▪ On me demande souvent si la crise économique et financière que nous vivons gagne ou perd en intensité. Mais, bizarrement, on ne me demande plus quand ni comment on va en sortir. Comme si l’on avait intégré une culture de la crise et que l’on s’y résignait.
Il est vrai que cette crise est inédite et sans précédent. Du moins… dans nos sociétés occidentales contemporaines. Les solutions traditionnelles de politique économique sont inefficaces au regard du déficit de confiance vis-à-vis de la finance et du déficit de fonctionnement des marchés financiers. Le marché interbancaire et le marché obligataire des dettes souveraines de la Zone euro sont paralysés.
Donc il est important de suivre un certain nombre d’indicateurs économiques et financiers (données statistiques, valorisation d’instruments financiers, paramètres de marché) quotidiennement, hebdomadairement ou, le cas échéant, mensuellement pour savoir où l’on en est quant au niveau d’intensité de cette crise. Ces indicateurs doivent nous permettre de mesurer :
- les dysfonctionnements dans le fonctionnement des marchés financiers (paralysie par exemple du marché interbancaire et crise de liquidité) ;
- la forte aversion au risque des acteurs financiers ;
- les phénomènes de peur, panique ou mimétisme.
On peut regrouper ces indicateurs en deux thématiques fortes :
- l’évaluation de la crise de liquidité du système bancaire ;
- le niveau d’aversion au risque et l’importance de la réallocation des portefeuilles vers les actifs jugés (à tort ou à raison) sans risques.
En suivant ces quelques conseils, vous allez donc pouvoir surveiller l’intensité de la crise, et faire les arbitrages utiles pour préserver votre portefeuille… ou encore mieux : profiter de la crise !
Je privilégie quatre indicateurs de nature très différente qui me permettent d’apprécier objectivement le degré d’intensité de la crise de liquidité.
▪ 1/ Ce que l’on appelle les dépôts overnight des banques à la BCE
Il s’agit des sommes que les banques déposent à la BCE chaque jour… et qu’elles ne prêteront donc pas aux autres banques. Elles déposent entre 250 et 300 milliards d’euros dans la conjoncture actuelle — contre un sommet de 340 milliards d’euros en septembre 2008 lors du défaut de Lehman. Sauf que, théoriquement, elles ne déposent que 20 à 40 milliards en période de fonctionnement normal du marché monétaire…
Vous aurez compris que, plus ces dépôts sont élevés, plus ils traduisent des dysfonctionnements importants du marché interbancaire : les banques préfèrent stocker leur liquidité à la banque centrale que se prêter entre elles ou financer l’économie.
▪ 2/Ce que l’on appelle le spread entre l’Euribor 3 mois et le « swap 3 mois contre Eonia »
Juste une petite parenthèse technique : l’Eonia est le taux représentatif des échanges interbancaires au jour le jour entre institutions financières. En clair, c’est le taux auquel se prêtent les banquent chaque jour. Le « swap 3 mois contre Eonia » est un instrument financier hors bilan (donc ne consommant pas de liquidité pour une banque) qui permet de transformer une dette ou un placement court terme à taux fixe en une dette ou un placement court terme à taux variable, en l’occurrence ici indexé sur l’Eonia.
Pourquoi je suis cet indicateur chaque matin ? Eh bien, on comprend intuitivement que plus ce spread (ou écart) est élevé, plus cela traduit des conditions de liquidité tendues. En effet, les évolutions du « swap 3 mois Eonia » sont déconnectées du contexte de liquidité des banques alors qu’au contraire le niveau de l’Euribor 3 mois est lié à l’offre et à la demande sur les échanges interbancaires à 3 mois. Donc plus la crise de liquidité gagnera en intensité plus les tensions seront fortes sur le taux interbancaire Euribor relativement au swap.
En temps de fonctionnement normal du marché monétaire, ce spread se situe autour de 15 points de base (bp) (0,15%) ; aujourd’hui ce spread évolue autour de 80 bp (0,80%).
▪ 3/ Ce que l’on appelle le « basis swap Euribor » contre « Libor USD »
Vous me suivez toujours ? bien. Voyons maintenant un instrument qui permet d’échanger des conditions de financement en euro en conditions de financement en USD. En situation normale, le basis swap doit valoir autour de zéro. Cela signifie que le coût de liquidité sur une maturité donnée des emprunts en euro est voisin de celui des emprunts en dollar. Une banque européenne va par exemple emprunter sur un an en euro à Euribor 12 mois +0,20% ou sur un an en USD à Libor 12 mois USD +0,20%.
Or aujourd’hui, le basis swap un an EURUSD se situe autour de -50 bp, ce qui traduit les difficultés des banques européennes à se procurer des liquidités en USD outre-Atlantique. Le refinancement à un an en euro à Euribor 12 mois +0,20% swappé en USD devient alors un refinancement à 1 an en USD à Libor 12 mois USD +0,70% !
▪ 4/ Comportement de la BCE et poids des LTRO (long term refinancing operations) par rapport au MRO (main refinancing operations)
Depuis mars 2008, la masse de liquidités allouées aux banques européennes chaque mois lors des opérations d’appels d’offres de la BCE se situe en moyenne autour de 565 milliards d’euros.
Avec une répartition très anormale puisque, je vous en avais déjà parlé quand je vous expliquais les risques de liquidité des banques, 152 milliards le sont lors des opérations normales de refinancement à une semaine (les MRO) et 413 milliards le sont lors d’opérations de repos extraordinaires sur des durées de 1 à 12 mois (les LTRO). Soit une répartition MRO/LTRO de l’ordre de 27%/73% alors qu’historiquement sur la période 1999-2007 de fonctionnement normal du marché monétaire de la Zone euro, cette répartition était de l’ordre 90%/10% !!!
Bien. Je vous laisse intégrer ces quatre indicateurs. Nous verrons prochainement les indicateurs qui permettent de mesurer le niveau de peur des marchés et comment travailler votre allocation d’actifs en fonction.
Première parution dans le Billet du Trader du 17/11/2011.