** Vous savez ce que tous les spécialistes (enquêteurs, psychologues de la délinquance, agents de la répression des fraudes) qui démontent les escroqueries, les arnaques et autres ficelles de bonimenteurs — retenez surtout le suffixe « menteur » — disent d’une annonce qui paraît trop belle pour être vraie ?
C’est que c’est effectivement trop beau pour être vrai ! Donc, que c’est archifaux !
Sitôt dévoilées les statistiques des prix à la consommation du mois d’avril aux Etats-Unis (+0,2% : une authentique foutaise !), les agences de presse et les chaînes d’information économique en temps réel se sont empressées de titrer : « l’inflation reste tapie au fond de sa cage », « l’inflation a cessé de rugir au mois d’avril »… et autres fadaises de ce genre.
Ce ne sont pas les prix qui se retrouvent derrière les barreaux, c’est la vérité — travestie sans vergogne par le département du Commerce américain — qui a été mise en cage.
L’enclos du mensonge économique officiel — à la soviétique façon années 50 ou à la Mao façon années 60 — a été ouvert en grand mercredi après-midi. La Maison-Blanche fait claquer le fouet pour qu’il se disperse dans toutes les directions en faisant un raffut médiatique de tous les diables afin d’empêcher le citoyen — crédule ou déboussolé — de rassembler ses esprits et de hurler à l’escroquerie ou à l’insulte à son intelligence.
** La rigueur de l’analyse d’une Chronique Agora — que la légèreté du ton dessert parfois — ne pèse pas lourd face à la propagande pro-républicaine d’un Fox News ou d’un Wall Street Journal : le mensonge économique est leur métier… et ils le font bien. Même si le combat, trop inégal, est perdu d’avance, nous ne pouvons rester silencieux face à la campagne d’intoxication qui bat son plein à six mois des élections présidentielles américaines.
Oui, le gouvernement américain applique avec ce cynisme dont il est coutumier depuis sept ans et demi la règle du « plus c’est gros, plus ça passe ». Le cours du baril s’est envolé de 20% au mois d’avril entre 99,5 $ et 120,5 $ ? Qu’à cela ne tienne, le département du Commerce annonce sans s’étrangler une baisse de 2% du prix de l’énergie et des carburants !
Nous savons tous que les compagnies pétrolières répercutent pratiquement en temps réel le surcoût des produits distillés à la pompe… mais les experts gouvernementaux ont manifestement effectué leurs relevés de prix du mois d’avril dans des stations-service qui pratiquaient des tarifs discount — et même, disons le tout net, la vente à perte !
D’après des sources indépendantes non officielles, le prix du diesel, le carburant le plus cher aux Etats-Unis, aurait bondi de 5,2% en moyenne dans le pays ; d’autres sondages font état d’une hausse de 7% sur la côte ouest et d’une envolée du fuel domestique qui avoisinerait les 10%.
Nous voici très loin d’une baisse de l’énergie… et le décalage paraît tellement énorme que vous vous demandez comment la comptabilité nationale américaine a pu se fourvoyer dans de telles proportions !
C’est parce que vous ne maîtrisez pas l’art subtil des « ajustements saisonniers », des réajustements de « base de comparaison », c’est-à-dire l’art de faire dire absolument n’importe quoi aux statistiques dès lors que des intérêts supérieurs sont en jeu.
** Prenez les prix alimentaires : même en les trafiquant au maximum par le biais de « lissages séquentiels » et d’exclusion de pics sur certaines denrées comme le riz ou le maïs, le mois dernier, le département du Commerce n’a pas pu évaluer leur hausse à moins de 0,9% — la plus forte progression mensuelle en 18 ans. Cette flambée s’avère cependant pratiquement sans incidence sur les chiffres bruts du CPI : un authentique miracle sachant que ce poste représente 15 à 25% du budget d’un ménage de la classe moyenne– selon le nombre d’enfants à charge.
Sur un an, le CPI américain affiche une hausse de 3,9% alors que les prix de l’énergie ont bondi de 20% et ceux de l’alimentation de 5,2%. Hors éléments volatils, l’indice central ne progresserait plus que de 2,3% en rythme annuel — moins qu’en Europe, donc, alors que nous bénéficions de la merveilleuse protection de l’euro fort… c’est un comble !
