La Chronique Agora

Janet Yellen sera-t-elle plus douée que Larry Summers à la tête de la Fed ?

banques centrales

▪ La journée d’hier nous éclaire sur une facette intéressante et relativement méconnue des marchés financiers en période de création monétaire galopante.

Nous savons depuis le QE de 2010 que les mauvaises nouvelles — ou les chiffres « moins pires que prévus » — sont l’indispensable carburant de la hausse des marchés.

Nous savons également que les contrepieds anachroniques et les séries haussières absurdes sont la meilleure façon de plumer les adeptes du boursicotage au jour le jour.

Nous savons enfin que la chasse aux stops se systématise lorsque le vivier des day traders actifs se raréfie et que le chiffre d’affaire s’évapore… Mais lorsque tous les procédés manipulatoires classiques semblent épuisés (alors que les sommets historiques sont tout proches mais que « ça ne passe pas »), les marchés nous en sortent un nouveau de leur chapeau.

Et bingo ! Voici que surgit une nouvelle astuce imparable : se féliciter qu’un désagrément auquel personne ne croit — mais on fait comme si — se retrouve écarté avant même qu’il ait eu la moindre chance de se matérialiser.

▪ Larry Summers hors course
Pour Wall Street, le « désagrément » en question était que Lawrence Summers, le meilleur ami des marchés depuis 1996 (cela remonte au second mandat de l’ère Clinton, et les brasseurs d’argent sans scrupules lui doivent beaucoup) puisse être éventuellement proposé par la Maison Blanche pour succéder à Ben Bernanke à la tête de la Fed.

La rumeur d’une annonce officielle imminente par Barack Obama — éventée par un quotidien économique japonais jeudi dernier, allez comprendre comment – avait été accueillie par… l’indifférence la plus totale des marchés.

Souvenez-vous jeudi dernier du coma indiciel dans lequel avaient sombré les actions de part et d’autre de l’Atlantique : zéro variation en Europe, zéro décalage des cours à Wall Street. La « rumeur Summers », ce fut le non-événement total, un non-sujet de conversation et encore moins une variable susceptible de modifier les anticipations des gérants et stratèges.

La raison en est simple : la candidature de M. Summers au poste de patron de la Fed était déjà carbonisée avant même que quiconque songe à la présenter officiellement. La lecture épisodique de la presse nationale durant mes 15 jours de présence sur le sol américain (du 1er au 17 août) était édifiante : abrupt, machiste, prenant tout le monde de très haut, trop impliqué avec Citigroup, avançant des projets économiques comme on pousse une pile de jetons sur une table de poker (en priant pour que le résultat ne soit pas désastreux… ce qui fut le cas avec la Russie à la fin des années 90 et avec Harvard en 2008/2009).

Ajoutez à ces griefs récurrents, circulant depuis plusieurs semaines, l’opposition du camp républicain (Summers est un homme d’Obama et de Clinton, en tant qu’ancien conseiller spécial respectif).

Ajoutez à cela la pétition du Prix Nobel Joseph Stiglitz — co-signée par des élus démocrates — en faveur de Janet Yellen… et vous conviendrez que personne ne pouvait croire un seul instant que M. Summers avait la moindre chance de succéder à Ben Bernanke.

▪ Rumeurs et grenades dégoupillées
Les marchés ont toutefois feint lundi matin de « faire comme si », avec l’ouverture de gros gaps et des écarts de +1,2% à +1,5%… Cela a été une excellente occasion de squeezer les éventuels vendeurs à découvert et de ramasser la mise sur les dérivés de volatilité — la plupart des gérants ayant choisi de s’en prémunir (de se couvrir) à l’approche d’une semaine incertaine et potentiellement « compliquée ».

Pour que Wall Street continue de grimper, il suffit désormais de laisser la rumeur pressentir d’autres potentiels candidats n’ayant aucune chance d’être adoubés par le Congrès comme patron de la Fed, puis de les laisser annoncer les uns après les autres qu’ils « jettent l’éponge »… au grand soulagement de Wall Street. (Tim Geithner a été plus malin, il s’est déclaré hors course par avance, allez savoir pourquoi !)

Il apparaît donc assez simple de faire grimper les marchés de 10% en annonçant le retrait de la candidature de Richard Fisher (membre de la Fed hostile au quantitative easing) ou de James Bullard (tiède supporter du concept de taux zéro).

Et le réservoir de potentiels blackboulés est quasi inépuisable !

Pourquoi pas Chuck Prince (ex-PDG de Citigroup en faillite mais ami de M. Summers) ou Richard Fuld (ex-patron de Lehman Brothers… on a bien le droit de refaire carrière en Amérique) ? Et puis il y aurait aussi le gendre de Ben Bernanke, la demi-soeur de son barbier attitré ou le planton de service devant Fort Knox mercredi prochain.

J’attends avec curiosité la réaction du marché en cas d’annonce du retrait de la non-candidature de Janet Yellen (pour question de santé, de raisons familiales, d’incapacité grandissante à supporter le raffut des imprimantes de la Fed…).

Je soupçonne en fait de nombreux économistes — et potentiels grands argentiers — de considérer que la stratégie monétaire poursuivie par Ben Bernanke est l’équivalent d’une grenade dégoupillée mais dont on n’a pas encore libéré la cuiller.

Le seul moyen de l’empêcher d’exploser une fois que la goupille de sécurité a été retirée, c’est de maintenir la cuiller en place en la tenant fermement en main.

Certes, il est possible de laisser la cuiller s’écarter légèrement de l’engin : tant qu’elle n’est pas à 45°, rien ne se passe en théorie. Cependant, pour éviter tout risque d’explosion, mieux vaut ne pas tenter l’expérience : un geste mal maîtrisé, et boum !

C’est exactement la façon dont les marchés perçoivent la tentative de réduction du QE3. La Fed peut s’écarter un peu de la ligne des 85 milliards de dollars par mois. A 75 milliards de dollars de rachats mensuels, tout devrait se passer sans cataclysme… mais à 60 ou 50 milliards, la mécanique de l’explosion serait irréversiblement enclenchée.

Dans ce cas, le seul moyen de ne pas être déchiqueté par la grenade monétaire, c’est de la balancer le plus loin possible des Etats-Unis (vers l’Europe ou les pays émergents ?).

Cela ne vous rappelle rien ?

Nous si !

Alors bon courage, Mme Yellen, si jamais votre main tremble et que votre bras est un peu faible.

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