▪ Ce mercredi s’annonce comme le grand jour… Celui de la consécration des « attentes positives », celui du grand ouf de soulagement, celui qui va permettre aux permabulls de rendre grâce à leur Dieu vivant surnommé par certains « B4 » (Big Brother Ben Bernanke… mais prononcez before).
Et avant un Grand Jour, il convient de se reposer.
C’est ce que les marchés se sont appliqués à faire hier avec une rare efficacité. Le CAC 40 s’est assoupi au bout d’une demi-heure de cotation… avant de ronfler durant neuf heures. L’espace entre la couette et le matelas n’a jamais dépassé une vingtaine de points (l’indice a oscillé entre 3 850 et 3 870 points) pour en terminer sur un repli insignifiant de 0,08% à… 3 860 points.
Une séance soporifique, tracée au cordeau algorithmique — vendredi et lundi, c’était à la hausse, ce mardi c’était une consolidation à plat — et qu’aucun évènement exogène n’est venu animer.
Pas même l’accélération haussière de Wall Street entre 16h et 17h45 : les gains se sont accrus régulièrement pour atteindre 0,75% en moyenne à la clôture des places européennes. Toutefois, cela n’a pas suffi à faire décoller la bourse de Paris, et pas d’avantage l’Euro-Stoxx 50 qui en a fini sur un score de -0,07% à 2 700 points (et voilà un chiffre rond).
La hausse initiale de Wall Street aurait été causée par regain d’optimisme concernant un accès de bienveillance de Ben Bernanke envers les marchés après les avoir fait douter depuis fin mai.
Les marchés font le pari que « B4 » fera tout pour ne pas gâcher la fin du premier semestre boursier en plombant bêtement les marchés — cela après avoir déployé tant d’efforts pour les faire grimper à tout prix et à contre-courant de logique économique.
Il suffit par exemple de comparer la courbe de hausse des bénéfices des valeurs du S&P 500 depuis juin dernier (de l’ordre de +6,5% sur 12 mois) et celle des cours de bourse, lesquels se sont envolés de 33% dans l’intervalle. Le rapport est de un à cinq — et depuis le 4 mai dernier, la prime de risque des actions a été laminée par une remontée de 60 points de base du T-Bond 2023.
▪ La poussée haussière se poursuit
Mais nous pouvions observer mardi soir un S&P 500 revenu à 1% de son récent sommet historiques de clôture (1 666/1 670) des 20 et 21 mai dernier.
La poussée haussière se poursuit inexorablement alors que les taux longs viennent de passer de 2,02% à 2,22% depuis le 22 mai. Pourtant, il n’y a pas de hausse des profits ni des chiffres d’affaires prévisibles à l’issue du deuxième trimestre 2013… et le troisième ne s’annonce pas mieux.
Les permabulls estiment pourtant que ceci n’a rien de prodigieux : nous sommes dans une méga-tendance haussière et « les actions ne sont pas chères ». Car en période de politique monétaire non conventionnelle, plus les taux remontent, plus la prime de risque s’écrase, plus actions deviennent attractives !
Enfin… elles le sont surtout si vous avez sous les yeux le diagnostic économique de la Fed 48 heures avant tout le monde… Et que vous faites courir la rumeur que les injections monétaires vont se poursuivre à grande seringuées tant que le chômage de refluera pas vers 6,5% — c’est-à-dire jamais du vivant de Ben Bernanke si le rythme des créations d’emploi demeure compris entre 150 000 et 200 000 par mois durant des trimestres et des années.
Les actions sont également attractives en comparaison des obligations municipales de Detroit (la capitale de l’automobile fait défaut sur sa dette) ou des junk bonds émises par des entreprises zombie.
▪ Des chiffres en demi-teinte
Les cambistes pariaient à leur tour sur mardi soir sur une sortie progressive et tardive du QE3 dans sa forme actuelle (85 milliards de dollars par mois). Cela a provoqué une rechute du dollar sous le palier des 1,34/euro ; le billet vert n’a évidemment aucune raison de monter si les taux directeurs américains ne décollent pas du niveau zéro avant fin 2015.
La ligne « colombe » pourrait l’emporter car les derniers chiffres publiés aux Etats-Unis depuis le début de la semaine ne plaident pas pour la mise en oeuvre rapide d’un plan de réduction des rachats de la Fed, à commencer par les mises en chantier.
Selon les derniers chiffres du département du Commerce US, elles ne se sont redressées que de 6,8% au mois de mai, après -14,8% en avril. C’est loin des +10% attendus, et les 914 000 mises en chantier du mois dernier représentent moins de la moitié de celles comptabilisées en mai… 2006.
Par ailleurs, les octrois de permis de construire ont baissé de 3,1% alors qu’ils étaient anticipés stables ou en légère hausse.
En ce qui concerne les livraisons de maisons individuelles (un secteur en pleine euphorie nous expliquait-on lundi), le total cumulé sur les 12 derniers mois atteint péniblement 600 000. Ce score est équivalent à celui du début des années 60, quand la classe moyenne était en plein boom et que les Etats-Unis rêvaient de faire marcher des hommes sur la lune.
Aujourd’hui, la Fed voudrait surtout expédier la majeure partie des créances inscrites dans son bilan sur la face cachée de la lune en espérant que personne n’aura l’idée d’aller les y rechercher.
En Europe, le marché fait comme si les 1 000 milliards d’euros de créances douteuses stockées dans des bad banks sous perfusion de la BCE allaient miraculeusement redevenir du triple A au fil des ans.
En Espagne le taux de créances douteuses détenues par les banques ibériques continue de progresser, à 10,87% des encours. Cela fait un montant officiel de 167,1 milliards d’euros contre 162,25 milliards en mars.
Si ces mêmes banques pratiquaient une « opération vérité » sur l’ensemble de leurs lignes de crédits, de nombreux experts estiment qu’il faudrait au minimum doubler ces montants (le taux de défaut serait certainement supérieur à 20%)… Mais tant que la Cour de Karlsruhe laisse la BCE maintenir les banques ibériques — et italiennes — en survie artificielle, la ritournelle de l’Europe qui est « sortie de crise » continuera d’égayer le quotidien des Bisounours.