▪ Certains de nos lecteurs ont ouvert de grands yeux il y a tout juste un mois lorsque nous avions consacré quelques paragraphes à la « baleine de Londres ». Nous avions indiqué que les pertes subies par J.P. Morgan dépasseraient de très loin les 2,5 milliards de dollars pudiquement avoués initialement sur les dérivés de dettes souveraines européennes.
Nous avions émis l’hypothèse que ce gadin coûterait probablement le double de ce qui était indiqué et que nous ne serions pas surpris que le montant total atteigne un Kerviel — une unité de mesure qui représente cinq milliards d’euros –, soit 15% d’un Madoff (50 milliards de dollars).
La rumeur qui circule avec de plus en plus d’insistance serait que J.P. Morgan risque de s’en tirer avec une perte de neuf milliards de dollars, soit un Kerviel et demi ou un cinquième de Madoff. Ces chiffres seraient basés sur un rapport interne du groupe JPM que se serait procuré le New York Times.
▪ Les traders fous élevés au rang de héros
Jamie Dimon avait plaidé la « bonne intention » de la part de son trader Bruno Iksil, ce qui écarte la thèse du « trader fou ». En revanche, cela renforce l’impression que les banques systémiques et leur armada de médailles Fields en puissance (l’équivalent du Nobel pour les mathématiciens) n’ont tiré aucune leçon du Tchernobyl financier de LTCM en octobre 1998 et du krach des subprime et des CDS de l’été 2008.
Il est heureux que Jérome Kerviel ait été considéré comme un dissimulateur « criminel » et « machiavélique » — ce qui explique que la Société Générale ait décidé un beau jour de couper les pertes. S’il avait travaillé pour J.P. Morgan, il aurait pu être considéré comme un héros des temps modernes et encouragé à mener sa stratégie jusqu’au bout de sa logique.
En ce qui concerne les actionnaires de J.P. Morgan, vont-ils considérer que l’annonce d’une perte initiale de deux milliards de dollars est un comportement honnête quand l’ardoise risque de s’avérer quatre fois plus salée ?
Mais qui oserait soupçonner la direction de dissimulation et de machiavélisme… puisque tout partait de bonnes intentions ?
Est-ce que ce sont également de bonnes intentions qui expliquent la transaction de 290 millions de livres sterling payée par Barclay’s pour mettre fin à des enquêtes sur des manipulations de taux interbancaires ? Rappelons que l’établissement a eu une amende record de 59,5 millions de livres pour « conduites répréhensibles » sur le marché londonien (Libor) et sur d’autres places dans la Zone euro (Euribor).
En vérité, l’intention n’était-elle pas de s’en mettre plein les poches sur le dos des institutions financières de l’Eurozone ayant du mal à se procurer des liquidités sur des marchés devenus très sélectifs ?
La communauté financière fait mine de tomber des nues… mais certains de nos lecteurs se souviennent-ils de cette dépêche d’agence en date du 6 février dernier tombée sur les écrans dans l’indifférence générale ?
▪ Les banksters font parler d’eux
L’un d’entre nous a en effet adressé l’original, et cela vaut son pesant de champagne millésimé — la récompense que les traders sur le Libor et l’Euribor se promettaient par e-mail pour « service rendu » entre gens de bonne compagnie.
« La Commission de la Concurrence helvétique soupçonne douze banques européennes, américaines et japonaises, dont une grande banque française, de s’être entendues pour manipuler les taux interbancaires en leur faveur », peut-on lire dans La Tribune.
« Outre une grande banque française, les autres établissements soupçonnés sont suisses (UBS, Crédit Suisse), américains (Citigroup, J.P. Morgan Chase… décidément dans tous les bons coups !), britanniques (HSBC, Royal Bank of Scotland, Barclay’s), japonaises (Bank of Tokyo-Mitsubushi, Mizuho Financial Group, Sumitomo Mitsui Banking Corporation) et néerlandais (Rabobank) ».
