La hausse des impôts locaux va s’accélérer les prochaines années. Si tous les propriétaires ne seront pas affectés de la même manière, la méthode de calcul profitera surtout à une catégorie bien spécifique de la population…
Nous l’avons vu hier : il existe une multitude de taxes dont le commun des mortels n’a pas connaissance. Celles-ci ont vocation à croître, le plus souvent en toute discrétion, et c’est finalement le consommateur qui les paye lorsqu’il achète des produits ou des services.
Certaines sont liées à la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), dont le montant dépend des valeurs locatives cadastrales, ainsi que du taux d’imposition voté au niveau local. Si le second a pu énormément changer ces dernières années dans certaines villes, c’est la révision des premières qui nous inquiète aujourd’hui.
Le danger de la révision des valeurs locatives
Selon l’Observatoire national des taxes foncières créé par l’UNPI (Union nationale de la propriété immobilière), la taxe foncière a augmenté de 11,4% entre 2015 et 2020, soit six fois plus vite que les loyers (2%) et trois fois plus vite que l’inflation (2,7%). Entre 2010 et 2020, elle a bondi de 27,9%, soit trois fois plus que les loyers (9,7%) ou l’inflation (8,9%).
Mais le pire est probablement à venir. En effet, les valeurs locatives sont en cours de révision. Le chantier devrait se terminer en 2026. Le but est d’asseoir les valeurs locatives sur les loyers pratiqués en 2023 et non, comme c’est le cas aujourd’hui, sur ceux en vigueur dans les années 1970.
Certes, comme nous l’avons vu, la valeur locative des logements est revue chaque année, mais la base initiale sur laquelle les constructions anciennes sont taxées n’a pas changé depuis 50 ans. Il est probable que cette base soit, dans la plupart des cas, obsolète. Elle peut être fortement sur- ou sous-évaluée suivant, par exemple, que les prix du foncier ont plus ou moins augmenté dans la zone où le bien est bâti.
C’est un nouveau coup dur pour les propriétaires, car cette nouvelle méthode devrait une nouvelle fois influer sur la base d’imposition de la taxe foncière. Et, par conséquent, faire augmenter son montant.
Deux rapports sur l’impact de cette révision ont été publiés. Le premier, une simulation réalisée par l’Institut des politiques publiques, porte sur les vingt plus grandes agglomérations françaises (hors Paris), soit près de 17% de la population française.
Des gagnants et des perdants
Sans grande surprise, il indique que la date de construction du logement influe fortement sur le calcul de la valeur locative. Ainsi, les logements construits avant 1950 devraient voir leur valeur locative augmenter de 15% en moyenne et ceux construits avant 1920 de 21%. Par ailleurs, la réforme devrait faire baisser d’environ 15% la valeur locative des logements de moins de 40 m². Généralement, les biens dont la surface est inférieure à 90 m² devrait voir leur valeur locative baisser. En revanche, les habitations dont la superficie dépasse 90 m² devraient voir leur valeur locative réévaluée à la hausse (de 5 à 10%).
L’autre rapport, fait par la direction générale des finances publiques (DGFIP), évalue la révision des caractéristiques des biens mis en location réalisée dans cinq départements-tests. Il conclut que les maisons de 65 à 74 m² du parc privé pourraient voir leur taxe foncière majorée en moyenne de 26% et les appartements de 80 à 89 m² la voir minorée de 16%.
On le voit, l’Institut des politiques publiques et la DGFIP ne sont pas tout à fait d’accord entre eux. En fait, personne ne connaît vraiment aujourd’hui l’impact de cette révision.
Le mieux, pour avoir une idée de la réforme à venir, est peut-être de regarder les conséquences de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels de 2017. Par exemple, selon la DGFIP, les commerçants dont les boutiques sont implantées dans un centre commercial ou une galerie marchande devraient voir leur cotisation de taxe foncière progresser chaque année pendant dix ans pour atteindre en moyenne une hausse de 47%.
Au total, l’administration considère que 85% des commerçants subiraient une hausse des impôts locaux. En parallèle, les maisons de retraite verraient leur taxe grimper de 37% en dix ans ; les crèches et haltes garderies de 25% ; les déchetteries et parcs de stationnement de 35%. Il s’agit là bien sûr de moyennes. Les hausses pourraient donc être plus élevées pour certains professionnels. Tandis que quelques-uns verront leur taxe baisser.
