La Chronique Agora

Humphrey B. Neill, père de l'investissement contrarien

▪ En 1992, je suis tombé sur un petit livre intitulé The Art of Contrary Thinking [« L’art de la pensée contraire », NDLR.] écrit par un homme dont je n’avais jamais entendu parler, Humphrey B. Neill. Je n’avais que vingt ans à l’époque mais ce livre m’a fortement marqué. Aujourd’hui encore je possède cet ouvrage et je le ressors et le feuillette lorsque je sens que je ne peux plus faire face à la pression de l’opinion des masses.

Si vous ne connaissez pas Neill, vous allez avoir une bonne surprise. Il était le genre de penseur de l’investissement qui se fait toujours trop rare. Né en 1891, Neill est décédé en 1977 à l’issue d’une longue croisade contre l’uniformité de la pensée. Il a eu une vie bien remplie. Ancien soldat dans l’armée américaine, il participa à la traque du révolutionnaire mexicain Pancho Villa. Plus tard, il servit comme lieutenant sous les ordres du général John « Blackjack » Pershing lors de la Première Guerre mondiale. En ce qui nous concerne, sa plus grande contribution fut en tant que père de l’opinion contrarienne.

Neill exerçait son métier loin de Wall Street. Il vivait dans une vieille ferme du XVIIIe siècle dans le hameau de Saxtons River, dans le Vermont. Elle appartenait à sa famille depuis 1828. A proximité, il possédait une vieille grange où s’entassaient des piles entières de livres et de journaux économiques. C’est dans cette campagne isolée, au bord d’un petit ruisseau, qu’il méditait sur les marchés du jour et notait ses pensées à l’intention des abonnés de sa newsletter, Neill’s Contrary Opinion.

Voici comment il débute une lettre, écrite seulement 10 mois après le krach de 1929 :

« J’écris en ce moment à l’ombre d’un érable vieux de 125 ans et peux voir au travers de ses branches épaisses les verts pâturages qui s’étendent au-delà. Une délicieuse maison, vieille d’un siècle et une grange à proximité apportent d’une certaine façon une philosophie tranquille et une perspective apaisante sur les problèmes de Wall Street. On a besoin de régulièrement s’éloigner afin de se rendre compte que les fluctuations de marché ne sont pas les choses les plus importantes dans la vie ».

Neill choisit comme nom de plume « The Vermont Ruminator » (le Penseur du Vermont), en référence à son passage préféré dans l’oeuvre de Charles Dickens Les papiers posthumes du Pickwick-Club. Tout comme Neill, M. Pickwick aimait « méditer sur l’étrange mutabilité des affaires humaines ».

Le principal objectif de Neill était d’amener ses lecteurs à remettre en question le consensus. Impitoyablement, il recherchait les hypothèses incontestées, étudiait ce qui était pris pour acquis et renversait les conventions. Il se méfiait des foules, parce que l’histoire financière regorge de manies et de krachs qui ne peuvent avoir lieu que lorsque beaucoup de personnes se mettent à boire à la même bouteille. Comme il l’écrivait :

« Dans la mesure où il est impossible de prévoir avec précision les réactions de la foule, il est intéressant d’examiner l’opposé de ce qui apparaît probable. La foule s’est tellement trompée, tellement de fois… qu’il est essentiel d’examiner le côté insoupçonné de toutes les questions et de toutes les prévisions ».

Dans son livre et ses lettres, Neill accumulait les preuves, citant des prévisions qui s’étaient révélées fausses au final et des exemples historiques de la folie des foules. Il aimait fouiner dans les vieux livres et partager les idées de penseurs encore plus obscurs sur le comportement des foules, citant les travaux de Gustave Le Bon, Gabriel Tarde et d’autres. La plupart des gens sont prompts à se conformer et réticents à se différencier. Neill voulait renverser cette tendance.

Une longue liste de sommités et de poids lourds de Wall Street ne jurèrent que par ses conseils. Neill écrivit sa dernière lettre en décembre 1974, à 84 ans. Il est parti sur une note optimiste, annonçant la fin du marché baissier qui avait réduit le cours des actions de moitié. A l’époque, il fallait être cinglé pour professer une telle opinion. Mais il avait raison. En 1975, le S&P 500 a augmenté de 54%. Il n’y en a plus beaucoup comme ce vieux Neill.

▪ « Investors Intelligence signale dans ses enquêtes d’opinion 52,2% de haussiers ; ils ne sont que 22,3% dans le camp baissier », observe l’économiste David Rosenberg. En revanche, en août dernier, juste au moment où le marché était sur le point de s’engager dans un mouvement à la hausse important, les sondages menés par Investors Intelligence montraient qu’ils n’étaient que 29,4% de haussiers et 37,7% de baissiers. Clairement, le sentiment haussier reste prédominant. Ceci n’est pas un signal constructif pour l’ensemble du marché.

En même temps, les risques macro-économiques et géopolitiques augmentent. Par conséquent, aujourd’hui ce pourrait être le bon moment pour mettre un peu de cette pensée contraire en action et se montrer prudent. Ne soyons pas trop impatients d’investir notre argent frais.

 
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