La Chronique Agora

La hausse du crédit à la consommation ne signifie pas ce que croit la Fed

▪ L’heure du bilan trimestriel approche — c’est dans moins de 24H désormais… Et Wall Street célèbre avec ravissement les séances de hausse qui s’enchaînent, comme un enfant naïf qui s’extasie devant les fanions multicolores qui sortent — tel un flot ininterrompu — de la manche du prestidigitateur… et qui éclate de rire quand le tout s’achève par le jet d’une grosse poignée de confettis (ou de dollars fraîchement imprimés par la Fed).

Après le grand classique de « la croissance coupée en deux » (le PIB américain est passé en trois mois de 3,2% à 1,6% en rythme annuel selon la Fed), voici maintenant une réédition du numéro du tapis volant : pour le faire décoller, il suffit de faire tomber dessus une « pluie magique » de mauvaises nouvelles conjoncturelles comme ce fut le cas lundi… et Wall Street s’envole.

Mais le public, lui aussi, s’est envolé vers d’autres cieux… Il a déjà vu et revu ces numéros dignes d’une kermesse de sous-préfecture, exécutés avec le même sens de l’improvisation qu’un fonctionnaire nord-coréen suivant un script rédigé par le ministère des « Grandes illusions ».

Les investisseurs particuliers ont déserté les marchés depuis l’automne 2011 ; les volumes ont fondu de 30% en 18 mois, alors que les cours ne cessent de monter. Plus surprenant encore : le Dow Jones valait 15% de moins début mars 2012 mais les volumes d’échanges quotidiens étaient 15% plus élevés. Même en supposant le simple maintien d’un nombre d’opération équivalent, les volumes quotidiens auraient dû croitre mécaniquement de 15% à 20%… mais rien à faire, ils continuent de fondre, même en y intégrant des échanges algorithmiques de plus en plus frénétiques.

▪ La Fed rase gratis
Une seule explication : plus les cours montent, plus le grand public supposé naïf (les fameux muppets que Goldman Sachs se targue manipuler à sa guise) se méfie.

Bien entendu, tout le monde a compris que la Fed tire les ficelles et les grands médias multiplient les efforts d’évangélisation : il n’existe pas d’autre placement possible que les actions et il est impossible de les voir perdre de la valeur dans un avenir prévisible.

La Fed rase gratis, super gros lot pour tous les participants, aucun perdant. Et pour achever de convaincre tout le monde, les sherpas de Wall Street multiplient les démonstrations de la puissance cybernétique de leurs robots manipulateurs d’indices.

Pour être bien certain que chacun comprenne bien que tout lien avec l’économie réelle a été aboli, les plus fortes hausses ont lieu les jours de mauvais chiffres économiques et les indices sont mis au repos forcé dès que les statistiques s’améliorent.

Une autre variante amusante consiste à faire évoluer le marché de façon similaire durant trois jours, avec de mauvaises nouvelles, puis de bonnes nouvelles… puis pas de nouvelles du tout (ceci n’est qu’un exemple, l’ordre des facteurs n’a aucune importance).

▪ Les marchés en orbite
Le Dow Jones a réédité avec une précision stupéfiante mercredi soir le scénario de mardi, engrangeant un gain de 0,04%. IBM a réalisé la meilleure performance du jour avec +0,8%, Alcoa la plus mauvaise avec -0,9% : aucun écart ne dépassant les 1% en valeur absolue.

On ne peut être que saisi d’admiration devant la perfection quasi-surnaturelle de la programmation algorithmique. Le pilotage des indices américains semble aussi précis que la mise en orbite d’un satellite par la NASA ou par l’Agence spatiale européenne (trajectoire parfaite, altitude géostationnaire programmée au mètre près et verrouillée par télémètre-laser).

C’était la neuvième séance de hausse consécutive pour le Dow Jones et le septième record historique de clôture d’affilée. Si tout se passe bien en cette veille de séance des « Quatre sorcières », les indices US devraient afficher une performance trimestrielle digne des plus belles années de croissance du PIB américain et de boom économique mondial (croissance globale de 5% grâce aux émergents).

Un basculement vers l’échéance avril avec des indices au plus haut serait le scénario idéal pour les haussiers… qui célèbrent chaque jour les quatre milliards de dollars frais injectés dans le système financier — un flot de billets de Monopoly qui garantit une hausse somnambulique de Wall Street.

Le Dow Transport s’envolait de 1,65% hier soir. Il pulvérise un nouveau record absolu à 6 238 points, ce qui porte son avance annuelle à 17,5%. Il explose ainsi de 27% depuis le 16 novembre 2012 : c’est l’un des gains les plus spectaculaires jamais réalisés en quatre mois depuis 1996 — et une performance absolument sans précédent pour une période de ralentissement de la croissance depuis sa création en… 1931.

▪ Que nous disent les statistiques du jour ?
Les indices américains avaient entamé la séance sur une note de lourdeur (-0,2%, c’était la répétition de l’entame de séance de mardi)… Mais les optimistes ont immédiatement parié que Wall Street saluerait la progression de 1,1% des ventes de détail — sachant que la moitié de cette hausse provient de la flambée de 5% des carburants qui appauvrit les Américains.

En outre, les prix à l’importation aux Etats-Unis ont augmenté de 1% d’un mois sur l’autre en février 2013, d’après le département du Travail. Alors que les économistes anticipaient une progression plus proche de 0,5%, les stocks sont ressortis trois fois plus importants que prévu (+1% contre +0,3% attendu).

Mais ceci est interprété comme un signe de confiance de la part des entreprises (elles se prépareraient à une hausse de la demande) et non comme le symptôme d’un moindre appétit de la part des consommateurs.

La demande de crédit à la consommation a également fait un bond en février. Les experts se sont empressés d’y voir un surgissement de l’envie de dépenser plus, de réaliser de gros achats… alors que la réalité, c’est que la baisse des salaires sur fond d’inflation réelle à 5% détruit le pouvoir d’achat des ménages, que les frais de scolarité explosent et que les dépenses de santé grimpent beaucoup plus vite que les subsides provenant de Medicare.

Tous les banquiers savent que la plupart de leurs clients ne parviennent plus à boucler leurs fins de mois. Pourtant, ils s’acharnent à les faire passer pour de nouveaux riches qui s’endettent pour s’offrir un cinq-étoiles à Hawaï avec voyage depuis New York en première classe.

Leur source d’inspiration est toute trouvée, c’était leur propre bon plan pour le jour de l’an… La seule variante, c’est qu’ils ont des dizaines de milliers de miles à écouler et que la chaîne d’hôtels leur appartient.

Vivre à crédit et payer plein pot, c’est une manie de pauvre… comme d’investir dans les actions quand elles sont au plus haut. Mais quelque chose a changé et qui leur échappe : les épargnants sont rincés par les trois krachs majeurs de 2001, 2007 et 2011. Les apprentis day traders ont été consciencieusement plumés jusqu’au croupion… et ce sont les 5% d’Américains les plus riches — dont une majorité de financiers — qui détiennent aujourd’hui (directement ou indirectement) 85% des actions.

A qui peuvent-ils espérer les revendre pour transformer leurs gains virtuels en profits réels ?

La Fed se trompe en leur versant presque directement quatre milliards de dollars supplémentaires par jour. Il faudrait au contraire les déposer sur des comptes d’épargne en action réservés à la classe moyenne.

Trop tard : elle est quasiment moribonde, évaporée comme la Mer d’Aral privée du débit des fleuves détournés en amont.

Tout comme Wall Street détourne depuis 10 ans les flux de liquidités destinés à l’économie réelle.

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