Un trader n’a pas dû recevoir la bouteille de grand cru de champagne promise et l’a eu mauvaise car c’est lui qui a tout balancé !
D’après les éléments qu’il a fourni aux instances de contrôle helvétiques, des traders de divers établissements se seraient mis d’accord entre eux pour diminuer les taux auxquels les banques d’affaires se prêtent de l’argent puis se seraient entendues sur le gonflement des spreads — différences entre les cours d’achat et de vente des produits dérivés — afin de les proposer au prix fort aux potentiels acquéreurs.
« En décembre, déjà, les autorités japonaises avaient ordonné la suspension temporaire des activités des filiales de négoce nippones de Citigroup et d’UBS, au motif de manipulations des taux interbancaires. Et la Comco a indiqué qu’elle était en contact avec le département américain de la Justice et les autorités européennes de la concurrence ».
La condamnation de Barclay’s s’annonce comme la première d’une longue série ; voilà encore du grain moudre pour le mouvement Occupy Wall Street.
▪ J.P. Morgan et Medicare n’entament pas le moral des marchés
Malgré la chute de 2,5% de J.P. Morgan et la validation de Medicare (couverture médicale obligatoire voulue par Barack Obama) par la Cour Suprême des Etats-Unis, la journée s’est achevée sur un repli insignifiant — et pour tout dire inespéré — de 0,2% de Wall Street.
La journée avait pourtant bien mal commencé. Les indices américains perdaient 0,8% d’entrée de jeu. Ils affichaient -1,2% en moyenne une heure plus tard… et même -1,5% peu après 20 heures.
Mais n’importe quel mauvais chiffre économique, n’importe quelle décision jugée inopportune de la Cour Suprême des Etats-Unis peut plomber la tendance. Il suffit qu’un membre de la Fed (M. Lockhart en l’occurrence) évoque la possibilité d’un hypothétique et très éventuel assouplissement monétaire pour que Wall Street oublie les lourds nuages de récession qui s’accumulent à l’horizon.
Qu’une rumeur (invérifiable comme d’habitude) évoque un assouplissement de la position allemande à Bruxelles ce jeudi soir ou un recours à la planche à billets et le marché s’empresse d’oublier toutes les baisses de PMI manufacturier du trimestre écoulé et tous les profit warning de la quinzaine (à noter ceux de Nike et RIM après la clôture jeudi soir). C’est une véritable potion magique psychologique !
Les espoirs récurrents de baisse de 50 points de base du taux directeur de la BCE (cela fait une semaine que les marchés s’en font l’écho) ont fait le reste.
De là à imaginer une intervention concertée de la Fed et de la BCE… Wall Street n’hésite pas à franchir le pas ; peu importe que la Fed n’agisse jamais quand les indices américains ne sont qu’à 5% ou 6% de leurs sommets annuels mais après une correction de 15% à 20%.
Le Dow Jones est remonté de -1,50% (d’un plancher de 12 450 points à 12 600 points) à -0,2%, le S&P de 1 313 à 1 329 points (même score).
▪ Les parapétrolières montent mais le pétrole chute
L’évocation d’une initiative des banques centrales en faveur de la croissance a fait bondir les valeurs cyclique américaines et les parapétrolières (de 4% à 5% pour nombre d’entre elles).
Mais de façon assez paradoxale — et même carrément étrange — les spécialistes du pétrole ne semblent pas du tout convaincus d’une telle éventualité, à tel point que le baril est retombé de 3% en fin de séance, au contact de son plancher annuel des 77,5 $ sur le NYMEX.
Ne vous laissez pas distraire par le comportement de l’or noir et réjouissez-vous que quelques habillages de bilan aient soutenu les cours à l’entame de la dernière heure de cotations… Chassez de votre esprit le soupçon que cette remontée en flèche de Wall Street résulte d’un savant dosage d’intox et de fausses rumeurs.