La Chronique Agora

I-phone ou boîte de corn-flakes ?

** La séance de mercredi a démontré une nouvelle fois combien il est facile de faire décaler les cours de façon démesurée en profitant de conditions techniques ponctuelles favorables telles que des carnets d’ordres dégarnis, un excédent de positions « short », le déclenchement de seuils d’intervention préprogrammés, etc.. Le bond de 30 points du CAC 40 en cinq minutes et de 50 points en une heure (entre 5 785 et 5 835 points) résulte probablement d’une combinaison des trois raisons évoquées ci-dessus.

Très clairement, et contrairement aux autres places européennes, il n’y avait plus personne à l’offre entre 13h et 13h10 à Paris. L’heure du déjeuner n’y est certainement pas étrangère… les programmes d’achats automatisés ont fait le reste.

Aucun autre indice de référence en zone euro n’a enregistré une hausse de 0,6% pratiquement sans échange de contrats sur indice au cours du même intervalle. Les opérateurs évoquent souvent des trous d’air lorsque les marchés sanctionnent une mauvaise statistique ou un profit warning — c’est d’ailleurs assez fréquent. L’inverse est beaucoup plus rare, surtout lorsque le motif consiste dans l’annonce de résultats meilleurs que prévus (ou moins pires, c’est selon).

La clé de tels mouvements boursiers, quelle qu’en soit la cause, réside dans l’effet de surprise et l’effet démultiplicateur des systèmes de trading, qui sont tous paramétrés de façon identique, à deux ou trois points d’indice près (les exceptions à la règle sont rarissimes). La machine prend rapidement le pas sur les décisions humaines, et la gestion indicielle passive représente de telles masses d’argent qu’il est inutile de chercher à infléchir la trajectoire de ce type de rouleau compresseur.

Plus personne ne s’y risque plus depuis une bonne décennie, d’ailleurs. Il s’est même créé des formations destinées à tirer parti de ce genre de phénomènes de « tendance en ligne » (techniques qui consistent à entretenir la dynamique d’un mouvement directionnel).

Pas question — et surtout pas le temps — de s’intéresser aux causes, aussi minces ou subjectives soient-elles. Il s’agit de tirer le meilleur parti de leurs effets… et ce n’est jamais aussi payant que lorsque les marchés se laissent entraîner dans des excès.

** La cause du rally haussier du CAC 40 (après quatre heures de complète stagnation ce mercredi matin entre 5 775 et 5 785 points) est bien connue : Yahoo! et Intel ont annoncé comme espéré des résultats supérieurs aux prévisions. La véritable surprise du jour est venue de JP Morgan, qui a dévoilé des profits trimestriels en hausse malgré une lourde provision de 1,3 milliards de dollars dans sa branche « banque d’investissement », lourdement impactée par la crise du subprime.

Loin de subir une érosion de ses bénéfices, la banque d’affaires fait état d’un résultat net de 3,4 milliards de dollars au troisième trimestre, contre 3,3 milliards un an plus tôt. Avec un score de 97 cents par action, les profits dépassent très largement le consensus de Wall Street, situé autour de 90 cents… mais en matière de provisions pour créances douteuses, qui fixe les montants ?

S’il faut les réviser à la hausse d’ici quelques semaines, tout le monde aura oublié leur sous-évaluation initiale ; les plus malins auront pris leurs bénéfices avant que la supercherie n’éclate au grand jour, et liquidé leurs positions dans des conditions inespérées.

** Le secteur immobilier n’a pas fini de souffrir outre-Atlantique : 650 000 procédures de saisie de logements individuels sont déjà déposées ; cela équivaut à mettre aux enchères la totalité du foncier bâti de San Diego ! Le total devrait dépasser le million avant la fin de l’année — soit l’équivalent de l’ensemble des logements de l’agglomération de Paris intra-muros !

Les chiffres publiés ce mercredi mettent en lumière les pires conditions jamais observées aux Etats-Unis depuis 1993. Les mises en chantiers de logements neufs se sont effondrées de 10,2% en septembre, selon les données compilées par le Département du Commerce, tandis que les demandes de permis de construire ont plongé de 7,3%, ce qui augure mal de la période automnale.