Mais, vous demandez-vous, quel est l’intérêt de travestir à ce point la réalité alors que Ben Bernanke évoque la problématique inflationniste pour justifier l’établissement d’un statu quo sur les taux et peut-être d’un tour de vis monétaire d’ici fin 2008 ?
Pourquoi tricher de façon aussi grossière avec les vrais chiffres de l’inflation alors que 90% des ménages sondés fustigent la flambée des prix et placent la chute de leur pouvoir d’achat au premier rang — ou au deuxième — de leurs préoccupations ?
Pourquoi le gouvernement américain — tel un alcoolique titubant, au nez cramoisi, qui prétendrait ne pas avoir bu une goutte — s’acharne-t-il à présenter un tableau que personne ne peut prendre au sérieux, sauf sous gaz hilarant ?
Il y a bien entendu une raison, une très bonne raison même puisqu’elle pèse des centaines de milliards de dollars !
** Les chiffres de l’inflation sont un énorme mensonge et seul le marché paraît assez idiot pour y croire : Wall Street n’a d’ailleurs pas tardé à gagner 1% puis 1,2% après le CPI. La fiction statistique concernant les prix à la consommation permet d’abord de sauver la mise des institutions publiques ou privées qui servent les retraites de dizaines millions d’allocataires — dont le nombre va croître de façon exponentielle avec le départ du contingent des baby boomers des années 50.
En effet, c’est l’inflation officielle qui sert de base à la revalorisation des pensions. Avec l’effondrement de la valeur des actifs financiers des six derniers mois, l’augmentation symétrique de 5% ou 6% des retraites mènerait le système américain dans son entier à la catastrophe.
Par ailleurs, et ce n’est pas le moindre des arguments en faveur de chiffres grossièrement truqués, c’est encore l’inflation officielle qui demeure la référence en matière de hausse des salaires dans la fonction publique et de versement des prestations sociales.
Entériner une dérive des prix de 5% ou 6%, c’est provoquer la ruine immédiate du budget de l’Etat fédéral US, l’explosion des déficits publics, l’effondrement du dollar… et de la bourse.
Vous comprenez à présent pourquoi Wall Street apprécie au plus haut point cette modération inespérée du mois d’avril, à +0,1% en core rate !
** Le second chiffre très attendu ce mercredi concernait les stocks de brut aux Etats-Unis : selon les services du département américain de l’Energie (DoE), ils se sont accrus symboliquement de 180 000 barils la semaine dernière mais les stocks d’essence ont reculé de 1,72 million de barils.
Le baril (contrat juillet) se traitait mercredi soir au-delà des 125 $ sur le Nymex… mais ce détail ne saurait inquiéter les investisseurs à Wall Street : les carburants sont en baisse, on vous dit !
** Jetons maintenant un petit coup d’oeil en France. Selon l’INSEE, l’inflation ressort à +0,3% au mois d’avril (soit +3% en rythme annuel contre 3,2% en mars) alors que les prix de l’énergie ont progressé de 1%, ceux des aliments de 0,7%, ceux de l’habillement de 0,6% et les loyers de 0,4% : voilà qui recouvre 80% du budget d’un ménage avec enfant.
Là encore, nous ne trouvons pas une composante qui progresse de moins de 0,4% mais l’inflation ne dépasse pas +0,3% : applaudissons le savoir-faire des statisticiens hexagonaux !
Nous ajouterons que les prix dans la grande distribution ont explosé de 5,3% (dont 1,4% sur les trois derniers mois) et les prix à la pompe de 17% mais, c’est juré, les ménages ne supportent qu’une inflation de 3% par an — merci J.C. Trichet !
Faut-il alors s’étonner que le CAC 40, qui peinait à s’écarter des 5 000 points hier à la mi-journée, soit parvenu à clôturer en hausse de 1,13% à 5 055 points ?
Faut-il faire preuve de candeur en expliquant que les marchés montent parce qu’ils pensent que l’économie « va bien » ?
Mais après tout, cela devrait servir nos intérêts puisque nous espérons un repli de l’or jusque vers 820 $ ou 830 $ l’once au cours des prochaines semaines !
Philippe Béchade,
Paris