Presque toujours, ce qui avait l’air brillant dans l’atmosphère feutrée des universités se révèle désastreux lorsque des êtres en chair et en os deviennent les cobayes des expérimentations monétaires. On peut citer de nombreux exemples, dont l’abandon de l’or par les Etats-Unis, en 1971, et l’émission incessante d’argent générée par les QE, QE2 et QE3 de 2008 à 2014.
Le dernier désastre en date s’est produit en Inde. Comme d’habitude, les élites hautement intellectuelles du monde politique ont mis en oeuvre une mesure insensée, et les pauvres sont condamnés à souffrir de ses pires conséquences.
Le 8 novembre 2016, alors que le monde entier attendait les résultats de l’élection présidentielle américaine, Modi, le Premier Ministre indien, a décrété que 86% des billets en circulation en Inde étaient de la contrebande : ils n’avaient plus cours légal. Ce décret constitue l’une des plus vastes opérations de confiscation de l’Histoire. Conséquence, l’économie indienne a été précipitée dans le chaos.
Le Premier Ministre indien, Modi, a décrété que les bilets de 1 000 et 500 roupies n’avaient plus cours légal. Les citoyens indiens ont fait la queue afin d’échanger leurs billets devenus illégaux contre un crédit enregistré sur des comptes numériques. Ils ont découvert que les banques avaient fermé et que les distributeurs de billets étaient désactivés. Des émeutes ont éclaté par endroits.
Passons en revue les évènements qui se sont produits en Inde le mois dernier afin de voir comment ce fiasco a débuté.
L’Inde n’est pas seulement la septième économie mondiale (son PIB annuel dépasse les 2 000 milliards de dollars) ; elle est également le deuxième pays le plus peuplé (environ 1,3 milliard d’habitants, juste derrière la Chine) et le troisième pays le plus vaste en termes de territoire. Bref, l’Inde est un mastodonte, et non un petit Etat comme Chypre, qui a également infligé des expérimentations monétaires à ses malheureux citoyens.
En dépit de sa taille et de sa richesse globales, l’Inde est indéniablement pauvre, en termes de revenu par habitant. Le revenu annuel par habitant est d’environ 1 600 dollars, ce qui classe l’Inde au 140ème rang parmi les 189 membres du FMI, juste derrière le petit pays des Iles Salomon.
Mais même ce faible revenu par habitant ne reflète pas l’extrême inégalité des revenus en Inde. Le pays possède une importante classe moyenne de 300 millions de personnes gagnant un revenu moyen annuel d’environ 7 000 dollars, ce qui est considéré comme un revenu intermédiaire, selon les critères internationaux. Le reste de la population, soit un milliard de personnes, gagne donc en moyenne 600 dollars par an seulement. Le pays a vraiment deux facettes.
Il n’est pas surprenant qu’un pays ayant ce type de démographie et d’économie s’appuie sur les espèces. Même si les téléphones portables avec systèmes de paiement numériques se développent et pourraient bien être la tendance dominante à l’avenir, l’Inde demeure une économie fonctionnant majoritairement avec des espèces.
Et c’est dans ce contexte qu’une périlleuse expérimentation économique a été lancée, conçue par quelques cerveaux de Harvard dont, notamment, les professeurs Larry Summers et Ken Rogoff. Summers a déclenché une campagne médiatique pour la suppression des billets de 100 dollars aux Etats-Unis. Rogoff est allé encore plus loin en réclamant l’élimination totale des espèces.
Leurs idées sont en train de gagner du terrain dans des pays comme la Suède, qui fonctionne déjà pratiquement sans espèces, et en Europe, où Mario Draghi et la Banque centrale européenne ont cessé d’imprimer des billets de 500 euros. Cette guerre mondiale contre les espèces est décrite en détail dans le premier chapitre de mon nouveau livre The Road to Ruin, qui est en cours de traduction en France (il devrait paraitre au premier trimestre).
Le Premier Ministre indien, Narendra Modi, est tout à fait représentatif de cette élite mondiale de type Summers-Rogoff. Il est diplômé d’une des plus prestigieuses universités indiennes, et participe régulièrement aux sommets du G20 et des BRICS, partout dans le monde. Sa politique se fonde sur le « consensus néo-social-libéral » validé par l’élite mondiale. Le fait d’appliquer le programme de l’élite mondiale à une société pauvre, traditionnelle et basée sur les espèces, ne pouvait que dérailler – et c’est ce qui s’est produit.
Le 8 novembre, le premier ministre Modi a décrété que les billets de 1 000 et 500 roupies n’avaient plus cours légal. Au cas où vous auriez l’impression qu’il s’agit de grosses coupures, sachez que non. Au taux de change actuel, un billet de 1 000 roupies vaut environ 14 dollars et le billet de 500 roupies vaut sept dollars, soit l’équivalent, en gros, des billets de 10 dollars et cinq dollars (ou de 10 euros et 20 euros) que l’on a généralement sur soi.
Les citoyens ont été autorisés à rapporter ces billets en échange de plus petites coupures, ou de nouveaux billets de 2 000 roupies qui valent environ 28 dollars. Le problème, c’est que les files d’attente ont été monstrueuses et que l’économie s’est figée alors que des millions de personnes faisaient la queue pour procéder à l’échange.
