La Chronique Agora

Jouons à la roulette météo

** Jouons à la roulette météo. Nous n’avons pas vraiment le choix, de toute façon : autant jouer le jeu. Chaque année à cette époque environ, Mère Nature fait naître des tempêtes dans le Golfe du Mexique, et les fermiers du Midwest américain commencent à s’inquiéter d’une éventuelle sécheresse.

– Cette année n’est pas différente des autres, en termes de météo. Mais elle semble bien différente du point de vue des matières premières. Les céréales sont déjà à des sommets record. Tout incident durant l’été pourrait donc avoir des conséquences radicales sur les marchés.

– En général, je suis haussier sur les prix des céréales… non à cause de ce que je sais, mais à cause de ce que je ne peux pas connaître : le temps.

– Dans la mesure où la demande est solide pour la plupart des céréales, les principales influences devraient provenir du côté de l’offre. C’est là que la météo entre en jeu. Cette année déjà, des conditions météorologiques peu clémentes ont retardé les semailles de maïs dans le Midwest. Je l’ai moi-même constaté.

** Fin avril, je me suis rendu dans l’Illinois et l’Indiana pour visiter quelques fermes. Lors de mon passage, on aurait dû être durant la semaine la plus intensive, en matière de semailles — mais à cause du temps froid et humide, c’est à peine s’il se passait quoi que ce soit. Les agriculteurs devenaient de plus en plus anxieux : chaque jour de retard signifie une probabilité accrue de voir des rendements plus bas que la moyenne. Alors que l’été approche, de nouveaux défis apparaissent. Les enjeux sont considérables, après tout. Bon nombre de ces agriculteurs ont littéralement parié leur ferme, et planté du maïs d’un bout à l’autre de leur domaine.

– Pour beaucoup d’entre eux, les coûts entraînés par les semailles sont vertigineux. Semences, carburant, nouvel équipement, retards, engrais… la liste continue. Toutes ces dépenses semblent justifiées par la "promesse" d’un trésor lorsque cette précieuse récolte sera amenée jusqu’à l’usine d’éthanol la plus proche. Mais ce rêve pourrait se transformer en cauchemar pour bon nombre de fermiers si le temps ne coopère pas.

– En voyant les vastes champs de maïs et de soja, j’ai remarqué que la majeure partie des exploitations les plus grandes avaient des systèmes d’irrigations — de gigantesques arroseurs circulant dans les champs. Cependant, les fermes plus petites n’ont pas un tel équipement. Lorsque les températures de juillet atteindront leur sommet — et si La Niña tient ses promesses — l’irrigation sera nécessaire 24h/24.

– Or ces systèmes d’irrigation ne s’ouvrent pas simplement comme le tuyau d’arrosage de votre jardin — il leur faut du carburant. Beaucoup de carburant. Ce coût pourrait alourdir considérablement les frais entraînés par les récoltes de cette année.

** Pendant ce temps, dans le sud des Etats-Unis, on essaie aussi de faire pousser du maïs — dans des états "cotonniers" comme la Géorgie. Cela peut sembler insensé, dans la mesure où le climat n’est absolument pas adapté, mais l’attrait de l’éthanol est fort — presque comme une nouvelle ruée vers l’or. Jusqu’où iront-ils ? J’ai lu il y a quelques mois de ça qu’une ancienne usine de jus d’orange en Floride était en train d’être transformée en raffinerie d’éthanol.

– La lutte pour l’eau deviendra si intense, dans le Midwest, le sud-est et le sud-ouest, que cela deviendra un véritable désastre pour les Etats-Unis. Une raffinerie d’éthanol utilise en moyenne 100 millions de gallons d’eau par an. Les agriculteurs irriguant leurs champs utilisent eux aussi des millions de gallons d’eau — sans parler des tonnes de carburant nécessaires au fonctionnement des systèmes. Des batailles légales ont déjà commencé sur les droits d’accès à l’eau, et on commence à se retrancher dans ses positions.

– Si les températures atteignent des niveaux record cet été, et si l’eau se fait plus rare encore qu’elle l’est pour l’instant, les perspectives ne sont guère brillantes pour les agriculteurs. Ce problème ne peut pas être résolu. La production pétrolière laisse à désirer aux Etats-Unis, si bien que quelqu’un a trouvé l’éthanol pour compléter le carburant conventionnel. Mais avec l’eau, la situation est bien différente. On ne peut pas construire d’usine pouvant créer un substitut à l’eau à partir d’herbe des prés. Ce problème n’est pas près d’être résolu.

– En attendant, il ne nous reste plus qu’à regarder le temps qu’il fait…

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