La Chronique Agora

La Bourse sous thématique Noël

 

▪ La thématique Noël est décidément très présente dans les salles de marché de Wall Street ; les stratèges arborent un large sourire. Ils sont même assez nombreux à considérer que les 62% à 65% repris depuis les planchers de mars dernier sont un superbe cadeau.

Nous sommes bien d’accord avec eux. Un cadeau est un bienfait que l’on espère et que l’on reçoit sans y avoir contribué par un effort intellectuel et matériel. Le cadeau est encore plus appréciable lorsqu’il apparaît désintéressé… mais ce n’est probablement pas le cas en 2009 : avec le gonflement de la bulle boursière, tout le monde se sent plus riche — à défaut d’être plus intelligent. Cependant, réfléchissez-y à deux fois car le marché se compose de deux catégories bien distinctes de gagnants.

Les premiers vont chercher tous les matins de l’argent aux guichets de la Fed… spéculent en intraday avec des effets de levier… dictent à Ben Bernanke le texte de sa prochaine intervention… font pression sur le gouvernement américain pour que les régulateurs ferment les yeux sur une manipulation quasi permanente des indices boursiers par le biais de logiciels quantiques… mais l’élément le plus important, c’est qu’ils encaissent leurs gains, qui constituent leurs futurs bonus, au fil de l’eau. Pas question pour eux de conserver les positions plus de quelques heures.

De l’autre côté, il y a les épargnants qui payent leurs titres cash. Ils n’ont aucune possibilité de connaître la composition des carnets d’ordres et d’agir sur eux dans un sens qui leur serait plus favorable. Ils pratiquent l’achat pour le long terme, et une majorité d’entre eux n’ont plus le droit de revendre leurs titres une fois qu’ils les ont achetés — selon le mécanisme fiscal du 401(k), beaucoup plus contraignant que notre épargne retraite dans le cadre d’une assurance-vie ou d’un PEA.

Sur le papier, tout le monde est gagnant… Sauf que les premiers ont déjà l’argent sur leur compte en banque tandis que les autres n’ont que le loisir de prier pour que le château de cartes ne s’effondre pas avant qu’ils soient enfin autorisés à récupérer leur mise. Jamais les indices n’avaient grimpé aussi rapidement ; jamais l’inégalité des chances n’avait été aussi criante entre les particuliers et les institutionnels — ces derniers étant soutenus inconditionnellement par la Fed et la Maison Blanche.

▪ Nous avons interrogé beaucoup de gérants français qui prennent de vrais risques, s’interrogent sur la compatibilité de leurs stratégies avec les données macro-économiques, étudient les entreprises, questionnent les dirigeants. Ils sont acheteurs parce que bien conscients — comme nous le sommes — de l’existence d’un puissant biais haussier sur le marché (entretenu par une sur-liquidité), mais leurs clients préfèrent ne pas surenchérir et n’ont que très peu renforcé leur exposition aux actions ces 12 derniers mois.

Les optimistes qui jouent un scénario de hausse de 20% des indices en 2010 ont un argument : l’écrasante majorité des épargnants se trouvent sous-investis par rapport à la place relative que les actions devraient tenir dans leur patrimoine. S’ils raisonnent aussi logiquement que les mathématiciens qui savent si bien évaluer le risque (l’année 2008 en a apporté une démonstration éclatante), il serait carrément dangereux de miser sur une autre classe d’actifs que les valeurs mobilières.

La tendance étant ce qu’elle est, les performances de 2009 ont vocation à se perpétuer. En effet, il est impossible de détecter le moindre support d’épargne susceptible de dégager un rendement comparable (sans le moindre épisode de correction douloureux depuis neuf mois) avec des taux qui demeureront longtemps voisins de zéro.