Le gouvernement a redoublé d’incompétence en n’imprimant pas suffisamment de nouveaux billets. Certaines banques ont fermé car elles étaient à court de ces nouveaux billets. Pire encore, leur format était différent et incompatible avec les distributeurs. Par conséquent, tous les distributeurs du pays ont dû être désactivés et reprogrammés au nouveau format.
Grand coup de frein (-2%) sur la croissance indienne
Une pénurie d’espèces au sein d’une économie fondée sur les espèces signifie que l’activité économique s’arrête net. Les paysans et les pêcheurs ne pouvaient plus s’approvisionner en carburant et fournitures afin de pouvoir acheminer leurs récoltes ou leurs prises sur les marchés. Des pénuries de produits alimentaires sont apparues et des émeutes ont éclaté par endroits.
Enfin, dans un pur esprit « coupable jusqu’à preuve du contraire », des inspecteurs du fisc attendaient dans les agences bancaires, afin d’interroger ceux qui échangeaient de grosses sommes en anciennes coupures. Voilà qui a dissuadé bon nombre de personnes de procéder à l’échange.
Intensification du marché noir
Un marché noir s’est développé via lequel on pouvait échanger des billets de 1 000 roupies contre de plus petites coupures ayant encore cours légal. Ceux qui proposaient ces échanges ont bénéficié d’une protection politique ou bien ont versé des pots-de-vin afin d’éviter le contrôle fiscal sur les grosses coupures qu’ils recevaient. Cet échange est une distorsion de marché par excellence : des « espèces » s’échangent avec une décote sur leur valeur nominale à cause de l’intervention du gouvernement.
Le gouvernement a invoqué la traque à l' »argent non déclaré » pour mettre fin à l’évasion fiscale et à l’économie souterraine.
Mais dans les régions pauvres et rurales du pays, fonctionnant avec les espèces, l’économie souterraine n’est autre que l’économie. Le secteur non conventionnel n’est pas clandestin, il est normal.
Mais qu’est-ce que Modi imaginait ? Voici ce qu’il a déclaré lors d’une série d’interviews réalisées entre les 8 et 30 novembre :
« Le 8 novembre 2016, le gouvernement indien a pris une décision historique visant à éradiquer les menaces que représentent la corruption et l’argent non déclaré. Lorsque j’ai fait cette annonce, le 8 novembre, je savais que le peuple indien serait confronté à des difficultés, mais j’ai demandé à la population indienne de supporter ces souffrances à court terme pour accomplir un progrès à long terme. Je suis heureux de constater que la population indienne supporte ces difficultés temporaires pour que la nation progresse à long terme.
Au cours de ces trois dernières semaines, j’ai lancé un appel très fort pour que l’on augmente le volume des transactions réalisées sans espèces. Les grandes quantités d’espèces sont d’importantes sources de corruption et d’argent non déclaré. Aujourd’hui, nous vivons à l’ère des banques et porte-monnaie mobiles. Via les téléphones portables, il est possible de commander de la nourriture, d’acheter et de vendre des meubles, de commander un taxi… et bien d’autres choses. Les technologies nous ont apporté la rapidité et la commodité au quotidien.
Je suis sûr que la plupart d’entre vous se sert de cartes de crédit et de porte-monnaie électroniques régulièrement, mais j’ai pensé que je devais mettre à votre disposition des moyens permettant de réaliser davantage de transactions sans espèces.
Apprenez comment fonctionne l’économie numérique. Apprenez les différentes façons d’utiliser les comptes bancaires et la banque en ligne. Apprenez comment utiliser efficacement sur vos téléphones les applications mobiles des différentes banques. Apprenez à gérer vos entreprises sans espèces. Découvrez les cartes de paiement et autres modes de paiement électroniques. Observez leur fonctionnement. Une économie sans espèces offre de la sécurité et elle est saine. Vous avez un rôle primordial à jouer en vue d’amener l’Inde vers une économie de plus en plus numérique. »
Nous y voilà. D’une façon ou d’une autre, un pauvre pêcheur dans son hameau perdu au fin fond de l’Inde doit maîtriser « la banque mobile… le porte-monnaie électronique » d’un claquement des doigts. Difficile d’imaginer meilleur exemple de déconnexion entre l’élite et son propre peuple.
Les déclarations de Modi révèlent également les intentions secrètes de l’élite mondiale.
Des actions telles que celles qui ont été menées en Inde n’ont rien à voir avec l’évasion fiscale, qui se poursuivra quoi qu’il arrive avec ces nouvelles grosses coupures. En revanche, le plan de Modi a tout à voir avec la création d’une société sans « cash« , où l’on parque les petits épargnants dans les enclos informatisés des grandes banques. Ce sont des agneaux que l’on mène à l’abattoir via les taux d’intérêt négatifs et le gel des actifs.
Malgré ses dénégations, ce que Modi a fait est une bourde historique. Le mal a été fait, en ce qui concerne l’économie indienne. Le désastre ne fait que commencer.
Néanmoins, ce qui est un fiasco pour le peuple indien offre également aux investisseurs l’opportunité de tirer parti de l’incompétence des leaders indiens.
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