La Chronique Agora

L’homme, cette espèce disparue des salles de marché

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Les indices volent de record en record. Aucun opérateur de salle de marché n’a d’angoisse puisqu’ils ont disparu au profit d’algorithmes dénués d’émotion.

Vous l’avez peut être lu ou entendu sur quelques médias financier mais nous nous sentons obligés de le mentionner en préambule : le Nasdaq inscrit sa plus longue série de records historiques consécutifs (sept d’affilée) depuis 1999.

Le 15 février, le Nasdaq était vraiment le roi du bal des algorithmes avec une progression de type funiculaire, aussi régulière qu’inexorable. L’intervention humaine n’est même plus supposée tant le profil de la séance reflète le monopole de l’intelligence artificielle appliquée aux transactions boursières.

Nous rappelons également au passage que le nombre de « traders actions » chez Goldman Sachs a été ramené de 600 opérateurs en l’an 2000 à… deux début 2017 (nous supposons que sur l’obligataire et le FOREX, la réduction d’effectifs doit être du même ordre). Les 598 postes de « traders actions » supprimés ont été remplacés par des automates/robots conçus et supervisés par 200 informaticiens de haut vol (profil polytechnicien ou assimilé) qui travaillent sur l’ultra-vitesse, l’ultra-réactivité ou l’intelligence prédictive.

L’intelligence prédictive en boîte noire de marché ?

Cette intelligence prédictive repose sur la collecte, le recoupement et l’interprétation en temps réel de millions d’informations dans toutes les langues, sur tous les médias économiques et sur tous les réseaux sociaux… puis traduit ces « nuages d’inputs » en autant de paris spéculatifs sur un titre, un secteur, une tendance.

Les robots sont effectivement beaucoup mieux informés que ne le sera jamais le mieux renseigné des opérateurs sur actions, doublé du plus doué des chartistes. Même si un super-trader quasi-omniscient existait, il serait de toute façon devancé et battu à plate couture par le trading hyperfréquence.

Oui, les algos sont sursaturés d’informations et de bases de données concernant des milliards de graphiques et de séquences techniques antérieurs, mais ne détectent ni les excès (notion subjective), ni ce que le cerveau humain perçoit comme surréaliste. En matière de trading, le comble de la rationalité débouche sur la folie, parce que la seule référence des algorithmes, c’est le prix. Ils ne se mêlent pas de déterminer si le prix correspond à une valorisation cohérente : seule leur importe la tendance.

Ces sept records consécutifs du Nasdaq sans même le moindre gonflement des volumes témoignent de la prise de contrôle totale du marché par les algos et de la capitulation de tout comportement contrarien. Plus ça monte, moins il y a de vendeurs – voire plus aucun au bout d’une semaine.

Le Nasdaq prend +12% en 100 jours, élection de Trump

Le Nasdaq affiche désormais +12% depuis l’élection présidentielle du 8 novembre 2016. Cela fait pile 100 jours. Nous sommes saisis de vertige. +0,12% par jour. Cela nous donne une progression annuelle de 43,6%.

Mais nous savons d’expérience que tout est possible à l’occasion d’un coup de folie passager de type dot.com… Celui-ci mériterait d’être baptisé dot.Trump.

Alors oublions un peu l’emballement de ces derniers jours pour analyser ce qui s’est passé ces huit dernières années.

En huit ans, autant de progression qu’entre 1996 et le sommet de 2000

Le 6 mars prochain, les marchés célébreront le huitième anniversaire du rebond depuis la crise du crédit subprime ; rebond qui se poursuit et accélère depuis deux mois.

Si les scores devaient en rester là, à 20 620 points, le Dow Jones aurait progressé de +14 150 points depuis son plancher des 6 470. Autrement dit, le Dow Jones a été multiplié par 3,19 en huit ans.

La précédente plus forte hausse historique du Dow Jones a eu lieu entre fin novembre 1994 et le 14 janvier 2000. Le Dow Jones est passé de 3 740 à 11 750 points ; sa capitalisation a donc été multipliée par 3,14 en six ans.

Autre comparaison intéressante. Le Dow Jones réalise un parcours fulgurant depuis fin août 2015 : il engrange +33% en 17 mois. Entre 2006 et 2007 on a déjà connu une telle évolution. Parti de 10 700 points fin juin 2006, le Dow Jones grimpa également de +33% pour établir son précédent record à 14 200 points 16 mois plus tard.

Nous ne savons pas si les robots sont conscients de ces extrêmes en terme de performance mais il est à peu près certain que cela ne leur fait rien – contrairement à nous.

L’homme, cette espèce disparue dans l’univers du trading

Les performances du passé ont été réalisées à l’ère d’opérateurs de chair et de sang, prisonniers de leur psychologie quasi primitive. Cette époque est finie, révolue depuis 2009 (elle était déjà en voie de disparition en 2006), remplacée par un cocktail de flux de dépêches et de modèles mathématiques.

Depuis janvier 2009, les banques centrales injectent du carburant monétaire, les robots répartissent cette manne au mieux des opportunités de retour sur investissement, lesquelles sont calculées non pas en fonction des projections de bénéfices sur les prochaines années mais en fonction des événements graphiques survenus il y a trois centièmes de secondes, puisque c’est à cette échelle de temps que travaillent les algos.

A force de tordre toutes les forces du marché à coups d’injections de liquidités, la gestion du risque a été totalement subvertie et son évaluation rendue inefficiente.

Alors un Dow Jones multiplié par 3,18 en huit ans, un S&P500 par 3,5 et un Nasdaq par 4,6, cela n’impressionne pas une machine ni les ingénieurs qui la programment et pour lesquels la Bourse, les entreprises, n’évoquent pas grand-chose.

De leur point de vue, la Bourse, c’est un jeu vidéo. Les actions, les indices, les matières premières, ne sont que des lignes de codes, pas des entités à structure humaine, enracinées dans notre monde sensible.

Les marchés cybernétiques sont une caricature d’une « main invisible » tout juste capable de tirer les cours vers des prix toujours plus élevés et de s’autocélébrer comme la grande créatrice de richesse.

Jusqu’à ce que la machine se retrouve confrontée à encore plus déconnecté du réel qu’elle. Cela pourrait être le prochain banquier central, un clone de Kerviel… ou Donald Trump.

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