« Il y a un mot pour ça… » a dit Elizabeth.
« Quand on se rend compte qu’on ne peut rien faire. C’est un sentiment de soulagement et de paix. On abandonne. C’est exactement ce que je ressentais quand je suis passée au-dessus de la tête du cheval ».
L’honneur du cavalier
Nous écrivons ces lignes dans un hôpital de Montmorillon, assis au chevet d’Elizabeth. Elle effectuait un saut à cheval, mais elle est tombée.
Désorientée, avec la tête qui tournait, mais en accord avec le code d’honneur de la cavalerie, elle s’est relevée, s’est époussetée… et s’est remise en selle.
Plus tard, elle s’est effondrée en proie à une telle douleur qu’elle a perdu conscience et a été emmenée à l’hôpital en ambulance, son mari sur les talons.
Nous n’avions pas grand’chose à faire dans la salle d’attente des urgences ; nous sommes donc allé voir ce qui se passe du côté de la finance.
Pas grand’chose, hélas, à cette époque de l’année.
La semaine dernière, les trois principaux indices boursiers américains — le Dow Jones, le S&P 500 et le Nasdaq — ont atteint simultanément des sommets. Cela ne s’était plus produit depuis 1999.
Hier, un gros titre de Bloomberg annonçait : « les technos dominent le S&P 500 comme jamais depuis le krach des dot.com »…
« […] Les entreprises technologiques dominent plus les marchés boursiers US qu’à tout autre moment depuis la bulle Internet.
Nourries par des rebonds de trois ans durant lesquels Microsoft et Alphabet [anciennement Google] ont doublé, Amazon.com a triplé et Facebook a été multiplié par cinq, les valeurs de l’informatique et des logiciels ont grimpé jusqu’à atteindre près de 21% de la valeur du S&P 500, proche d’un sommet de 15 ans. »
Les valorisations sont élevées aussi…
Par le passé, le S&P 500 n’a été plus cher par rapport à ses 10 précédentes années de bénéfices (le fameux ratio CAPE) qu’à trois reprises : en 1929, en 2000 et en 2007.
Nous sommes donc en territoire quasi-inconnu.
Que va-t-il se passer ensuite ?
Très probablement un krach boursier. C’est ce que suggère l’Histoire.
Mais attendez…
Jamais encore les investisseurs n’avaient eu autant de soutien de la part des banques centrales.
Cela provoquera probablement de nouveaux records — mais seulement après qu’un krach boursier aura fait paniquer les autorités.
Pas d’os cassés
En attendant, à l’hôpital, les radios ne montraient heureusement aucune fracture ou dommages internes.
Et Elizabeth a déjà retrouvé son sens de l’humour… sinon sa mobilité.
Les soins médicaux en France sont quasiment gratuits pour l’usager ; environ 80% des dépenses sont couvertes par le gouvernement.
Les Français s’en plaignent souvent. Mais selon notre expérience limitée, le système semble fonctionner remarquablement bien.
La France dépense environ 50% moins de son PIB en soins de santé que les Etats-Unis, le plus gros consommateur en la matière. Et les Français ont une plus longue espérance de vie.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, les Français sont neuvièmes au monde, atteignant en moyenne 82,4 ans. Les Américains, en comparaison, sont 31èmes (devant Cuba mais derrière le Costa Rica), avec une moyenne de 79,3 ans.
Nous sommes restés aux urgences jusqu’à trois heures du matin.
Cela ne ressemblait en rien aux urgences de l’hôpital Johns Hopkins à Baltimore — où se traitent tant de blessures par balle, de coups de couteau et de passages à tabac que l’armée US y envoyait ses médecins militaires pour formation.
Montmorillon est une petite ville. L’hôpital est relativement neuf. Il est propre, bien organisé et silencieux. Pas de hurlements de sirène le samedi. Pas de victimes de fusillades. Pas de médecins hurlant des ordres aux infirmiers et aux techniciens.
Tout était très calme.
A la pointe
Il n’y avait qu’un autre patient — un vieil homme tombé de sa bicyclette.
Ses vêtements étaient usés. Il était sale. Il parlait sans arrêt, en se répétant souvent. Assis sur un brancard, il se levait de temps à autre, tenant son pantalon à deux mains, pour aller regarder par la porte.
« Avez-vous bu de l’alcool avant votre accident ? » lui demanda le médecin.
« Non… rien… juste un verre de vin ».
« Un verre seulement ? »
« Ben… un ou deux. »
« Un ou deux ? »
« Je me souviens pas… Je les compte pas »…
Les médecins et les équipes sont courtois et professionnels. Câbles, écrans, scanners — ils travaillent avec du matériel de pointe.
On nous a invité à nous tenir derrière l’écran pendant qu’Elizabeth était passée au scanner. La tête de l’appareil était articulée de manière à pouvoir prendre des images sous des angles différents tandis que la patiente restait immobile sur la table.
Nous observions l’écran. Il était rassurant de constater que rien n’était dans une position bizarre.
« Nous avons beaucoup d’écoles d’équitation, dans la région », nous confia le technicien.
« Une ou deux fois par mois, on nous amène quelqu’un qui est tombé de cheval. La plupart sont des jeunes. Ils se remettent vite. Avec des malades plus âgés, c’est un peu plus difficile ».
Elizabeth esquissa une grimace… puis sourit.
« Oui, une amie m’a avertie que je devrais arrêter de galoper et faire des sauts. J’aurais probablement dû l’écouter ».