Une nouvelle loi pour lutter contre les logements énergivores risque de mettre à mal le parc immobilier français en pénalisant les bailleurs et les locataires… Mais est-elle seulement applicable ?
Une fois de plus, nos députés nous rappellent que l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Sous le double prétexte de mettre fin aux locations de logements insalubres et de lutter contre les émissions de CO2, une loi volontariste de modernisation du parc immobilier a été votée.
Elle prévoit de rendre difficile, puis impossible, la location de logements énergivores d’ici 2028. Se basant sur un diagnostic de performances énergétiques (DPE) de nouvelle génération, elle marque du sceau de l’infamie les logements ayant vocation à être détruits ou fortement rénovés.
Seul problème : le curseur a été placé bien trop haut.
A l’automne, lorsque les nouveaux DPE ont commencé à être transmis aux propriétaires, beaucoup ont été frappés d’apprendre que leurs biens locatifs allaient être considérés comme indécents sous peu.
Si la loi était appliquée en l’état, plus d’un tiers du parc immobilier devrait être déclaré impropre à la location à moyen terme. Un tel choc de l’offre entraînerait la disparition des logements à bas prix, par définition occupés par les ménages les plus modestes, et la ruine de nombreux investisseurs ayant acheté ces biens pour les louer, parfois à crédit.
Des règles de location de plus en plus contraignantes
Le DPE est un diagnostic obligatoire pour toute vente ou toute mise en location depuis 2006. Les locataires et propriétaires le connaissent, mais ne lui accordaient jusqu’ici qu’une attention réduite.
En effet, chacun est capable, en quelques minutes dans un appartement ou une maison, d’avoir une idée générale de son état d’isolation et des appareils de chauffage installés – et le DPE établi par les anciennes méthodes n’apportait pas vraiment plus d’information.
En revanche, le nouveau mode de calcul du DPE est bien plus rigoureux. Plutôt que se baser sur les factures d’énergie des précédents occupants, il s’appuie désormais sur les caractéristiques techniques du bâtiment. Pour éviter les diagnostics de complaisance, il engage désormais la responsabilité du diagnostiqueur l’ayant émis.
Résultat des courses : de nombreux logements ont vu leur étiquette énergétique baisser avec la nouvelle formule de calcul. Face au tsunami de mauvaises notations depuis l’application du nouveau DPE au 1er juillet, le gouvernement a décidé de le suspendre le 24 septembre pour procéder à des ajustements des barèmes.
Las, la grille de calcul, en vigueur depuis le 1er novembre, n’a pas fondamentalement changé la donne. En pratique, très peu de logements ont vu leur étiquette énergétique s’améliorer entre juillet et novembre, et le nombre de logements qualifiés de « passoires énergétiques » dépasse de très loin les estimations qui avaient justifié la promulgation de la loi.
Lors de la mise au point du nouveau DPE, le gouvernement tablait sur la mise au ban de 4,8 millions de passoires thermiques, soit 17 % du parc. Selon les estimations des professionnels, qui s’appuient sur les proportions de DPE classés E, F et G depuis milieu de l’année, la réalité est bien plus sombre. Entre 25% et 40% du parc pourrait tomber sous le coup des nouvelles restrictions. Et leurs conséquences pour les bailleurs et les locataires sont particulièrement sévères.
Des mesures draconiennes contre les « passoires thermiques »
La loi climat du 22 août 2021 a prévu une série de mesures graduées pour lutter contre les logements énergivores.
Dès le 25 août de cette année, un premier coup de semonce arrivera avec le gel des loyers des logements classés F et G. Ils ne pourront plus être augmentés ni par l’application d’un index, ni lors d’un renouvellement de bail ou d’une relocation. Cette mesure incitative, qui aurait pu permettre aux propriétaires bailleurs de prévoir sur le long terme une rénovation énergétique des logements concernés, sera suivie par des ajustements bien plus sévères.
Dès le 1er janvier 2025, tous les logements classés G seront considérés comme indécents, donc interdits à la location. Le même sort sera réservé, trois ans plus tard, à ceux classés F, et, en 2034, aux millions de logements classés E.
Ce sont ainsi plus de 7 millions de logements qui pourraient disparaître du parc locatif en une dizaine d’années. Dans un contexte de pénurie chronique de logements abordables, l’application en l’état de la loi pose de nombreuses questions, tant pour l’avenir des bailleurs que celui des locataires.
Le futur gouvernement appliquera-t-il l’impossible ?
Il est à craindre que le prochain gouvernement, à qui reviendra la responsabilité de maintenir ou abroger la loi, ne pleurera pas sur le sort des propriétaires bailleurs. Cette catégorie d’investisseurs, qui ne représente que 3,2% de la population, a un poids électoral négligeable et est traditionnellement utilisée comme variable d’ajustement fiscale du fait de sa position captive.
Pourtant, si la saignée fiscale grâce à l’augmentation de la taxe foncière ne semble pas connaître de limite (sa hausse a atteint, sur certaines communes, 37,5% en 10 ans), vient un moment où la destruction de l’offre est irrémédiable.
La loi climat ne vient pas simplement obérer la rentabilité des investissements locatifs, elle va diminuer drastiquement l’offre. Pour les propriétaires bailleurs qui ne pourront légalement plus louer les logements, ne restera plus que la possibilité d’une rénovation ou d’une vente.
Or, la rénovation d’un appartement très ancien pour atteindre le niveau énergétique D peut représenter une fraction non négligeable du prix d’achat – voire coûter dans certains cas plus cher que la reconstruction intégrale. Dans une optique d’investissement locatif, une telle dépense n’aura pas de sens et n’aura donc pas lieu.
Restera alors aux anciens propriétaires bailleurs l’option de la revente. Mais à qui ? Le marché de l’investissement locatif sur les logements E, F, G, est de fait annihilé par les nouvelles mesures.
Il ne restera que les acquéreurs de résidences principales ou secondaires pour se porter acheteurs. Or, la majorité du parc peu performant est actuellement occupé par les ménages les moins aisés, qui n’ont absolument pas les moyens d’investir dans la pierre.
Le marché de l’occasion menacé
Pour ce segment du marché immobilier, un trou d’air est à craindre, voire la disparition pure et simple du marché de l’occasion. Seuls quelques entrepreneurs en bâtiment à même de rénover les logements à bas prix pourront se porter acquéreurs et espérer un retour sur investissement positif.
Pour la grande majorité des propriétaires bailleurs, ces logements déclarés indécents ne seront plus un actif générateur de revenus mais un passif pour lequel il faudra continuer de payer des taxes et, bien souvent, un emprunt immobilier.
La situation ne sera pas plus confortable pour les locataires à faible revenus. La disparition forcée des logements notés E, F, et G ne fera pas apparaître par magie des logements plus performants à prix égal. Les logements plus récents étant souvent plus chers, et les capacités financières des ménages déjà mise à l’épreuve dans un contexte d’inflation généralisée, mettre plus d’argent dans le loyer ne sera pas une option envisageable pour beaucoup de familles.
Aux conséquences économiques pour les investisseurs s’ajouteront des conséquences dramatiques pour les locataires qui ne trouveront tout simplement plus de logements accessibles.
En ce début d’année, la question est sur toutes les lèvres des professionnels du secteur : « Le prochain gouvernement pourra-t-il laisser cette purge du marché avoir lieu ? ». Réponse, sans doute, après les élections.
D’ici là, le marché de l’immobilier locatif ancien pourrait connaître des fluctuations jamais vues.