La Chronique Agora

La célébrité vaut 50 milliards de dollars au pays où la croissance vaut 0,1%

▪ Un tout récent sondage datant des toutes dernières heures de l’année 2010 nous offre un panorama édifiant de la quasi-unanimité des investisseurs anglo-saxons concernant l’orientation haussière des marchés en 2011. 45% anticipent une progression supérieure à 10% des actions (dont la moitié s’attend à plus de 15%), 37% prévoient une année en dents de scie mais qui s’achèverait sur une note neutre à légèrement positive (ils vont conserver leurs titres pour encaisser les dividendes).

Ils ne sont donc que 18% à considérer que les cours sont déconnectés de la réalité ou ont trop progressé ces derniers mois. Ils ont certainement tort d’un point de vue technique puisque, dans l’ambiance actuelle, n’importe quelle valorisation –- même astronomique — fait l’affaire, du moment qu’un analyste influent invoque une nouvelle méthode mirobolante.

Hier, Apple prenait par exemple 2% supplémentaires d’entrée de jeu (à 330 $), ce qui propulse sa valorisation boursière au-delà des 300 milliards de dollars — soit six fois le chiffre d’affaires et un multiple de 20 fois les bénéfices 2010, ce qui demeure raisonnable si 2011 est de la même eau que 2010. Dans le même temps, Goldman Sachs valorise le portail Facebook de 50 milliards de dollars alors que le chiffre d’affaires (à peine 2 milliards de dollars) est en réalité microscopique et que les recettes actuelles ne couvrent même pas les frais de maintenance et l’achat de la bande passante.

Facebook revendiquerait 500 millions d’utilisateurs — dont 250 millions de profils actifs. Autrement dit, selon Goldman Sachs, qui rêve d’introduire ce portail en bourse et multiplier sa mise de départ de 500 millions par 10, le calcul est vite fait : chaque internaute se connectant une fois par mois sur le site vaut 100 $. C’est-à-dire bien plus que l’internaute surfant sur eBay ou Yahoo qui sont des marques qui ont une véritable légitimité en tant que support publicitaire.

Pourquoi 100 $ ? Parce que c’est Goldman Sachs qui le dit !

Voilà, le débat est clos, GS a parlé et Wall Street accueille cette vérité révélée avec dévotion.

Mais que les investisseurs ont la mémoire courte !

▪ Se souviennent-ils seulement du nombre de procès intentés à Goldman Sachs entre 2000 et 2003 pour avoir introduit en bourse des dizaines de dot.com qui firent faillite dans les 18 mois suivant leur entrée en bourse ? Et pourtant les documents initiaux indiquaient une valorisation délirante et des perspectives de chiffre d’affaires à donner le vertige… tandis qu’en interne, les initiés traitaient ces mêmes baudruches de « daubes », de « pièges à nigauds » (pour rester correct).

Les ficelles étaient si grosses et l’arnaque était tellement voyante que Goldman Sachs a préféré conclure des transactions avec les plaignants plutôt que d’aller jusqu’au procès (perdu d’avance).

Ce passé glorieux — aucune condamnation officielle, juste de vilains soupçons de manquements à l’éthique — explique pourquoi aujourd’hui, GS peut affirmer sans provoquer un concert de ricanements qu’une entreprise qui ne réalise pratiquement aucun chiffre d’affaires et ne dégage pas de profits vaut 50 milliards.
Dans ces conditions, toutes les valeurs de croissance sont effectivement outrageusement sous-évaluées et le Nasdaq n’a aucune raison de rester ancré autour de 2 700 points : les chiffres sont simplement inscrits à l’envers et il faut donc comprendre 7 200 points.

▪ Comme le concept de place « bon marché » s’applique tout particulièrement à la Bourse de Paris (-3,3% en 2010), le CAC 40 réalise une entame d’année tonitruante (+2,5%) et termine largement en tête du peloton européen, loin devant Frankfort (+1,1%), Amsterdam et Milan (+1,3%) ou Madrid (+0,25% seulement).

