Alors que l’engouement autour du métal jaune atteint des sommets, la question qui se pose désormais est de savoir si la hausse peut encore se prolonger, ou si le moment est venu d’envisager un arbitrage.
La semaine dernière, les contrats à terme sur l’or ont dépassé les 4 000 $ par once à la Bourse de New York. Désormais, la prévision de Goldman Sachs qui voyait l’once de métal jaune atteindre les 5 000 $ dans les prochains mois ne semble plus aussi incroyable. Avec une trajectoire parabolique des prix (+54 % depuis le 1er janvier), une progression supplémentaire de 25 % semble tout à fait réaliste.
Même si les aficionados du métal jaune, dont nous sommes nombreux à faire partie aux Publications Agora, ne peuvent que se féliciter de voir leur thèse d’investissement se matérialiser, la violence du mouvement doit inciter à la prudence.
Depuis la fin de l’été, la presse économique se plaît à commenter les records qui tombent les uns après les autres. La presse généraliste lui emboîte le pas, et le grand public commence à se passionner pour la relique barbare. Preuve en est la fréquence des recherches sur Google portant sur le cours de l’or, qui est selon le moteur de recherche en train d’atteindre un plus haut historique.
Fréquence des recherches, en France, sur le cours de l’or via le moteur de recherche Google. Données : Alphabet
Cette démocratisation de l’intérêt pour l’or, autrefois une passion réservée aux banquiers centraux et à quelques économistes contrariens, est le carburant qui propulse la fusée des prix.
La question est désormais de savoir jusqu’où la hausse peut se prolonger, et à quel moment les gold bugs les plus endurcis considèreront que l’once de métal jaune vaut plus que sa valeur réelle.
Nous disposons, pour évaluer le juste prix de l’or, de deux indicateurs importants : la valeur de l’or en monnaie réelle (corrigée de l’inflation) et le cours du pétrole exprimé en or. Ces deux points de repère nous permettent de déterminer l’arrivée d’un moment de surchauffe dans sa valorisation.
Les deux sont formels : le prix de l’or est entré en territoire de bulle. Pour les investisseurs prudents qui aiment la tranquillité d’esprit, un arbitrage vers d’autres actifs tangibles commence à se justifier.
L’or historiquement cher par rapport à ses fondamentaux
La principale thèse qui justifie l’achat d’or est de se prémunir contre l’érosion de la valeur de la monnaie. La première fonction de l’or est de protéger les épargnants contre l’inflation et de garantir le pouvoir d’achat.
Le premier indicateur à surveiller est donc le prix de l’or exprimé en dollars constants, c’est-à-dire corrigé de l’inflation. En considérant que l’or est la monnaie ultime, sa fonction est de pouvoir acheter des biens et services à prix fixe. Sa valeur est d’ailleurs remarquablement stable exprimée en monnaie corrigée de l’inflation : en dollars de 2025, elle évolue généralement entre 400 $ et 2 000 $.
Depuis les années 1970, tout dépassement des 2 300 $ de 2025 conduisait à une correction. Mais depuis l’an dernier, le cours de l’or s’est arraché à la hausse et suit une trajectoire exponentielle. Son prix (+54 % sur un an) s’est donc décorrélé de sa mission de conservation du pouvoir d’achat (+3 % d’inflation à compenser dans les pays développés).
Evolution du cours de l’or, défalqué de l’inflation, depuis le début du XXe siècle. Infographie : MacroTrends
En termes monétaires, l’or est historiquement cher – plus cher qu’il n’a été depuis plus d’un siècle.
Il est également possible d’évaluer l’or sur des critères tangibles, comme la capacité à acheter d’autres matières premières. Cela permet de s’affranchir des effets des rotations sectorielles, et de toute considération monétaire. Pour ce faire, l’idéal est de comparer la « monnaie universelle » avec la « matière première universelle » : le pétrole.
Comme l’or, le pétrole est utilisé sur toute la planète. Il peut être déplacé, stocké, et mesuré dans son unité mondialement reconnue qui est le baril.
C’est ainsi que le ratio or/pétrole permet de jauger de la cherté relative des deux actifs. Historiquement, il s’établit autour de 18 et toute excursion au-dessus de 35 a été suivie d’une correction. La seule exception depuis la seconde guerre mondiale fut durant les premières semaines de la pandémie de COVID, durant lesquelles le prix du pétrole était à zéro et le ratio infini.
Aujourd’hui, le ratio dépasse les 64. Il est en hausse quasi-ininterrompue depuis un an et demi, et s’établit à près du double de ses résistances historiques. L’emballement haussier est indéniable, et matérialise une exubérance de marché typique d’une situation de bulle.
Evolution du ratio entre les prix spot de l’or et du pétrole WTI depuis la fin de la seconde guerre mondiale. En rouge, le niveau des 35 qui n’avait jamais été dépassé hors période de pandémie. Infographie : MacroTrends
Pour faire revenir le ratio autour des 18, il faudra que le prix de l’or soit divisé par trois, que le prix du pétrole triple… ou probablement un mélange des deux.
Un passage à l’acte difficile
Vendre son or est d’autant plus dur qu’il s’agit d’un investissement contrarien par excellence. Ceux qui sont aujourd’hui en plus-values à trois chiffres sur leur stock de métal jaune ont détenu cet actif contre vents et marées. Ils ont ignoré durant des années les modes boursières et ont conservé leur exposition à la relique barbare, malgré l’engouement pour les NFT, les crypto-monnaies et l’IA.
S’en séparer alors que la thèse d’investissement qui avait justifié son achat est désormais reconnue par l’ensemble du marché est un crève-cœur.
Mais comme pour tout actif, un investisseur doit toujours se demander, à chaque instant, quel est son juste prix. Il est évident qu’aujourd’hui, tout investisseur sain d’esprit achèterait de l’or à 1 $ l’once, et vendrait son or à 1 000 000 $ l’once. Ce sont des cours acheteurs et vendeurs évidents.
Une fois convaincu qu’il existe un seuil au-delà duquel l’or est trop cher, l’exercice de pensée doit être poursuivi pour déterminer quel est ce niveau. Chaque investisseur doit se demander, en son âme et conscience, à quel cours il vendrait son or en cette fin d’année, et s’y tenir – à défaut de quoi il ne vendra jamais et ne réalisera donc jamais de plus-value.
Le franchissement des 4 000 $ est une bonne occasion de se poser la question. Y répondre est d’autant plus simple qu’il n’est pas nécessaire de renier ses convictions : il existe d’autres matières premières, comme le pétrole, qui permettent d’être exposés aux actifs tangibles.
Et contrairement à l’or qui est aujourd’hui porté aux nues, elles sont actuellement mal-aimées.
Pour les investisseurs contrariens, c’est souvent le signe qu’il est temps de prendre de nouvelles décisions d’arbitrage impossible à partager dans les dîners mondains… mais qui préparent les gains des prochaines années.
