La Chronique Agora

La Fed empêche le fonctionnement de l’hypothèse des marchés efficients

Inflation

▪ Chute sur les marchés boursiers et obligataires. Selon les médias, c’est à cause des "défis géopolitiques" à Hong Kong, en Ukraine et ailleurs.

En partie, sans doute. On est aussi en octobre… le mois où l’assouplissement quantitatif de la Fed est censé prendre fin. Entre 2009 et 2014, la Fed a racheté 3 600 milliards de dollars de bons et obligations gouvernementaux ou liés à l’immobilier. Ce genre d’achats a réduit le coût de l’emprunt, regonflé l’industrie hypothécaire, ajouté 5 000 milliards de dollars à la richesse boursière américaine et augmenté le prix de la maison moyenne de 60 000 $.

Tout ça a été tramé par la Fed… et accompli en grande partie en maintenant la tête de M. le Marché sous l’eau jusqu’à ce qu’il arrête de se tortiller.

Nous ne savons pas ce que devrait être le taux d’intérêt réel "naturel" — seul M. le Marché, s’il était encore vivant, pourrait nous le dire. Les dernières séances suggèrent qu’il est plus bas qu’on le pensait généralement. Même avec la Fed qui se retire, les rendements chutent.

Toutefois, où que soit censé se trouver le taux d’intérêt… si ce n’est pas un chiffre très bas… l’économie aura bientôt de gros problèmes. Et si c’est un chiffre très bas, l’économie a déjà de gros problèmes. En d’autres termes, il n’y a pas de taux d’intérêt au-delà de 3%, disons, sur le T-Note à 10 ans, qui n’handicapera pas sévèrement l’économie. Et il n’y a pas de taux d’intérêt sous les 2% qui ne signifie pas qu’elle n’a pas déjà les deux jambes cassées.

Est-ce que cela vous semble sensé, cher lecteur ? Un taux naturellement bas signale qu’il y a peu d’emprunteurs… peut-être parce que l’économie s’embourbe, ou peut-être parce que les étrangers ont peur de mettre leur argent ailleurs. Un taux élevé pourrait signifier que les affaires reprennent. Les emprunteurs ont besoin d’argent pour financer l’expansion. On pourrait s’attendre à ce que les taux d’intérêt reviennent à "la normale".

Tant les entreprises que le gouvernement US ont ajouté des milliers de milliards de dettes depuis 2008

Quoi ? Les institutions imbibées de dettes actuelles ne le supporteraient pas. Tant les entreprises que le gouvernement US ont ajouté des milliers de milliards de dettes depuis 2008. Ils sont encore moins bien équipés pour encaisser une crise… ou même des taux d’intérêt modérément plus élevés… qu’ils ne l’étaient à l’époque.

▪ Désastre et endettement
Prenez le gouvernement américain, par exemple. Les gens se concentrent généralement sur le déficit en tant que mesure des emprunts des autorités. Il est en réalité plusieurs fois plus élevé. Parce que les autorités ont réduit leurs coûts d’emprunt en passant d’obligations à long terme à des notes à court terme. Ce qui signifie qu’elles doivent renouveler environ 8 000 milliards de dollars de dettes par an.

Cela signifie aussi que même une petite augmentation des taux d’intérêt serait désastreuse pour les finances américaines. Michael Snyder :

"Pour que la partie puisse se poursuivre, il n’y a qu’une solution : que le gouvernement américain puisse continuer à emprunter des sommes gigantesques à des taux d’intérêt ridiculement bas.

Le gouvernement distribue bien plus d’argent qu’il n’en encaisse, si bien qu’il doit emprunter la différence

Aux Etats-Unis aujourd’hui, le système est lourdement socialisé et distribue des chèques à près de la moitié de la population. En fait, 49% des Américains vivent dans un foyer qui reçoit des subventions directes du gouvernement fédéral chaque mois, selon le Bureau américain du recensement. Et c’est difficile à croire, mais les Américains ont reçu plus de 2 000 milliards de dollars d’allocations de la part du gouvernement fédéral rien que l’année dernière. A l’heure actuelle, la fonction première du gouvernement fédéral est de prendre de l’argent de certaines personnes pour le donner à d’autres. […] Mais le gros problème, c’est que le gouvernement distribue bien plus d’argent qu’il n’en encaisse, si bien qu’il doit emprunter la différence. Tant que nous pouvons continuer à emprunter à des taux d’intérêt ultra-bas, le status quo peut continuer".

Les politiques de la Fed sont pleines d’orgueil — elles partent du principe qu’un groupe d’économistes peut faire mieux, pour trouver le juste prix de l’argent, que M. le Marché. Les économistes de la Fed doivent mettre quelque chose dans leur café matinal. Sinon, comment pourraient-ils croire deux choses contradictoires toute la journée sans perdre la tête ? D’abord, ils croient que seul M. le Marché sait ce que les choses devraient coûter. Puis ils croient aussi qu’ils peuvent se débrouiller sans lui.

▪ Quand les marchés efficients s’en mêlent
L’idée de base de l’Hypothèse des marchés efficients (EME), c’est que M. le Marché en sait plus long que nous. S’il fixe un prix, il n’est peut-être pas parfait, mais il n’y en a pas de meilleur. Telle est la doctrine qui a mené Greenspan, Bernanke et Yellen à nous dire qu’ils ne reconnaîtraient pas une bulle si elle leur explosait à la figure. Comment les prix pourraient-ils êtres "trop élevés" ? C’était logiquement impossible.

De même, comment les taux d’intérêt pourraient-ils être "trop bas" — même si la Fed les y a mis elle-même ?

Selon le gourou de l’EME Eugene Fama, dans un entretien en 2010 : "je ne sais même pas ce que signifie une bulle"…

En théorie, il n’y a à s’inquiéter de rien, peu importe combien les choses semblent être déséquilibrées. Pas de bulles. Pas de distorsions. Pas de problèmes. Chaque prix est parfait, dans son genre.

En pratique, cependant, les bidouilles naïves de la Fed — et de toutes les autres banques centrales de la planète — causent de gros problèmes. Parce que l’économie s’adapte à un monde irréel. Les décisions sont prises en fonction des distorsions. Des plans sont tracés. Les gouvernements occidentaux ont accumulé de plus en plus de dépenses. Sans taux bas, ils ne peuvent pas les payer.

Oui, cher lecteur, plus on passe de temps dans le monde magique des économistes, plus le monde réel devient menaçant.

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