La Chronique Agora

Les indices grimpent malgré Moody’s et la Cour de Karlsruhe

banques centrales

▪ Cette journée de mercredi sera marquée par une telle profusion d’événements et d’informations jugées cruciaux… que les vendeurs ou les acheteurs vont voir se multiplier les opportunités de prendre des bénéfices ou de prendre à revers ceux qui le feraient prématurément (comme hier matin, avec la fausse cassure des 3 500 points à Paris).

Entre l’avis de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, la réunion de la Fed, les élections générales en Hollande, le lancement de l’iPhone 5 d’Apple… puis la publication des estimations de récoltes de céréales en Russie et en Ukraine, quoiqu’il advienne sur les marchés, il y aura toujours une explication.

Et si la tendance initiale se retourne dans la dernière demi-heure, il y aura toujours l’excuse du « fait accompli »… A moins que les experts n’invoquent une soudaine rotation sectorielle ou un franchissement de seuil graphique anodin mais qui déclenche une réaction en chaîne.

Nous ne sommes guère tenté de hasarder un pronostic sur l’orientation des marchés à l’issue de cette séance de mercredi ; le cas de figure nous apparaît trop compliqué.

D’un côté, nous avons les permabulls qui considèrent que les places européennes n’ont pas d’autre choix que se lancer à la poursuite des indices américains — cela afin de combler une partie de leur colossal retard, la récession qui sévit dans l’Eurozone étant considérée comme nulle et non avenue.

Il y a aussi tous les day traders focalisés sur leurs logiciels d’analyse technique. Pour eux aussi, le marché est « bull de chez bull : up, up, up ! » Vous aurez beau leur expliquer que les courbes si parfaites qu’ils observent sont dessinées sur commande par les robots algorithmiques, vous n’avez aucun chance d’altérer leur optimisme.

▪ Dollarman contre les méchants Tinois
Peu importe que cela revienne à mettre du rouge à lèvres sur le museau d’un cochon. Ce qui compte, c’est que cela ressemble à une bouche en coeur façon starlette des années 50. Wall Street, c’est devenu Hollywood avec la remise au jour du culte des super-héros : quand de simples terriens ne peuvent plus rien faire pour sauver leur planète en perdition, c’est là que débarque soudain un surhomme providentiel de la planète Krypton.

En l’occurrence, le sauveur des Etats-Unis du 21ème siècle s’appelle Dollarman. Il a le pouvoir de multiplier les billets verts à volonté et en quantité illimité dès que les méchants « Tinois » menacent de ne plus souscrire aux émissions du Trésor US.

Grâce aux espoirs placés dans les superpouvoirs de Ben Dollarman, la bourse de Wall Street se maintient à des niveaux stratosphériques, le S&P en termine au contact des records annuels, et le Dow Jones au plus haut depuis fin décembre 2007. Les deux indices historiques tutoient à 7% ou 8% près leurs records historiques absolus de fin octobre 2007.

▪ Les marchés dopés… sans raisons valables
C’est la hausse inattendue de Wall Street qui a, de l’avis général, provoqué le vent d’euphorie de la fin de séance en Europe. La séance de mardi s’annonçait morose en Europe, à l’image de places asiatiques comme Tokyo et Shanghai ; elle s’est finalement achevée dans un climat technique 100% haussier.

Les deux dernières heures de la séance ont donné lieu à un spectaculaire redressement des indices européens. Ils sont passés de la consolidation (-0,6% en milieu de matinée) à la hausse débridée (+1% en moyenne) avec +1,3% à Francfort, +0,85% à Madrid ou Milan.

Le CAC 40 (+0,89% à 3 537 points) a inscrit sa meilleure clôture depuis le 16 mars dernier sans que l’actualité du jour puisse justifier cette performance — et encore moins un zénith estival.

L’indice hexagonal a été dopé en fin de parcours par des poids lourds comme Total (+1,8%), BNP Paribas (+2,2%), Sanofi (+2,5%) et STMicro (+4,5%)… Des achats techniques motivés prioritairement par les effets de levier plutôt que par l’environnement macro-économique.

Il n’y avait en effet aucune bonne nouvelle à se mettre sous la dent ce mardi : recul du crédit à la consommation aux Etats-Unis… profit warning de Burberry… et surtout menace de suppression du AAA des Etats-Unis par Moody’s en cas d’absence de progrès sur la réduction du déficit budgétaire.

▪ Déficits et voeux pieux
La modération du déficit commercial américain, à 42 milliards de dollars au lieu de 43,5 anticipés en juillet aux Etats-Unis ne saurait faire oublier le nouveau record historique de déficit commercial face à la Chine (à 29,5 milliards de dollars). Il faut également compter avec la contraction des échanges avec l’Europe, presque au plus bas absolu en termes de volumes.

A part des rumeurs concernant l’avis (forcément favorable sur le Mécanisme européen de stabilité) des juges de Karlsruhe ou un geste de la Fed (forcément favorable à un QE3) rien ne pouvait expliquer un écart d’une telle ampleur entre les extrêmes du jour.

Les opérateurs ont donc décidé de parier sur la réalisation de tous leurs voeux : une décision positive et sans réserve de la Cour constitutionnelle sur la légitimité du MES et la mise en oeuvre d’un programme de rachat de MBS par la Fed, ce qui soulagerait grandement le bilan des banques américaines.

Quelques heures auparavant, les opérateurs se disaient que l’avis des Sages de Karlsruhe devrait être partiellement favorable (un refus serait synonyme de dislocation potentielle de la Zone euro) mais qu’il serait assorti d’une clause de contrôle par le Parlement allemand. Ce dernier s’assurerait ainsi que « Super Mario » ne fasse pas exploser le bilan de la BCE de 3 500 à 5 000 milliards d’euros.

Aux Etats-Unis, en revanche, Wall Street tient à ce que Ben Dollarman ne se laisse pas distancer par l’Europe en matière de création monétaire. Wall Street sait bien qu’un QE3 ne soutiendra pas la consommation, la perte de pouvoir d’achat liée à la hausse des prix s’avérant à chaque fois plus rapide que les économies liées à la décrue du coût du crédit (déjà au plus bas historique).

Mais bon, nous savons bien que la planche à billets n’a pour but que de faire grimper les actions… dont 80% de l’encours est détenu par 5% des Américains les plus fortunés (et 50% des actions sont en fait détenues par 1% seulement des citoyens du pays… qui sont également les principaux contributeurs privés des campagnes électorales des candidats démocrates ou républicaines).

L’alibi de « l’effet richesse » qui soutient le moral des consommateurs ne tient pas ; l’effet « super-richesse » n’engendre pas davantage de dépenses sur le sol américain (plutôt en Suisse ou à Singapour) mais plus d’efforts pour réduire la facture fiscale.

Faire grimper Wall Street n’engendre qu’une bulle d’actifs et ne donne plus de travail… qu’aux conseillers fiscaux des ultra-riches. Prétendre que la hausse de Wall Street dope les dépenses des ménages, cela revient à affirmer que l’envol du prix des tableaux de Modigliani ou des bronzes de Giacometti dans les salles d’enchères renforce le sentiment de confiance des classes moyennes.

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