La Chronique Agora

La Banque centrale chinoise bientôt toutes griffes dehors ?

 

▪ Un heureux hasard comme seuls les marchés savent nous en offrir depuis juillet 2009 a permis au CAC 40 de contenir son repli à -1,06%. Il affiche ainsi symboliquement une clôture juste au-dessus du seuil psychologique des 4 000 points, à 4 000,05.

Mais il existe d’irréductibles sceptiques qui affirment que si la main reste invisible, comme dans n’importe quel bon théâtre de marionnettes, il n’en va pas de même des grosses ficelles qui ont remplacé les fils de nylon arachnéens des années 90. A l’époque, le spectacle semblait plus naturel mais il était impossible de trop accentuer les mouvements, sinon le marché cassait ses attaches et retrouvait son apparence désarticulée.

Manipulation des carnets d’ordres à la milliseconde, suppression de toutes les phases correctives par les trading programs, injections de liquidités par la Fed dès que la tendance haussière semble menacée à Wall Street… la glorieuse incertitude de l’anticipation boursière n’a plus guère d’espace pour s’exprimer.

Nous sommes entrés depuis neuf mois dans l’ère du marché à choix unique. Nous assistons au triomphe de la volonté humaine sur l’incertitude et le chaos : le rêve des théoriciens de la planification dirigiste de l’après-Première Guerre mondiale est devenu une réalité boursière.

Et s’il existe encore une alternative pour l’investisseur, elle se partage entre acheter ou ne pas vendre, en vertu de l’obéissance aveugle à la tendance qui serait notre seule amie.

▪ Le marché parisien a visiblement été tenu au cours des 90 dernières minutes de la séance. Le CAC 40 n’est plus repassé sous les 4 000 à partir de 15h45… mais il n’est pas davantage parvenu à déborder les 4 008 points.

Toujours par un heureux effet du hasard, les indices américains ont limité leur repli à moins de 0,6% en moyenne de la réouverture jusque vers 17h30. Ils ont ensuite rapidement doublé puis triplé leurs pertes (à la mi-séance). Parallèlement, les places européennes en terminaient sur une baisse relativement anodine de 0,8% en moyenne (à l’image de l’Eurotop-100)… mais avec des volumes en expansion : +10% à Paris qui affichait 3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Au-delà de la contrariété causée par les pertes résiduelles d’Alcoa et les profit warnings lancés par Chevron et Electronic Arts, l’ambiance a été plombée ce mardi par les premiers chiffres macroéconomiques publiés outre-Atlantique.

L’embellie observée l’été dernier sur le front du commerce extérieur américain s’étiole, comme le démontre le creusement du déficit : +9,7% à 36,4 milliards de dollars (contre 34,8 milliards anticipés). Les importations (notamment celles de pétrole avant la période hivernale) progressent de 2,6%, les exportations de 0,9%. Cependant, le déficit avec la Chine se contracte, passant de 22,7 à 20,2 milliards de dollars, ce qui confirme un ralentissement de la consommation.

Sur les 11 premiers mois de l’année 2009, le déficit commercial américain atteint 340 milliards de dollars contre 654 milliards à la même époque en 2008. C’est d’abord la marque d’une sévère contraction de la demande interne, bien plus qu’un retour de la compétitivité américaine, grâce à un dollar plus concurrentiel (le billet vert flirte depuis lundi avec les 1,45/euro).

La faiblesse du billet vert n’engendre pas de hausse symétrique du pétrole. L’or noir reflue de -1,5% vers 81,5 $/baril : le franchissement des 82 $, qui semblait préfigurer un rebond vers 90 $ (soit un retracement de 50% de la baisse entre 146 $ et 36 $), semble avoir piégé beaucoup de spéculateurs. Ces derniers pensaient pouvoir se fier à l’analyse technique, comme ce fut le cas pour Wall Street lorsque le Dow Jones avait débordé les 10 000 points l’automne dernier.

▪ Plus fondamentalement, le marché joue la carte de la demande chinoise : il s’est vendu plus de voitures dans ce pays en 2009 que n’importe où dans le monde.

Il n’est pas rare de voir les ménages chinois s’endetter sur huit ou dix ans pour s’offrir un petit bout de « rêve américain ». Les nouveaux conducteurs découvrent ainsi le bonheur de rester coincés pendant des heures dans des embouteillages monstres — Pékin est au bord de l’apoplexie automobile malgré la construction d’un sixième super-périphérique, achevé juste avant le début des Jeux olympiques au début de l’été 2008.

Pour conjurer la crise — et soutenir l’appareil industriel alors que le consommateur américain s’est mis aux abonnés absents — la Banque centrale chinoise a incité les banques nationales ou régionales à prêter à tout-va. Cela a si bien fonctionné qu’elle vient d’annoncer ce mardi deux mesures techniques pour tenter d’enrayer la surchauffe de l’économie.

La Bank of China a décrété le relèvement du taux de réserves obligatoires de 50 points de base, de 14,5 à 15%, pour les grandes banques. Elle a également annoncé l’augmentation du taux d’intérêt sur les bons du Trésor à un an. Tout cela aurait pour effet de réabsorber un peu de liquidités — ces mesures entreront en application dès le 18 janvier.

Pékin découvre soudain avec incrédulité et stupeur le taux de progression stratosphérique des crédits accordés par les banques le mois dernier : 600 milliards de yuans (61 milliards d’euros), soit davantage qu’octobre et novembre combinés (548 milliards de yuans, soit 55 milliards d’euros). A ce rythme, la barre des 1 000 milliards de yuans (plus de 100 milliards d’euros) sera franchie en janvier ; ce qui s’apparentait à une simple bulle il y a deux mois commence à ressembler à une montgolfière.

Couper l’arrivée du gaz qui alimente le brûleur risque de ne pas suffire : il faudrait ouvrir simultanément toutes les trappes qui permettent à l’air chaud de s’échapper. La Bank of China se contente de refermer un peu le robinet, ce qui a redonné le sourire à la Bourse de Shanghai… qui avait entamé l’année en traînant des pieds (-2% en une semaine), bien consciente que la fête ne pourrait demeurer éternellement aussi folle.

Les « mesurettes » annoncées ces dernières 48 heures ont changé la donne. Pékin manifeste, d’après les experts des économies asiatiques, son souci de ne pas casser la croissance.

Message reçu cinq sur cinq : les spéculateurs ont immédiatement ressorti leur carnet de chèques. Ils ont versé sur leurs comptes-titres de quoi s’amuser encore quelques semaines, jusqu’au démarrage officiel des contrats à terme sur indices chinois (au mois de mars) qui permettront alors de se couvrir contre toute issue fâcheuse, le cours des actions bancaires étant chauffé au rouge.

Le paisible buffle cédera symboliquement la place au tigre le 14 février prochain. Ce sont les deux animaux les plus antagonistes qui soient : le plus rapide succède au plus lent, le plus sauvage au plus pondéré. Et si la Banque centrale chinoise effectuait le même genre de transition dans son attitude, entamant le Nouvel An toutes griffes dehors ?

Les marchés rugiraient, mais certainement pas de plaisir !

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