Reprenant le satisfecit que s’est attribuée l’administration, Le Figaro du 26 janvier 2018 titrait : « Fiscalité : la révision des valeurs locatives des entreprises est un succès ». Le quotidien n’oubliait cependant pas de préciser que la réforme a été « façonnée afin d’être le plus indolore possible, voire de passer inaperçue, les premières années pour ses assujetties » puisque les corrections ont été lissées sur dix ans. On en reparlera donc en 2028.
Ce sera la même chose pour la TFPB : la réforme sera indolore à court terme. Elle portera son plein effet d’ici quelques années.
Réformer vraiment la fiscalité locale
Cette réforme de la TFPB peut se comprendre, mais, comme souvent, les pouvoirs publics ne vont pas au fond des choses.
Car la révision de la valeur locative cadastrale n’est qu’un élément du problème. En effet, la surface sur laquelle vous êtes imposé n’est pas la surface de votre habitation. Cette dernière est pondérée en fonction des dépendances (garage, terrasse, etc.), de la destination des pièces (les couloirs ne sont pas considérés de la même façon que le séjour par exemple), de l’état d’entretien du bien, de sa situation, de la présence ou non d’un ascenseur. Enfin, la surface est majorée en fonction des éléments dits de confort : l’eau courante vaut 4 m² supplémentaires, l’électricité 2 m², les toilettes 3 m², le chauffage 2 m² par pièce, une baignoire 5m², etc. Un lavabo dans le garage ajoutera 3 m² à ce dernier !
Tout ceci n’est-il pas totalement obsolète au XXIe siècle ? Pourquoi ne pas prendre aussi en compte la présence de la fibre, de panneaux solaires ou une bonne isolation ? Les « passoires thermiques » ne pourront bientôt plus être louées, leurs propriétaires ne devraient-ils pas alors bénéficier d’une décote de leur bien ?
Comme le suggère François Ecalle, « plutôt que d’essayer vainement d’appliquer systématiquement des valeurs cadastrales établies sur la base de critères et de classifications administratives qui ne reflèteront jamais la réalité du marché immobilier », il pourrait être judicieux d’admettre « que la seule valeur observable et incontestable est celle retenue par les parties à l’occasion d’un bail ou d’une mutation à titre onéreux » (et ajouterai-je, aussi à l’occasion d’une mutation à titre gratuit), et par conséquent asseoir les impôts fonciers sur ces valeurs.
Ce serait en effet plus simple. Mais cette méthode présente la même tare que l’actuelle : depuis la suppression de la taxe d’habitation (effective en 2023 pour les résidences principales), les impôts locaux ne reposent plus que sur les propriétaires et les entreprises.
Or, si l’on considère que les impôts locaux sont établis pour permettre le fonctionnement de l’administration et financer les services publics municipaux, on se demande bien pourquoi le célibataire propriétaire d’un petit château de 600 m² doit payer plus de TFPB qu’un couple avec quatre enfants propriétaire d’un pavillon de 125 m².
Lequel de ces deux ménages utilise le plus les services municipaux (voirie, écoles, crèches, équipements sportifs, bibliothèques, etc.) ? Pourquoi le châtelain doit-il payer davantage de taxes pour la collecte des ordures ménagères que la famille de six personnes ?
Avouons que c’est absurde, même si l’on peut comprendre un minimum de péréquation. Ce n’est sûrement pas la taille du logement, ni son confort et encore moins les revenus du foyer qui devraient être pris en compte. Ne faudrait-il pas plutôt instaurer un impôt local de capitation prenant en compte du nombre de personnes habitant le foyer ?
Quoi qu’il en soit, il n’y aura pas de véritable réforme de la fiscalité locale tant que les collectivités ne commenceront pas par réduire leurs dépenses. Celles-ci ont augmenté de 360% entre 1983 et 2018, passant de 56,3 Mds€ à 260,4 Mds€. Certes la décentralisation est passée par là, mais elle n’explique que 60% de cette hausse.
Autrement dit, 40% de l’augmentation des dépenses des collectivités ne sont pas dus à la décentralisation, mais se produisent à champ de compétences constant. En cause, les dépenses de fonctionnement – essentiellement composées des dépenses de personnel – qui sont passées de 72 à 78% du budget, quand les dépenses d’investissement ont mécaniquement reculé de 28 à 22%.
Bref, les impôts locaux augmentent non pas parce que les élus préparent l’avenir (investissement), mais parce qu’ils tentent d’assurer leur réélection (en espérant que les agents municipaux recrutés voteront pour eux) !