Du côté de l’inflation, pas de véritable répit (Janet Yellen, de la Fed de San Francisco, nous l’avait pourtant promis jeudi dernier)… mais pas de dégradation sensible non plus. Les prix à la consommation ont augmenté de 0,3% en septembre aux Etats-Unis, toujours en raison de la hausse des prix de l’alimentation (+0,5%) et de l’énergie (+0,3% seulement).

Nous n’irons pas jusqu’à affirmer que cela tient du miracle, mais en calculant l’écart de valeur moyenne d’un litre d’essence ou de fuel domestique entre août et septembre, nous trouvons un écart de 3% qui recoupe la composante « énergie » de l’indice des prix à la production. Que va-t-il advenir du mois d’octobre alors que le baril vient d’accrocher la barre des 89 $ — le Parlement turc vient en effet d’approuver ce mercredi le principe d’une intervention militaire au Kurdistan (au fait, vous souvenez-vous du titre de la Chronique de mardi ?).

Les industriels clients des grands groupes pétroliers auraient-ils consenti, dans un formidable élan d’altruisme, un sacrifice sur leurs marges afin de maintenir le baromètre de l’inflation au contact de la cible des 2% souhaités par la Fed — ce qui soulage également les consommateurs (bon, d’accord, cela ne leur ressemble guère) ? Ou faut-il soupçonner un calcul « hédoniste » de la part des statisticiens du département du Commerce, avec une sous-pondération délibérée du facteur « carburant » dans le budget du consommateur moyen ?

Et ne parlons pas de l’explosion du budget céréales et produits laitiers s’agissant des ménages avec plusieurs enfants ! Heureusement, le prix de l’I-Phone a été réduit de 100 $ d’un seul coup début septembre par la magie de la stratégie marketing d’Apple.

Avec 100 $ de plus, on peut en acheter, des kilos de corn-flakes supplémentaires… Il faut se hâter de téléphoner la bonne nouvelle, mais gare à la facture de communications. Comment, les tarifs baissent aussi ? Ah bon, alors tant mieux, cela explique la modération du core rate !

Le tableau de l’inflation vous apparaît flou ? C’est normal, nous vivons une époque où, lorsqu’un panel de denrées de première nécessité ou de biens de consommation grimpe, une liste de services superflus et de gadgets inutiles affiche des tarifs à la baisse. Au bout du compte, tout cela se compense !

Mais il ne s’agit que d’une fiction statistique, car ce sont les ménages les plus aisés qui bénéficient de réductions sur les derniers assistants électroniques à la mode, les TV grand écran, les berlines de luxe, les offres promotionnelles sur les croisières, la business class avec l’accumulation des Miles… Pour eux, le plein d’essence passe dans les frais généraux de leur employeur, et la voiture de fonction ne leur coûte rien le jour de la grande révision.

Pour les autres, et surtout ceux qui n’ont même pas les moyens de s’offrir une couverture sociale et qui prennent le bus (dont les tarifs grimpent en flèche avec le prix du gasoil), la hausse du coût de la vie, cela s’inscrit durement dans la réalité quotidienne : c’est du concret !

Et puisqu’il n’est pas question de renoncer à l’American way of life, la seule échappatoire, c’est d’emprunter encore, toujours plus, toujours plus cher. Les usines chinoises comptent là-dessus pour éponger leurs surcapacités de production, tandis que les analystes occidentaux feignent de croire que l’Asie va demeurer le moteur de la croissance mondiale même si la bulle du crédit à la consommation finit par exploser à son tour aux Etats-Unis.

** Nous verrons demain que l’optimisme de façade des gérants de SICAV et autres fonds orientés « actions » n’est qu’un pieux mensonge. Une récente étude de Merrill Lynch — que l’on croirait puisée dans le réservoir des mises en garde de la Chronique Agora — fait froid dans le dos ; nous vous mettons de côté les meilleurs extraits pour vendredi.

Il est fort probable que certains en aient pris connaissance mercredi après-midi car Wall Street –qui avait entamé la journée tambour battant — subissait un complet retournement de tendance à l’heure du déjeuner : le Dow Jones, qui affichait +0,7% et un score de 14 000 points cinq minutes après l’ouverture, chutait de 0,7% et s’efforçait de préserver les 13 800 points à 90 minutes de la clôture.

L’enjeu est de taille : il s’agit de préserver le fantôme d’une illusion de richesse.

Philippe Béchade,
Paris

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