La Chronique Agora

Il suffisait de ne pas imiter la BCE !

** La crise du subprime n’existe plus, la Maison-Blanche l’a abolie verbalement jeudi dernier. La source du problème étant gelée, le flux des catastrophes financières va donc cesser de s’écouler ; la bulle de dettes américaine est redevenue une menace aussi légère qu’une brise de printemps soufflant sur les parasols du Central Park Boat House.

Toute information alarmante concernant des pertes sur les dérivés de crédit — immobilier ou consommation — fait désormais autant d’effet à Wall Street qu’un avis de tempête de neige sur Chicago auprès d’un investisseur occupé à se protéger des coups de soleil au volant de sa Porsche décapotable entre Miami Centre et West Palm Beach.

La journée boursière de lundi s’était inaugurée par un communiqué d’UBS qui se retrouve contraint de procéder à une nouvelle dépréciation massive sur son portefeuille de créances subprimes, à hauteur d’environ 10 milliards de dollars. Ces derniers viennent s’ajouter aux 4,2 milliards de dollars déjà annoncés cet automne. Et la série noire n’est probablement pas terminée…

Le géant helvétique prévoit désormais d’accuser des pertes de plusieurs milliards de francs suisses au titre de son quatrième trimestre. Il  risque même de terminer dans le rouge sur l’ensemble de l’exercice 2007.

UBS a choisi de lever des fonds dans l’urgence, ce qui constitue une grande première dans l’histoire de cet établissement. En effet, 11 milliards de francs suisses d’obligations convertibles (en 2010) seront émis au profit d’un investisseur singapourien puis proche-oriental, à hauteur respectivement de neuf millions et deux millions de francs suisses.

Cette augmentation de capital à peine déguisée se fait au prix fort. Les convertibles sont assortis d’un juteux coupon de 9%, soit plus de quatre fois le montant du taux au jour le jour actuellement en vigueur en Suisse (il est de 2,20%).

Ce n’est peut-être pas aussi cher payé que l’entrée en force de Dubai dans le tour de table de Citigroup — 7,5 milliards de dollars rémunérés à 11% — mais ce n’est pas le genre de conditions consenties d’ordinaire à des banques d’affaires en bonne santé !

Mais l’essentiel est ailleurs, aux yeux des marchés. Ce qui importe n’est pas que l’argent coûte cher, dès lors qu’un établissement de crédit en éprouve un besoin vital, c’est que les prêteurs potentiels répondent présents et disposent de réserves de cash colossales.

Rien de plus facile que de se procurer cinq ou 10 milliards de dollars auprès de fonds souverains proche-orientaux ou d’investisseurs asiatiques. Ils croulent sous des dizaines de milliards de réserves libellées en dollar qui leur brûlent les doigts.

De plus, il n’est jamais très agréable de découvrir que les actifs déposés dans les coffres d’une banque helvétique pourraient être appelés en garantie de passif. Alors autant participer à sa recapitalisation et s’offrir un strapontin au conseil d’administration, histoire d’être renseigné un peu plus efficacement sur ce qui s’y passe. Et puis, ça débarrasse de liasses de billets verts dont l’épaisseur a déjà diminué de 12% ou 13% cette année !

** En d’autres termes, Wall Street peut continuer de pousser — à crédit cela va de soi — les cours boursiers à la hausse, ce qui arrange tout le monde et en particulier l’administration républicaine. La Maison-Blanche va pouvoir s’enorgueillir d’avoir propulsé les indices boursiers vers de nouveaux sommets, preuve que l’Amérique est bien le pays le plus prospère au monde. Juste histoire de clouer le bec aux détracteurs d’un système basé sur l’avidité, la tricherie, le cynisme, le recours systématique à la dette, et au besoin, la coopération involontaire du contribuable…

Certains commentateurs, comme l’inénarrable Larry Kudlow, n’hésitent pas à prétendre que la crise du subprime aurait pu être évitée si la Fed s’était montré plus prévoyante et moins stricte sur le contrôle des pressions inflationnistes. Mais qu’est-ce qui lui a pris de suivre le mauvais exemple stratégique de la BCE depuis 2005 et jusqu’à mi-2007 ?

Tous les désagréments que nous vous avons décrits par le menu — et annoncés bien avant qu’ils ne surviennent — ne seraient que la conséquence d’un mauvais réglage passager de la politique monétaire américaine ! La Fed a compris la leçon, elle va réduire de 50 points supplémentaires ses taux directeurs dès ce soir et tout va rentrer dans l’ordre au cours des prochaines semaines, ou au plus tard d’ici la fin du premier trimestre 2008.

Wall Street, qui ne saurait commettre la moindre erreur de jugement, anticipe donc une fin d’année 2007 en fanfare… Et vive le Dow Jones à 14 000 points, prélude à une belle année 2008 où l’effondrement des dérivés de crédit et des prix immobiliers ne seront bientôt plus qu’un mauvais souvenir !

Si la situation prend parfois une mauvaise tournure, c’est à cause de l’incompétence des autorités qui ne comprennent rien au libéralisme — autrement dit, des fonctionnaires, catégorie à laquelle Ben Bernanke appartient également. La seule chose à redouter d’ici fin 2008, c’est l’élection d’un président qui succomberait à la tentation d’accroître la pression fiscale pour réduire les déficits abyssaux du système de santé ou des retraites.

** Encouragé par ces perspectives d’un avenir radieux, le CAC 40 s’est offert une progression de 0,6%, refranchissant au passage la résistance des 5 750 points. L’indice n’a pas clôturé au zénith du jour mais aligne une quatrième séance de hausse consécutive, pour un gain cumulé de 3,5% qui reste un des plus amples observés d’une seule traite depuis le 15 août dernier.

Les volumes ont été assez étoffés pour un lundi, plus de 5,95 milliards d’euros traités sur les valeurs du CAC 40. Les échanges se sont nettement accélérés après l’ouverture en nette hausse de Wall Street, qui était pourtant anticipé en repli de 0,2% à 0,3% lundi matin.

Fort des joyeuses convictions exposées ou cours des paragraphes précédents, les indices américains apparaissent soudain comme aspirés vers leurs sommets annuels ou historiques : 0,75% sur le Dow Jones qui retrace 13 735 points. S’il subsistait encore un débat entre le scénario d’un assouplissement monétaire de -25 points ou de -50 points, celui-ci paraissait clairement tranché lundi soir, en faveur de la seconde proposition.

** Les cambistes et Wall Street jouent le scénario d’un prime rate à 4% dès ce soir 20h15… Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, ils se souviendront que la veille, la National Association of Realtors (NAR) avait dévoilé une hausse symbolique de 0,6% des promesses de ventes de logements neufs aux Etats-Unis au mois d’octobre.

L’indice de la NAR s’inscrit toutefois en baisse de 18,4 points par rapport au mois correspondant en 2006, ce qui reste sans précédent…

Faut-il d’ailleurs se réjouir qu’un rabais massif de 6% sur le prix moyen des maisons ait abouti à une progression de 0,6% des intentions d’achat ? A ce rythme, les 8,5 mois de stocks de logements neufs ne sont pas prêts de disparaître comme par enchantement ! Les promoteurs et les établissements de crédit n’ont pas fini de licencier. Mais ce n’est que notre humble avis, et Wall Street, manifestement, ne le partage pas !

Si seulement nous pouvions nous contenter de la magie du verbe… mais nous avons entendu tellement de mensonges depuis le 26 février dernier !

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile