La Chronique Agora

Quand Jan Hatzius, de Goldman Sachs, dicte ses volontés à la Fed

« C’est une bulle ? Et alors ! »

▪ C’est ainsi que le site boursier Marketwatch.com interpellait ses lecteurs, avec une Une en caractères ultra-gras mardi soir. Cela alors que Wall Street avait assez miraculeusement effacé ses pertes initiales pour finir presque inchangé après cinq heures de stagnation… mais vous n’attendrez pas longtemps avant de comprendre pourquoi.

Oui c’est une bulle, et elle va continuer de gonfler, affirme le chroniqueur vedette Cody Willard.

C’est un sceptique passé à son tour dans le camp des permabulls après que tous les titres qu’il pensait surévalués dans le secteur des applis pour smartphones ont poursuivi leur hausse stratosphérique, déjouant ses conseils de prudence. Il s’agit de « belles histoires » et Wall Street aime ça… à la folie.

Quand on aime, on ne compte pas… enfin, surtout quand l’argent tombe du ciel !

Résumons un peu le sentiment actuel de M. Willard : il convient que le match est truqué et que l’arbitre (la Fed) va continuer des siffler des penaltys — imaginaires, comme l’argent qu’elle imprime — en faveur de Wall Street jusqu’au coup de sifflet final.

Il conseille donc à présent de miser sur l’équipe Wall Street plutôt que sur celle qui porte les couleurs de l’économie réelle. Après tout, cette dernière écope d’un coup franc dès qu’elle intercepte un ballon… avec carton rouge à la clé si un économiste ose protester contre cette parodie de football.

▪ Pourquoi continuer de parier sur un match dont l’issue est connue d’avance ?
Quand tout le monde parie avec frénésie sur le même favori, il n’y a plus rien à gagner ! Oui mais la Fed a changé les règles du jeu… durablement. Il faut jouer la visibilité et se laisser porter par la tendance (indéfiniment) !

Cody Willard pensait encore tout récemment qu’agir de la sorte était le meilleur moyen de se faire « déchirer ». Il conseillait des achats de puts sur toute une série de titres jugés surévalués… et qui le sont encore bien davantage aujourd’hui. Mais il réalise à présent que les acheteurs ont les moyens de les payer toujours plus cher.

Parce l’argent est abondant et que la Fed fera en sorte que cela continue, comme l’affirme Jan Hatzius.

Ce monsieur n’est pas n’importe qui : c’est le chef économiste de Goldman Sachs. C’est-à-dire l’homme par lequel Dieu communique sa vision de l’économie, GS accomplissant — comme chacun a pu l’entendre de la bouche de Lloyd Blankfein — « la volonté de Dieu ».

Et Jan Hatzius, qui sait que sa firme commande aux éléments naturels comme aux puissants de ce monde, rappelle à la Fed qu’elle n’est qu’une entité subalterne plongée dans les ténèbres… mais qui par chance peut se fier aux divins avis que daigne lui transmettre Goldman Sachs lorsque les circonstances l’exigent.

▪ Goldman Sachs a parlé
Cela doit être le cas puisque Mr Hatzius conseille à la Fed d’abaisser prochainement le niveau de chômage qu’elle jugerait adéquat pour envisager de relever ses taux directeurs — de 6,5% à 6%… autant dire le plein emploi.

La reprise actuelle ne crée pas d’emplois et n’en créera pas davantage en 2014, productivité oblige. Par ailleurs, 10 millions d’Américains ont soit été radiés des listes, soit ont renoncé à figurer parmi les demandeurs d’emplois. Considérant cela, il devrait être assez facile de maintenir éternellement le taux de chômage dans la zone des 7%, avec un tel vivier de salariés potentiels.

Pour éviter tout accident, toutefois, et écarter définitivement toute anticipation de relèvement des taux avant l’an 2024, il serait judicieux de clarifier les choses une bonne fois pour toutes — en se fixant un objectif de taux de chômage de 6% parfaitement inatteignable.

En ce qui concerne une éventuelle réduction du QE3, la Fed pourrait indiquer qu’elle y réfléchit… mais aucune initiative en ce sens ne serait prise avant mars prochain. Ou alors ce sera purement cosmétique, de l’ordre de cinq milliards de dollars, car elle devra s’assurer que les statistiques économiques confirment une embellie durable avant de refermer le robinet.

Bref, l’orchestre Ben-Yellen-Big Band va continuer de jouer la mélodie de la planche à billets durant une « période de temps très étendue ». Les marchés n’ont qu’à se donner la peine de grimper encore et encore — peu importent les chiffres d’affaire et les profits.

Et si la Fed devait réduire ses injections, il ne fait aucun doute que Mario Draghi prendrait le relai avec un LTRO 3. Cela afin de s’assurer que la Zone euro ne se disloquera pas en 2014.

Car l’euro est, dans les discours officiels, en place pour des siècles. Ce sont donc les salaires et l’emploi qui vont continuer de se disloquer… ainsi que la confiance des citoyens dans l’Europe.

Mais cela pourrait prendre une décennie avant qu’ils ne se révoltent : cela laisse tout le temps de les plumer jusqu’au bout du croupion.

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