La Chronique Agora

JP Morgan, nouveau Lehman ?

▪ Les indices boursiers apparaissent littéralement figés depuis lundi. C’est à croire qu’un parasite malfaisant vient de libérer une toxine qui immobilise son hôte — en l’occurrence, les marchés financiers.

Le CAC 40, notamment, a été placé sous contrôle total. L’indice a évolué au sein du même range durant 48 heures d’affilée (4 202,5/4 170 mercredi et 4 202,4/4 170 ce jeudi) dans des volumes strictement identiques, avec 2,335 milliards d’euros et 2,305 milliards d’euros successivement.

Plus troublant encore, le CAC 40 oscille sans direction depuis cinq séances entre 4 203 et 4 172 points si l’on s’en tient aux fixings d’ouverture et de clôture (les seules références valables puisqu’elles correspondent à un niveau d’équilibre réel entre l’offre et la demande parmi la totalité des opérateurs à un moment donné).

Lorsque la volatilité disparaît de la sorte, c’est qu’une « camisole algorithmique » a été mise en place dans un but bien précis.

▪ Est-ce un coup du syndicat des brasseurs ?
Elle ne consiste pas à permettre aux gérants de fond de profiter de l’été indien à la terrasse de leur bistrot favori (sinon, c’est que le coup a été organisé par le puissant syndicat des brasseurs)… mais bien à endormir les opérateurs pour leur faire les poches, c’est-à-dire leur subtiliser en douceur la « valeur temps » sur leur portefeuille de produits dérivés.

Nous avons commencé à subodorer ce type de scénario dès les premières heures de cotation lundi. Il est vite apparu très clairement que toute tentative de bouger les marchés était immédiatement mise en échec.

Nombre de gérants commençaient à expliquer qu’à quatre séances de la fin du troisième trimestre, ils signeraient des deux mains pour que le CAC 40 se maintienne entre 4 190 et 4 210 points.

Ils ont été exaucés : les 15% de gains engrangés depuis le 1er janvier ont été intégralement préservés et aucune consolidation n’a pu s’enclencher jusqu’à ce vendredi.

Pour couronner le tout, les derniers habillages de bilans trimestriels induisent une anticipation plutôt haussière pour cette dernière séance de la semaine… pourvu que Wall Street s’épargnât jeudi soir l’inscription d’une sixième séance de repli consécutif, ce qui fut facilement évité.

▪ L’immobilier à la rescousse
Il suffisait pour cela de passer outre le recul inattendu de 1,6% des ventes de maisons neuves en août aux Etats-Unis pour se focaliser la progression résiduelle de 5,8% sur 12 mois. Une vision optimiste est d’autant plus justifiée que les stocks d’invendus continuent de se résorber.

Les banques spécialistes des crédits hypothécaires se gardent bien pour l’instant d’inonder le marché avec des biens quasi-neufs saisis ces quatre dernières années. Elles peuvent maintenant se permettre de patienter puisque les créances correspondantes, regroupées sous forme de MBS, dorment dans les coffres de la Fed — laquelle fait semblant de croire qu’elles seront remboursées un jour !

A Wall Street — puisque l’exemple vient d’en haut — on fait également semblant de croire que le système bancaires n’est pas moribond et que les établissements financiers respectent à la lettre les normes prudentielles de Bâle III.

▪ Banques et PIB…
C’est juste que la taille du shadow banking, des engagements à terme non-régulés sous forme de swaps et autres CDS représentent des dizaines de fois le PIB planétaire. Tenez, prenons l’exemple de JP Morgan : les encours sur les dérivés dont elle est à l’origine ou dont elle assure la contrepartie seraient estimés à 40 000 milliards de dollars, soit plus de deux fois le PIB des Etats-Unis.

Pour respecter les critères de Solvency III (7% de fonds propres en garantie), il faudrait qu’elle puisse mobiliser à tout moment 2 800 milliards de fonds propres. C’est l’équivalent du PIB de la France exprimé en dollars.

Bien sûr, les as de la finance mathématisée vous démontreront que le risque réel ne porte que sur 1% des encours, soit 400 milliards de dollars… et que les pertes potentielles n’excèdent pas 10% de cette somme (soit 40 milliards de dollars).

Mais faisons la folle supposition qu’une des contreparties de JP Morgan fasse défaut… qu’un « assureur » soit incapable d’honorer ses engagements… que le problème s’ébruite mais que personne ne sache très exactement sur quel type de produit a surgi le sinistre. Ce sont instantanément tous les dérivés impliquant JP Morgan qui deviendraient suspects.

▪ JP Morgan sur la sellette
Supposons même — tout comme le font les autorités de régulation qui multiplient les procédures d’investigation — que JP Morgan soit peu transparent sur les risques encourus et laxiste sur le contrôle interne (une simple supposition forcément, car la justice ne s’est pas encore prononcée). Dans ce cas, nous imaginons que quelques clients ou partenaires de JP Morgan doivent commencer à se demander si le cas de figure ne serait pas un peu comparable à Lehman.

Nous savons tous que ce n’est pas le cas… puisque JP Morgan, c’est 10 fois plus gros !

Enfin, ça l’est un peu moins depuis la cession de la filiale « trading » sur matières premières au début de l’été. Les encours sur les dérivés de commodities donnaient le vertige à Jamie Dimon… lequel a été convoqué à Washington jeudi soir pour s’expliquer sur sa gestion du groupe.

Là encore, JP Morgan est visé par des enquêtes pour manipulation des prix du cuivre (c’est assez ancien). Il en a été de même plus récemment de l’aluminium, via une co-entreprise de gestion et régulation des stocks montée avec… Goldman Sachs. Elle aurait permis (admirez ce conditionnel parfaitement hypocrite) d’engranger illégalement cinq milliards de dollars sur le dos des sidérurgistes et des consommateurs.

Imaginons maintenant une succession de malheureux « concours de circonstances ». JP Morgan serait alors contraint de verser 11 milliards de dollars pour solder les litiges sur les subprime et les saisies de logements illégales. Il écoperait ensuite de nouvelles amendes (d’un montant difficile à chiffrer) pour manipulation du LIBOR et des cours de l’aluminium — et quoi encore, il suffit de patienter un peu, nous ne tarderons pas à le découvrir. Dans ce cas, il ne nous étonnerait pas que certains journalistes osent juger le montant de l’ardoise assez inquiétant.

Récapitulons : sept milliards de dollars perdus dans l’affaire de la « baleine de Londres »… plus 11 milliards de dollars liés à l’immobilier… plus N milliards pour différentes procédures qui se multiplient comme des tornades un jour d’orage dans le Middle West… Cela nous fait, voyons… Ah oui : un nouveau Godzilla financier !

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