C’est à la virgule près le raisonnement que les stratèges nous tenaient il y a 10 ans avec les dot.com : « cela ne fait que monter, il y a tellement d’argent qui se déverse dans la « nouvelle économie » que tout repli boursier est impossible ». Puis ce fut au tour des subprime : il n’y avait pas de meilleure affaire que la structuration et la titrisation de créances à haut rendement. C’était très simple : plus la masse de dérivés augmente, plus le risque global diminue, grâce à la diversification de produits, assimilables à des « mille-feuilles », et leur couverture de plus en plus systématique par des credit default swaps.

Nous adorons ces périodes bénies où même ceux qui savent que la hausse des cours n’est qu’un gigantesque soufflé se ruent à l’achat parce que d’après leurs calculs, la bonbonne de gaz qui alimente le brûleur est encore aux trois quarts pleine. En corollaire, l’élasticité de la croûte du soufflé est supposée infinie — tant qu’elle ne se rompt pas, le risque de déchirure est supposé nul.

▪ Et comment qualifier la hausse postérieure à la journée des « Quatre sorcières » (le 18 décembre) autrement que par le vocable de « soufflé » ? Le CAC 40 continuait de monter dans le vide hier avec un chiffre d’affaire cette fois-ci inférieur à deux milliards d’euros. L’indice français aura ainsi repris jusqu’à 130 points en trois jours avec moins de volumes qu’au cours des deux seules séances de baisse de jeudi et vendredi dernier (en faisant de surcroît abstraction du pic d’activité lié aux expirations des produits dérivés du 18 décembre).

La volonté de tirer le CAC 40 au plus près des 4 000 points en devient ubuesque. Les opérateurs tentent de justifier cette exubérance par des arguments que nous vous avions décrit mardi… et notamment cette perle de béatitude boursière : « nous allons avoir de bonnes surprises avec les chiffres publiés cette semaine… et comme personne ne veut rater une nouvelle fois le train de la hausse début 2010, ceux qui pourraient vendre sur les niveaux actuels s’abstiennent ».

Au moins sur ce dernier point, ils ont raison ! Même si l’actualité économique du jour est consternante, ils ne vendent pas ! La totalité des statistiques américaines publiées mercredi se sont avérées décevantes… voire très décevantes : il suffit de regarder le plongeon de 11,3% des ventes de logements neufs, qui casse brutalement le processus de reprise qui se dessinait cet automne dans l’immobilier. La révision à la baisse de l’indice de confiance du Michigan à 72,5 (contre 73,4 en première estimation le 11 décembre) ne va pas non plus dans le bon sens et contredit les anticipations du marché.

La seule bonne surprise parmi les six chiffres publiés ces dernières 48 heures concernait les reventes de logements anciens. Elles ont grimpé de 7,4%, une hausse s’expliquant essentiellement par une motivation fiscale. Mais la carotte de 8 000 $ accordée aux primo-accédants va être maintenue et le soufflé immobilier risque de retomber dès le mois de décembre.

Peu importe : le CAC 40 a pulvérisé en fin de matinée un nouveau plus haut annuel à 3 930 points. Il a ensuite légèrement fléchi après l’heure du déjeuner dans l’attente des revenus et dépenses des ménages américains pour le mois novembre.

Ce fut la première déception du jour avec des scores respectifs de +0,4% et +0,5%. Le pic de consommation de novembre, avec les super promos de Thanksgiving n’a donc pas eu lieu (après une hausse de 0,6% au mois d’octobre, chiffre révisé de +0,7%). Pourtant, la base de comparaison avec 2008 était très favorable (2008  ayant été le pire mois de novembre depuis 15 ans).

Mais le CAC 40 a tenu bon — pas question de retomber sous les 3 910 points pour si peu ! Les prochains chiffres américains seront forcément meilleurs ; nous pouvons donc aborder le réveillon de Noël le coeur léger, seuls ceux qui n’achètent pas d’actions resteront les dindons de la farce…

Nous acceptons volontiers de courir ce risque. Nous gardons notre argent pour racheter de l’or entre 1 020 $ et 1 030 $ l’once d’ici le jour de l’An ou le 5 janvier !

Joyeuses fêtes à tous et rendez-vous le 4 janvier pour la prochaine chronique.

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