et à tous les domaines de l’investissement.