La Chronique Agora

Heureux comme un vendeur de sorbets un 14 juillet

** Les opérateurs parisiens — et plus largement tricolores — étaient devant leurs écrans ce mardi 14 juillet. Non pas pour voir défiler une sélection de régiments indiens, invités d’honneur sur les Champs-Elysées en ouverture du défilé, mais plutôt les trimestriels des entreprises américaines en général et de Goldman Sachs en particulier.

Une démangeaison caractéristique du pouce et de l’index nous faisait pressentir que les profits de la première — et désormais unique — banque d’affaires américaine allaient nous couper le souffle. Nous n’avons pas été déçus puisque Goldman fait état d’un bénéfice net stratosphérique de 3,44 milliards de dollars au deuxième trimestre 2009, grâce aux activités de courtage.

Ce résultat laisse pantois lorsqu’on constate la chute globale des volumes sur les actions, les dérivés d’actions ou les futures sur les matières premières depuis le début du mois d’avril. Pourtant, la quasi-totalité des bénéfices provient du brassage de valeurs mobilières — grâce à quoi le bénéfice net de 1,81 milliard de dollars explose de 90% en trois mois et bondit de deux tiers en un an, par rapport aux 2,08 milliards de dollars de profits du deuxième trimestre 2008.

La bénéfice par action atteint 4,93 $, contre 3,54 $ anticipés par les analystes. Le chiffre d’affaires s’envole à 13,75 milliards de dollars, soit une hausse de 46% en l’espace de trois mois ; la progression est équivalente sur les 12 derniers mois avec un produit net bancaire supérieur de 30% au consensus de 10,6 milliards de dollars.

Puisque personne ne s’étonne de voir une banque se porter aussi bien au sein d’une économie qui va si mal, le PDG Lloyd Blankfein donne quelques explications, avec le même naturel qu’un vendeur de sorbets justifie la hausse de son chiffre d’affaire un soir de 14 juillet : la banque a profité de l’amélioration des marchés ces trois mois tout autant que des émissions de titres (augmentations de capital) et de la multiplication des émissions obligataires (émanant pour les plus importantes d’entre elles des autres banques concurrentes… mais l’argent n’a pas d’odeur).

** Alors que de nombreux courtiers et hedge funds ont disparu de la circulation ces six derniers mois, Goldman Sachs se frotte les mains. Son activité "courtage" représente la quasi-totalité du produit net bancaire, au prix d’une hausse de 93% sur un an et de 51% par rapport au premier trimestre 2009.

La banque d’investissement (fusions acquisitions, prises de participations) voit ses revenus chuter de 15% sur un an… Mais attention, accrochez-vous bien, l’activité est ressortie en hausse de 75% ces trois derniers mois.

Osez encore prétendre après cela que les milliards prêtés par le contribuable n’ont pas été investis avec un réel souci de rentabilité. Mais au fait… ces 10 milliards de dollars restitués au TARP par anticipation ne coïncident-ils pas avec les revenus trimestriels de 10,8 milliards générés par la branche "courtage" ?

Comptablement, il n’y a aucun lien de cause à effet, et nous serions mal avisé de prétendre le contraire. Cependant, il n’est pas interdit de se demander quelle aurait été la marge de manoeuvre de Goldman sans l’argent du contribuable lors du retournement des marchés à la mi-mars. Sans une force de frappe financière immédiatement disponible et mobilisable au bon moment, les traders de la banque la plus influente des Etats-Unis auraient été contraints de regarder le train passer comme beaucoup de leurs collègues des banques généralistes — celles qui prêtent de l’argent aux acteurs de l’économie réelle.

** Quoi qu’il en soit, si le mois de juillet 2009 présente déjà de nombreuses similitudes avec juillet 2008, la séance du 14 n’aura pas été marquée par la culmination du cours du pétrole (comme l’an passé), ni par une forte volatilité des devises.

Faute d’éléments perturbateurs, les places européennes affichaient des scores qui semblent témoigner d’une confiance revenue à de meilleurs niveaux après une semaine de lourde correction — les indices perdant en moyenne 4% et jusqu’à 4,6% à Paris.

La séance de mardi s’est conclue par une hausse générale apparemment solide. Il ne faut pourtant pas oublier que les marchés d’actions ont connu un passage à vide en fin d’après-midi, dans le sillage d’un Dow Jones qui perdait alors 0,5% : à 45 minutes de la clôture, l’Euro-Stoxx 50 ne gagnait plus que 0,2%.

Le même phénomène aurait pu se répéter dans la soirée alors que le Dow Jones reperdait 0,3% à moins de deux heures de la clôture… mais l’indice phare est parvenu à inverser une nouvelle fois la vapeur pour grappiller 0,33% au final. Le Nasdaq, pénalisé par la chute de 8,1% de Dell, est cependant parvenu à terminer positif de 0,36%.

A Paris, les rachats à bon compte l’ont finalement emporté. Le CAC 40 affiche un score plutôt flatteur de +0,98% ; cela entretient l’illusion d’une fermeté qui était loin de caractériser les échanges qui se sont déroulés après 14h. Les célébrations du 14 juillet n’ont pas affecté l’évolution du marché parisien —  les volumes ont même été moins étroits que lundi avec 1,8 milliard d’euros échangés.

Le CAC 40 a culminé sous les 3 093 points (+1,3%) peu avant la publication des résultats de Goldman Sachs. Le repli s’est rapidement accéléré malgré une hausse de 0,6% des ventes de détail aux Etats-Unis (contre +0,5% attendu). Les prix à la production ont augmenté de 1,8% (après +0,2% en mai) et de 0,5% en excluant les prix alimentaires et de l’énergie, ce qui éloigne pour un temps le scénario déflationniste.

En Europe, le moral des chefs d’entreprises allemands semble parti en vacances début juillet : l’indice ZEW a nettement fléchi après huit mois consécutifs de hausse. Il rechute de 5,3 points à 39,5 points, alors que les économistes tablaient en moyenne sur une nouvelle progression et un record annuel dans la zone des 48 points.

La Bourse de Francfort a néanmoins gagné 1,25%, ce qui a permis à l’Euro-Stoxx d’engranger 0,9% (dont 0,7% au cours des 45 dernières minutes de cotation). La volonté de maintenir le mouvement de rebond technique amorcé lundi sur de bons rails semble manifeste ; nous n’allons pas bouder cette opportunité de pouvoir reprendre des positions plus défensives dans d’excellentes conditions.

Le CAC 40 vient par exemple de reprendre 4% sur ses planchers inscrits lundi matin. Cela efface plus du tiers de la baisse mesurée depuis le 2 juin dernier… mais les optimistes prétendent que 50% des pertes pourraient être retracées. Nous avons un peu de mal à envisager un rebond du CAC 40 jusque vers 3 180 points, mais les 3 120 points nous paraissent encore accessibles… et nous ne tarderons pas à être fixés !

Philippe Béchade,
Paris

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