▪ Wall Street explose à la hausse. Tous les indices américains sans exception ont pulvérisé leurs records absolus jeudi soir. Le mois de juillet avait été en or massif, le mois d’août sera incrusté de diamants !
Le S&P 500 a grimpé de 1,26% à 1 707 points, le Nasdaq s’envole de 1,37% vers 3 676, le Dow Jones déborde les 15 650 points, le Russell 2000 bondit de 1,4% à 1 060, le Dow Transport se transforme en fusée : +3,3% à 6 675 points. Les valorisations atteignent des niveaux stratosphériques qui ridiculisent les records de l’automne 2007.
Beaucoup de commentateurs invoquaient jeudi soir le très bon ISM manufacturier aux Etats-Unis (il bondit de 50,9 à 55,3… c’est inespéré). Toutefois, les indices étaient déjà en « mode rally » bien avant sa publication à 16h.
Les marchés se réjouissaient depuis les premières lueurs de l’aube des chiffres publiés par la Chine. Le PMI y était ressorti en hausse inattendue à 50,3… alors qu’HSBC l’avait calculé à sa façon, et en baisse sous les 48. Les opérateurs ont quand même fait comme si c’étaient des statistiques d’une fiabilité helvétique.
Les marchés américains n’en peuvent plus d’exubérance et d’euphorie. Tout va « mieux que bien » (pour reprendre la célèbre expression de Jean-Marie Messier deux mois avant la faillite de Vivendi) ; c’est un nouvel âge d’or et les opérateurs ressortent ces vieilles études qui pronostiquaient un Dow Jones à 36 000 points à l’horizon 2018/2020.
Il ne faudra pas cinq ans à Wall Street pour prendre 133% de plus au rythme actuel… C’est l’affaire de 24 mois grand maximum : en septembre 2015 ce sera plié !
▪ Super-héros et algorithmes boursiers
Les traders ne touchent plus terre. N’importe quel brasseur d’argent qui agite les bras a la sensation qu’il peut voler… On croirait que Wall Street est tombé la tête la première dans un saladier rempli de cocaïne pure.
« Nous sommes invincibles, nous ne sentons plus ni le chaud ni le froid, ni la récession ni la hausse des taux, ni la faillite de Detroit ou de Cleveland ».
« Les flèches provenant de l’économie réelle nous traversent sans nous blesser… ou guère davantage que Wolverine, l’immortel au squelette en adamantium ».
Il y a d’ailleurs de quoi être assez surpris de la prolifération hollywoodienne de films de super-héros cette année : GI Joe, Iron Man, Pacific Rim, Superman, Wolverine… et on en oublie. Toutes ces productions sont le prétexte à des surenchères d’effets spéciaux. Plus Hollywood nous en met plein la vue… plus le scénario tient en deux lignes, comme une blague Carambar.
Le mot d’ordre est d’étourdir le spectateur d’images afin de lui éviter de penser. Bon, évidemment, il y a la concurrence des jeux vidéo où le monde virtuel a pris le virage de l’archi-spectaculaire, de l’hyper-violence et de l’hyper-réalisme… Il est difficile de faire moins dans le délire visuel sous peine d’être catalogué « film à deux balles » avec effets spéciaux pourris.
Mais est-ce que Wall Street ne procède pas de la même façon — en étourdissant les spectateurs de hausse et en les empêchant de réfléchir aux causes réelles et à la crédibilité du scénario boursier ? Un scénario qui semble pondu par des « geeks » dont la maîtrise des algorithmes et l’addiction aux hallucinogènes se substitue à toute culture économique sur fond d’anéantissement de leur sens des responsabilités.
La Fed leur a fourni un bulldozer pour traverser la ville avec un cap à tenir. S’il faut au passage écraser la maison de leur enfance, défoncer le bâtiment de la bibliothèque municipale, ravager le quartier commerçant, c’est pour une bonne cause… L’autoroute haussière doit passer coûte que coûte ; nous sommes au 21ème siècle, que diable, plus à l’époque où on lisait un journal avant de passer un ordre.
▪ Le temps, c’est de l’argent
Si nous en étions restés là, nous ne serions pas près d’atteindre un encours de 750 000 milliards de dollars sur les marchés dérivés.
Quoi, cela représente 15 fois le PIB de la planète ? Et alors, faut vivre avec son temps… et le temps c’est de l’argent. Avec 750 000 milliards de dollars, il y a énormément de « valeur temps » à encaisser !
Pour vendre de la « prime » — c’est-à-dire une assurance contre la désintégration de ce casino financier démentiel –, il faut de la couverture. Et cette couverture, c’est l’argent de la Fed qui la procure aux brasseurs d’argent. C’est pourquoi il est aussi vital d’avoir l’assurance qu’elle va continuer d’arroser les marchés. Pas question de tolérer, même en paroles, qu’elle réduise le QE3.
En ne fournissant strictement aucun indice sur ses intentions mercredi soir, la vacuité de son communiqué entretient par défaut la conviction qu’elle va poursuivre sa stratégie d’injections aussi loin que l’esprit puisse se projeter dans les domaines de l’inflation et de l’emploi.
La Fed a si bien su rassurer les marchés qu’après un mois de juillet record (90% de séances stables ou positives), le début du mois d’août s’apparente à une panique à la hausse. Tout grimpe, le pétrole (à 108 $ sur le WTI), l’or, les métaux industriels… et même le dollar (1,3225/euro).
Dans ce contexte, les analystes qui craignent de se faire déborder par une hausse des cours de bourse qu’ils osaient à peine concevoir (vu la conjoncture dégradée) multiplient soudain les révisions à la hausse de leurs objectifs de cours.
Il faut publier n’importe quoi pour soutenir le moral des troupes, entretenir la fièvre acheteuse. La surenchère prime sur la qualité de l’argumentation. Les chiffres d’affaires sont souvent en baisse, les marges souffrent… mais il va falloir payer plus cher, « le marché est comme ça ».
La seule faille dans leur raisonnement, c’est que si c’était un vrai marché, cela ne se passerait pas ainsi… Mais comme dans un jeu vidéo, nous avons affaire à un logiciel programmé pour singer de précédentes phase d’euphorie humaine. Cela alors qu’il n’y a plus personne pour passer un ordre ayant subi le filtre du sens critique qui gérait une forme d’équilibre entre prise de risque et appât du gain.
La connexion avec le réel ayant été abolie par la fausse monnaie, la psychologie ayant été remplacée par des algorithmes, l’éthique par le cynisme (cette hausse, c’est tout pourri, mais tant que ça dure, y’a qu’à se goinfrer sans se poser de questions)… il ne reste que la quête du profit par tous les moyens.
Nous disons bien… par tous les moyens — et c’est le lampiste Fabrice Tourre qui sert de paratonnerre ! Pendant ce temps-là, Goldman Sachs a manipulé sans vergogne les cours de l’aluminium durant deux ans.
Coût additionnel pour les citoyens de la planète : cinq milliards de dollars… et ce n’est qu’une peccadille en regard du coût de la manipulation du Libor et de l’Euribor.
Nombre de professionnels ayant gardé quelques « principes » pressentent qu’une faillite du système est en gestation. Il faut s’attendre à ce qu’elle soit à l’image de l’immoralité et l’avidité de ceux qui le contrôlent… c’est-à-dire radicale.