La Chronique Agora

L'immobilier irlandais comme métaphore de tous les marchés haussiers

▪ « Ma famille et mes amis m’avaient prévenu. Ils pensaient que je faisais une grosse erreur en n’achetant pas de maison ».

Un ami irlandais nous décrivait en ces termes la situation d’un locataire durant le grand boom de l’immobilier.

« L’idée de base, c’était que les prix de l’immobilier grimpaient toujours. L’Irlande est un petit pays. Il y avait de nouveaux arrivants en provenance d’Europe de l’Est, ainsi que de nombreux Irlandais revenant de l’étranger. Nous étions le ‘Tigre Celtique’, après tout. Le pays des opportunités ».

« Les gens pensaient donc que les prix de l’immobilier ne pouvaient aller que dans une direction — vers le haut. Et il fallait grimper le plus vite possible sur l’escalator. Sinon, on resterait en arrière. Il fallait acheter un premier bien… comme l’un de ces nouveaux appartements ».

Nous passions le long d’un complexe immobilier au pied des montagnes de Wicklow. A droite se trouvait un immeuble très très neuf.

« Vous voyez tous ces appartements ? Tous vides. Ils n’arrivent pas à les vendre. Ils sont arrivés un peu tard à la fête, je suppose. Ils ont probablement commencé la construction en 2006, et lorsqu’ils étaient enfin prêts, on avait déjà éteint la lumière ».

« Il fallait acheter un premier bien quand on avait 20 ans afin de pouvoir passer à une maison familiale lorsqu’on atteignait la trentaine. Les prix grimpaient tout le temps, donc sans premier bien à échanger, on n’avait pas assez d’argent pour acheter une maison. Je suppose que ça signifiait qu’on ne pourrait pas fonder une famille et qu’il faudrait se résigner à une vie totalement ruinée ».

▪ Le marché de l’immobilier irlandais a subi un krach. Mais en regardant la vitrine d’un agent immobilier, il a semblé à votre correspondant que l’esprit du boom n’avait pas complètement disparu. Les prix — par rapport à leurs équivalents américains — semblaient raisonnables.

Sauf que « raisonnable », c’est ce qu’on a au milieu, pas au sommet ni au plus bas d’un marché. Au plus haut, la maison se serait vendue deux fois son prix actuel. Au plancher, environ la moitié.

Afin d’atteindre un véritable plancher, les investisseurs — et les gens ordinaires, d’ailleurs — doivent renoncer à l’idée même de boom. C’est-à-dire qu’ils doivent en venir à croire que le principe qui a fait grimper les prix est faux. Voilà pourquoi il est si difficile d’être un véritable investisseur contrarien. C’est une chose que de reconnaître que les prix grimpent et baissent. C’est une chose que de croire qu’on doit acheter quand les choses sont bon marché et vendre quand elles sont chères. Mais rares sont ceux qui peuvent résister à la logique d’une grande tendance.

L’idée que l’immobilier irlandais ne pouvait que grimper est un parfait exemple. N’était-il pas vrai que l’Irlande est une petite île ? N’était-il pas vrai que son économie se développait — grâce à son intégration au reste de l’Europe ? N’était-il pas vrai que l’Irlande avait le taux d’imposition le plus attractif de toute l’Europe ? N’était-il pas vrai que les gens venaient par avions entiers s’installer en Irlande… et qu’ils avaient besoin d’un endroit où vivre ?

Bien sûr que c’était vrai. C’était irréfutable. Jusqu’à ce que ça ne le soit plus.

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