La Chronique Agora

Intérêts négatifs et société sans cash : l’Italie et la Suède défrichent le terrain

"Alors là, j’aurais vraiment tout vu" est une expression qui — tout comme "on a atteint la fin de l’Histoire" et "je ne te quitterai jamais" — se révèle souvent prématurée. C’est pourtant ce que nous avons dit hier. Pas à haute voix. Nous l’avons simplement articulé, dans un étonnement muet.

Cette semaine, le gouvernement d’Italie a vendu des bons à deux ans rapportant MOINS 0,023%.

Nous ne savons pas ce qui est le plus ridicule : que les Italiens aient pu emprunter de l’argent à taux négatif… ou que la presse ait rapporté cette transaction avec tout le sérieux du monde. Cela aurait dû provoquer des hurlements de rire, un dédain écrasant et une dérision sans fard.

Mais à la Chronique, nous ne pointerons pas du doigt en ricanant… Nous n’aurons pas recours à nos sarcasmes habituels… Nous n’enverrons pas tout balader avec force jurons. Non : nous allons faire preuve de dignité ; nous voulons simplement savoir ce que ça signifie.

Un taux d’intérêt négatif implique un monde étrange — peut-être même un monde qui ne peut réellement exister. Prêter à moins de zéro suggère que l’on pense que la valeur actuelle du cash est inférieure à sa future valeur (c’est-à-dire en déflation)… et l’on doit aussi supposer que le risque de défaut ou d’inflation frôle le zéro. Cela permet aux Italiens d’aller construire des routes ou verser des retraites avec de l’argent qui leur a coûté moins que rien.

▪ Combien de temps cela va-t-il durer ?
Nous n’en savons rien. Mais tant que les taux restent sous le zéro (et ils pourraient baisser plus encore !), l’argent sera gratuit.

Imaginez que vous achetez une maison. Maintenant vous pouvez voir le méfait à l’oeuvre ! Si les prêteurs acceptent un taux négatif ne reposant sur rien d’autre que la bonne foi et le crédit du gouvernement italien… ils seront à coup sûr d’accord pour vous prêter de l’argent sur une maison. Vous vous retrouveriez avec un bien étrange prêt hypothécaire — qui vous rapporterait des intérêts au lieu de vous coûter de l’argent. Au taux italien, une maison à un million rapporterait environ 19,16 euros par mois.

Voilà qui fait naître de profondes questions métaphysiques. Si un prêt hypothécaire a des intérêts négatifs, ça implique que la maison (dont la valeur en capital est équivalente) a également une valeur négative : visiblement, il faut payer quelqu’un pour y vivre. Et si les maisons valent moins que rien… on peut se demander ce que vaut une voiture… une bague en diamant… ou une croisière de luxe.

Est-ce que ça signifie que l’argent lui-même n’as pas de valeur ? Voire carrément une valeur négative ? Après tout, on ne peut plus le donner à quelqu’un en échange d’un versement d’intérêts positifs ; à présent, il faut payer ce quelqu’un pour le stocker à votre place… comme s’il s’agissait d’un meuble n’entrant plus dans votre maison : vous ne l’aimez plus… mais vous n’avez pas le coeur de le jeter.

Et si l’argent n’a pas de valeur, que se passe-t-il lorsque vous embauchez un jardinier, par exemple, pour arracher les mauvaises herbes ? Devez-vous le payer, ou bien est-ce l’inverse ? Combien d’heures doit-il travailler pour vous avant que vous consentiez à accepter son argent ?

Toute cette affaire est si contre-nature que nous en avons le souffle coupé en y pensant. Nous sommes tout déconfit. Mais vous êtes une personne intelligente, cher lecteur. Peut-être que vous pourrez nous aider à comprendre.

▪ Il y a quelque chose de pourri au royaume de Suède
Tout ça n’était qu’un prélude à l’étrange cas de la Suède. Tout ce que nous savons de ce pays, c’est ce que nous avons appris en regardant le film Millennium. Ce que nous en avons retenu dans les grandes lignes, c’est que les Suédois tendent à être des meurtriers, des sadiques, des lesbiennes ou des mauviettes boutonneuses. Peut-être que ça explique le système financier tortueux que les Suédois sont en train de créer. Selon Business Insider :

"La Suède se prépare à être le premier pays à plonger ses citoyens dans une expérience économique fascinante — et terrifiante : des taux d’intérêt négatifs dans une société sans cash.

La banque centrale suédoise, la Sveriges Riksbank, a maintenu mercredi son taux directeur à -0,35%, le niveau auquel il est depuis juillet.

Même si les banques n’ont pas encore répercuté ce taux négatif sur les consommateurs suédois, elles sont confrontées à une pression croissante pour le faire tant que les taux demeurent à leur niveau actuel. C’est un problème dans la mesure où la Suède est le pays au monde le plus proche d’une société sans cash, entièrement électronique.

Il faut savoir que la Suède est un endroit où, si l’on utilise trop de cash, les banques appellent la police en croyant que vous pourriez être un terroriste ou un criminel. Les banques suédoises ont commencé à supprimer les distributeurs de billets dans les régions rurales, irritant les personnes âgées et les agriculteurs. Selon Credit Suisse, la règle de base en Scandinavie est la suivante : ‘si vous devez payer en espèces, c’est que quelque chose ne va pas’.

La résistance s’organise, et certaines personnes protestent contre l’extinction prochaine des espèces. Björn Eriksson, ancien chef de la police nationale suédoise et désormais à la tête du Säkerhetsbranschen, un groupe de lobbying pour le secteur de la sécurité, a déclaré au journal The Local : ‘j’ai entendu parler de personnes gardant des espèces dans leur four micro-ondes parce que les banques ne veulent pas l’accepter’."

Les lecteurs alertes auront reconnu cette affaire de taux négatifs : nous la suivons depuis quelque temps déjà… et nous prédisons que cette politique sera bientôt en action dans la plupart des économies développées. Nous sommes d’avis que les autorités limiteront l’utilisation du cash autant que possible pour étendre leur pouvoir sur l’économie… et être en mesure de taxer et dépenser à leur guise sans autre forme de processus démocratique.

La Suède est en avance : nous ne pouvons qu’espérer qu’elle fasse un bon bout de chemin rapidement… et explose en vol avant que nous ne soyons tous atteints.

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