▪ Françoise Garteiser vous l’a rapporté dans sa Chronique du week-end, les Publications Agora ont réuni vendredi la fine fleur des rédacteurs de lettres d’investissement ainsi que l’équipe des chroniqueurs qui passent à la moulinette l’actualité économique et au krach-test les idées reçues au quotidien.
Les deux catégories se complètent admirablement. Les uns ont pour mission de vous faire gagner de l’argent, les seconds d’éviter de vous en faire perdre, en rappelant au passage qu’un mensonge répété 100 fois (par un banquier central ou un chef de gouvernement) ne devient pas pour autant une vérité… mais seulement une vérité officielle !
Chacun s’était vu attribuer un temps de parole confortable pour défendre son analyse et sa stratégie mais il est impossible de se montrer totalement exhaustif, c’est la force et la limite de l’exercice. Il impose de se concentrer sur les éléments les plus probants et de passer sous silence certains scénarios alternatifs qui ne présentent que des probabilités d’occurrence faible.
Mais cette année, un glissement s’opère. Sauf à réciter — le majeur sur la couture du pantalon, les yeux mi-clos — le couplet du permabull (retour de « l’appétit pour le risque », retour de la croissance au second semestre et +10% sur les indices boursiers en 2013), les rédacteurs rencontrent tous la même difficulté à délivrer des pronostics.
▪ Une bulle sans marché
Les banques centrales ont subverti les mécanismes de fixation de la valeur, aussi bien des produits obligataires (dettes d’Etat, emprunts corporate) que des actions. Il en résulte la restauration des conditions techniques propres à une bulle, mais avec une différence fondamentale qui rend toute prévision très hasardeuse. Il n’y a pas à proprement parler de psychologie à analyser, car il n’y a pas de marché.
Prenons le cas des Etats-Unis ou du Japon. Il y a un unique vendeur de dette — le Trésor américain ou japonais — et un unique acheteur, à savoir la Federal Reserve ou la Bank of Japan — qui agit soit en direct (la Fed ramasse 90% des emprunts à 30 ans émis par l’Etat), soit par le biais des banques commerciales auxquelles elle avance l’argent nécessaire.
Elles leur fournissent en fait des liquidités toutes fraîches via l’échange de dettes antérieures de qualité très incertaines et non cessibles sur les marchés en l’état.
En d’autres termes, il devient très difficile de déterminer le potentiel du marché actuel. En effet, que penser d’un marché qui a déjà pris 15% en 2012, non seulement à contrecourant de conditions économiques adverses mais également de perspectives qui ne sont pas plus engageantes pour 2013, grâce à de l’argent créé à partir de rien et par des banques qui n’ont aucune idée de la soutenabilité du processus et des conséquences ultimes de politiques monétaires complètement expérimentales (dignes d’apprentis sorciers).
Si les volumes d’échanges ne cessaient d’augmenter à mesure que les indices boursiers et les emprunts d’Etat se renchérissent, nous pourrions affirmer que les marchés affichent une foi inébranlable (peut-être un peu irrationnelle) dans l’infaillibilité de la Fed, de la Bank of Japan et dans une moindre mesure de la BCE… mais ce n’est pas le cas.
Les permabulls saluent abondamment l’habileté de la BCE — dont le verbe s’est avéré magique cet été mais qui de ce fait n’a pas encore eu l’occasion d’injecter un seul euro dans les circuits financiers depuis le 25 juillet dernier. Quand bien même l’Espagne l’appellerait au secours, cela ferait-il une différence puisque les 1 000 milliards d’euros des deux LTRO de fin 2011 et février 2012, destinés justement à encourager le rachat de dettes périphériques, n’ont pas percolé dans l’économie réelle ?
▪ Si la mécanique haussière se grippait ?
L’une des interrogations partagée par l’ensemble des rédacteurs est : quel pourrait être le catalyseur d’une poursuite de la hausse des marchés, en dehors des moyens mis en oeuvre par les banques centrales pour le soutenir artificiellement ?
