Bpifrance sélectionne des start-up selon des critères qui méprisent l’économie réelle pour s’attacher à des valeurs subjectives. Évitez ce filtre pour vos propres investissements.
Cocorico !
Notre Start-up Nation peut s’enorgueillir d’un nouvel outil chargé de dynamiser l’activité de nos jeunes pousses.
Bpifrance, l’agence de financement de l’innovation que nous mentionnons périodiquement dans ces colonnes, et dont la gestion est tout aussi régulièrement dénoncée par la Cour des Comptes, vient d’inaugurer une nouvelle plate-forme en ligne.
Le Hub, officiellement lancé ce 22 novembre 2018, regroupe les start-up les plus prometteuses du territoire pour leur ouvrir les portes, et éventuellement les poches, des grands industriels.
Le Hub est né du constat, pertinent au demeurant, que les grands groupes hexagonaux travaillent difficilement avec les petites (et jeunes) entreprises. Craintes quant à leur capacité à tenir leurs promesses et quant à leur espérance de vie viennent alimenter la méfiance envers les PME.
Tradition française oblige, l’État a, par le biais de Bpifrance, décidé de jouer le rôle d’entremetteur entre petites et grandes entreprises, espérant ainsi favoriser les collaborations et, pour les start-up les plus matures, des rachats.
D’étonnants critères d’attractivité et de « preuves de marché »
Laissons de côté le rôle de facilitateur pour la conclusion d’accords commerciaux gagnant-gagnant : ce n’est pas la mission la plus inutile qui puisse être confiée à l’agence, et le coût du Hub est probablement dérisoire au regard de ses autres activités.
Intéressons-nous plutôt à ce que Bpifrance considère comme gage de sérieux pour une start-up. Le communiqué de presse est clair : l’agence « a décidé de focaliser sa plateforme sur [les] entreprises innovantes ayant déjà des preuves de marché ».
Pas question d’intégrer des canards boiteux, façon Theranos ou Juicero, à la liste de nos 470 pépites nationales.
Mais quels sont, de manière plus précise, ces critères de succès ? Comment Bpifrance sépare-t-elle le bon grain de l’ivraie ? Tout investisseur est impatient de connaître la recette.
Tout est expliqué noir sur blanc sur le blog du Hub :
Nous retrouvons ici les habituels critères de l’univers de la French Tech. La plupart sont déclaratifs et non-quantifiables (positionnement B2B, produits éprouvés, références).
Le seul critère absolu concerne le montant des fonds levés auprès des investisseurs, qui doit être supérieur au million d’euros.
Ce biais de sélection apparaît très clairement dès la page principal du Hub, où seuls deux chiffres sont présents sur les vignettes des entreprises mises en avant : la date de création et le montant total des capitaux levés.
Extrait des « meilleurs start-up » selon le filtre Bpifrance.
En allant plus loin dans ses recherches, l’industriel à la recherche d’entreprises à racheter pourra, sur la page de la start-up, également découvrir son effectif total et les dates des levées de fonds successives.
Les deux grands absents de cette débauche d’information vous sautent-ils aux yeux ? Chiffre d’affaires et résultat net sont, pudiquement, passés sous silence.
La déclinaison française d’un mal international : consommer l’argent des autres
Ne soyons pas trop sévères avec Bpifrance : elle n’est pas seule à avoir perdu de vue la finalité d’une entreprise.
Avec Le Hub et ses critères biaisés, l’agence tombe simplement dans le même travers que l’ensemble de l’industrie de l’innovation et glorifie les entreprises ayant prouvé leur capacité à dépenser l’argent des autres.
La multitude de pépites qui, une fois les poches de leurs investisseur vidées, cessent toute activité en laissant une gigantesque ardoise nous le rappelle : lever des fonds n’est pas une finalité. De même, lorsque les capitaux coulent à flot, faire croître rapidement l’effectif ne présente aucune difficulté.
Les critères mis en avant par Bpifrance sont donc de très mauvais indicateurs de rentabilité future d’une entreprise. Certes, parler de sa dernière levée de fonds est un élément de conversation incontournable dans le microcosme de la French Tech. Pour autant, cela ne préjuge pas d’une quelconque réussite commerciale.
Examinez la rentabilité de l’activité plutôt que les vanity metrics
Bien sûr, le krach des dot.com est loin derrière nous et les investisseurs de 2018 ont oublié (ou n’ont peut être jamais eu à apprendre) qu’une start-up doit, un jour, rapporter plus d’argent qu’elle n’en a coûté pour être un bon investissement. Avec Le Hub et la mise en avant des entreprises les plus capitalisées du territoire, Bpifrance semble croire que les entreprises technologiques sont exemptées du devoir de rentabilité.
Une fois de plus, nous suivons avec quelques années de retard les modes de la Silicon Valley. Suite aux derniers scandales (dont Juicero et Theranos ne sont que les éléments les plus marquants), les investisseurs nord-américains se détournent de plus en plus de ce qu’ils appellent les vanity metrics pour se focaliser – enfin – sur l’activité réelle.
De manière générale, les entreprises technologiques sont de moins en moins valorisées sur des promesses, qu’il s’agisse de start-up ou d’entreprises cotées en Bourse.
Le marché de l’innovation avait besoin d’être nettoyé des projets trop beaux pour être vrais, et la purge boursière actuelle est, en ce sens, bienvenue.
Pour que nous puissions voir, en France, les activités réelles et rentables mises sur le devant de la scène il vous reste à espérer que la French Tech revienne rapidement à plus de réalisme. C’est à cette unique condition que les investissements dans l’innovation pourront être faits en toute confiance.
En attendant, les plates-formes comme le Hub ressembleront plus à des concours de beauté organisés pour flatter l’égo de leurs participants qu’à des outils industriels.
De la même façon, chez les intermédiaires en financement participatif, ne vous laissez pas éblouir par les vanity metrics. Préférez le réalisme d’un chiffre d’affaires existant (même embryonnaire), une marge opérationnelle tangible et la satisfaction des clients pilotes.
Même avec des clients satisfaits, un chiffre d’affaire et des marges, l’investissement dans les start-up reste risqué. Ce n’est qu’en multipliant vos dossiers que vous pourrez dégager une rentabilité enviable. Statistiquement, la moitié des jeunes poussent meurent, la plupart des survivantes végètent. Puis parfois, un baobab surgit qui vous rapportera 30 fois votre mise. C’est en commençant par éviter les morts prématurées que vous pouvez obtenir hors bourse un excellent rendement sur investissement.
[NDLR : Difficile pour un investisseur particulier de décoder le jargon des entrepreneurs, et de savoir dans quelles start-ups investir. Si vous recherchez un filtre efficace et fiable pour vos investissements en financement participatif, pour pouvoir dégager d’importantes plus-values, c’est par ici.]