Les pertes de la semaine passée sont intégralement effacées en quelques heures. Cette remontée s’est effectuée de façon d’autant plus aisée que les volumes d’échanges sont quasi inexistants et semblent calqués sur la période de trêve des confiseurs avec moins de 1,8 milliard d’euros échangés ce lundi grâce à des applications techniques au moment du fixing — soit à peine 150 millions d’euros à l’heure d’échanges réels.

Wall Street poursuit sur sa lancée du mois de décembre, le meilleur des 20 dernières années, avec de nouveaux plus-hauts en série depuis deux ou trois ans sur les indices historiques et le Nasdaq (qui bondit de 1,85%).

Le Dow Jones grimpait de 1,1% en moins d’une heure (au-delà des 11 700 points, un niveau proche de ses records de mars 2000) avec 28 sur 30 de ses composantes dans le vert les 10 principaux compartiments du S&P 500 (+1,40%) étaient également en progression.

C’est un ramassage généralisé qui s’opère et qui reprend le schéma observé dès ce matin en Asie puis en Europe.

En ce qui concerne les vedettes du jour (100% de titres en hausse au sein du CAC 40), hormis les banques qui s’envolent de 3,5% en moyenne, le mot d’ordre semble être : « on reprend les vedettes du second semestre 2010 et on relance les mêmes programmes de trading automatisé mis en oeuvre tout au long du quatrième trimestre ».

▪ De l’avis général, 2011 devrait être la copie conforme de 2010 avec la priorité aux émergents et un ramassage permanent des actions sur fond de taux maintenus durablement à un niveau exceptionnellement bas — la Société Générale voit le CAC 40 s’envoler de 20% cette année. Nul n’envisage que le niveau astronomique des déficits américains, qui vont être revus à la hausse incessamment (bien au-delà des 14 300 milliards de dollars), puisse causer des soucis à Wall Street.

Les problèmes de surendettement et de baisse de notation des dettes souveraines, cela ne concerne que l’Europe, une zone toujours aussi affaiblie par une absence de politique fiscale et économique commune.

Les mêmes poncifs, la même foi dans la capacité des Etats-Unis à se surendetter éternellement moyennant une création monétaire illimitée entretient le même genre d’optimisme qui prévaut depuis début septembre 2010 et les premières spéculations sur la mise en oeuvre d’un quantitative easing 2.

La récente tension des taux longs (au-delà de 3,5% sur le T-Bond « 10 ans ») est perçue comme un épiphénomène passager, un simple ajustement lié à des arbitrages en faveur des actions et de quelques matières premières.

▪ Une nouvelle venue d’Asie semblait paradoxalement soutenir le moral des investisseurs. La croissance de l’activité manufacturière en Chine a ralenti au mois de décembre, avec un indice PMI officiel, élaboré par la Fédération chinoise de la logistique et des achats, qui a cédé 1,3 point le mois dernier à 53,9. Ceci écarte la crainte de voir Pékin orchestrer d’un nouveau resserrement monétaire au cours du premier trimestre 2011.

Aux Etats-Unis, même si la croissance devait atteindre 4% au quatrième trimestre, aucun risque de voir la Fed relever son taux directeur : les lois économiques les plus communément admises ne s’appliquent pas aux Etats Unis.

▪ Mais au fait, cette fameuse croissance de 2,6% au troisième trimestre dont Wall Street se gargarise, comment se décompose-t-elle ?

La consommation des ménages représente +1,7%, l’investissement privé +1,8%, dont +1,7% provient de la reconstitution des stocks des entreprises, le déséquilibre commercial (importation /exportation) coûte -1,7%, enfin +0,8% proviennent des achats du gouvernement fédéral dont 0,45% émanant du seul département de la Défense.

Retranchez les 1,7% de stocks (facteur purement technique non récurrent) et les 0,8% de dépenses financées à coup de déficits publics… et vous découvrez quelle est le rythme réel de la croissance « sans béquille » : c’est-à-dire +0,1% (un score inférieur à la « marge d’incertitude »). Edifiant non ?

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