Que se passerait-il si des difficultés économiques délibérément occultées depuis des mois — ou un grain de sable politique largement prévisible aux Etats-Unis — venait gripper la mécanique haussière ?
Face à tant d’inconnues et face à la peur que le système mis en place devienne incontrôlable, nous avons le sentiment que la seule stratégie poursuivie consiste à geler la situation.
C’est un peu comme si on nous projetait Autant en emporte le vent jusqu’au moment où la Guerre de Sécession éclate, mais grâce à la magie du DVD, on revenait aux premiers plans sur une campagne idyllique, faisant repartir le film à zéro… parce que le public déteste les histoires qui se terminent mal.
▪ Record de non-volatilité sur Wall Street
C’est ainsi que Wall Street a clôturé une fois de plus quasi inchangé, à l’issue d’une séance où les indices américains auront battu des record de non-volatilité. Le S&P 500 par exemple aura fluctué durant sept heures entre 1 468 et 1 472 points et le Nasdaq entre 3 114 et 3 126 points (0,3% d’amplitude entre les extrêmes du jour).
Jamais les lanières de la « camisole algorithmique » qui emprisonne les indices américains depuis 10 jours n’auront été resserrées de façon aussi compulsive.
C’est un peu comme un boa qui s’enroule autour de sa proie et qui contracte plus fortement ses anneaux chaque fois qu’elle tente de remuer une patte.
La semaine qui s’est achevée le 11 janvier a vu les indices américains et européens s’installer dans un corridor de fluctuation d’une étroitesse et d’une durabilité sans précédent.
Seul le Dow Jones semble avoir pris quelques libertés avec le mot d’ordre invitant les opérateurs à ne pas bouger le petit doigt. L’indice historique a tenté — vainement — de rallier les 13 500 points (s’arrêtant à 13 496,7) avant d’en terminer en hausse de 0,13% à 13 488 points.
Le Nasdaq grappillait 0,1% à 3 125 points malgré la spectaculaire chute du dollar, les exportatrices se montraient timides alors qu’elles avaient soutenu les indices en fin de parcours jeudi soir.
N’assistons-nous pas à une hausse en « trompe-l’oeil » à Wall Street ?
En dépit d’une succession apparente de séances positives depuis le 2 janvier, dont trois d’affilée depuis mercredi, le S&P 500 (0,00%) ne gagne que 0,35% cette semaine et le Dow 0,3%.
D’après une enquête de Merrill Lynch, les banques américaines ont enregistré le plus important afflux de liquidités (22 milliards de dollars) hebdomadaire depuis fin septembre 2007 dans la classe actions.
L’essentiel des investissements (13 milliards de dollars sur 22) se concentre sur les ETF et plus particulièrement les instruments offrant le meilleur effet de levier. Cela démontre la prédominance des stratégies spéculatives et tournées vers des allers-retours de court terme.
Tout cet argent est loin de transparaître dans les volumes quotidiens. Ces derniers demeurent dignes de la Trêve des Confiseurs avec seulement 2,48 milliards de titres échangés cette semaine sur le S&P (450 millions seulement ce vendredi) contre 2,3 milliards la semaine précédente (qui ne comptait pourtant que quatre séances).
Nous observons une succession de gains micrométriques sur fond d’optimisme hégémonique, avec 80% à 85% de gérants se déclarant haussiers et un rapport call/put de 4 contre 1.
Avec un VIX maintenu au contact du plancher historique des 13,5 vendredi, il s’agissait vendredi des conditions techniques les plus uniformément haussières observées depuis cinq ans et cinq mois, c’est-à-dire depuis les records absolus de l’été 2007 (sur le S&P 500). Qu’est-ce que les conditions actuelles et les perspectives économiques de 2013 ont de commun avec celles régnant à l’époque ?
Le seul point commun, c’est l’aveuglement militant des opérateurs en 2007 face aux premiers foyers de dislocation des subprime, aujourd’hui face aux signaux de dislocation économique et sociale de l’Europe qui succèdent au risque de dislocation de l’euro.