▪ L’économie japonaise est en crise, disions-nous hier. Voilà deux ans que le gouvernement Abe a entamé son programme de relance. Les salaires sont en fait plus bas aujourd’hui qu’ils ne l’étaient au départ. Et tout ça se passe sur fond de baisse de la main-d’oeuvre ; le bassin de main-d’oeuvre devrait chuter de 20% au cours des 25 prochaines années. Le but principal du programme de relance était d’augmenter le taux d’inflation au Japon. Mais on pourrait multiplier les 12 derniers mois d’augmentation des prix par neuf — on n’atteindrait toujours pas les 2% de cible gouvernementale.
Aux Etats-Unis aussi, l’inflation disparaît aussi rapidement que les bonnes manières. Sur les 12 derniers mois, les prix à la consommation ont stagné ou à peu près. Cela en dépit d’une augmentation de 400% des actifs de la Fed — qui constituent la base monétaire du pays — au cours des six dernières années. Si une telle quantité d’impression monétaire ne provoque pas une augmentation de l’IPC, comment y parvenir ? Nous y reviendrons.
Et si on ne peut pas compter sur l’inflation pour réduire les dettes mondiales, qu’en est-il de la déflation ? Les autorités la craignent, la détestent et tentent de l’empêcher par tous les moyens. Sauf que la déflation fonctionne. Elle fait baisser les ventes, les prix et l’emploi, forçant les emprunteurs à faire faillite. Leurs dettes ont ensuite perdu toute valeur.
Hélas, dans un monde de taux zéro, les peaux de bananes disparaissent des trottoirs. Il est presque impossible de faire faillite, de faire défaut ou de se casser la figure.
La lettre Grant’s Interest Rate Observer cite un exemple en particulier : Radio Shack. L’entreprise a perdu pied en 2007, déclare Grant. Le journal satirique The Onion s’est moqué de son directeur, Julian Day, en lui faisant dire la phrase suivante : "il doit y avoir un business model qui permet à cette entreprise de gagner de l’argent, mais que je sois pendu si je sais lequel".
Pourtant, Radio Shack est resté en activité — empruntant toujours plus d’argent tandis que sa notation passait de BB- à D durant les huit années suivantes. Finalement, l’entreprise a mordu la poussière en février 2015.
Rien de tel que du crédit bon marché illimité pour faire en sorte que les roues continuent de tourner — lentement. En 2009, une année sombre pour les entreprises américaines, 60 837 entreprises se sont mises en faillite. En 2014, on n’en a enregistré que 26 983. Ce chiffre n’est pas étonnant par son importance, mais bien par sa petitesse. Quand on peut emprunter pour rien… ou presque… pourquoi se mettre en faillite ?
▪ Les limites du système
Bien entendu, toutes les entreprises n’ont pas un accès égal à l’argent gratuit. Les plus petites font faillite. Les grosses restent en activité. L’économie reste en vie, mais sous respirateur.
Il y a une grande limite à ce système, toutefois : à mesure que le ralentissement empire, les prix chutent et les taux réels grimpent. C’est-à-dire que les autorités ont beau prêter à taux zéro, si les prix chutent, le taux d’emprunt effectif et réel peut grimper.
Jusqu’à présent, on partait du principe que les taux ne pouvaient pas passer sous le zéro. Les gens ne paieraient pas pour le privilège de détenir de l’argent en banque ou en obligations ; ils prendraient simplement leur cash et le mettraient à l’abri.
Mais partout dans le monde, les gouvernements centraux ont commencé une "guerre contre le cash", destinée à contraindre les gens à utiliser le crédit, plutôt que du liquide. Les autorités peuvent surveiller, imposer et contrôler le crédit. Elles peuvent même vous forcer à payer pour le privilège d’en détenir.
La Banque centrale européenne et la Banque nationale suisse exigent déjà des déposants qu’ils paient pour le stockage de leur argent. Il y a quelques jours, JP Morgan Chase a commencé à demander à ses déposants des "frais d’utilisation" en l’échange du stockage de leur argent.
Les économistes défendent à présent l’idée de taxer le liquide ou même, comme Ken Rogoff, de le rendre illégal. En France, il est déjà illégal de payer en espèces des factures de plus de 1 000 euros. Aux Etats-Unis, de leur côté, les travailleurs du secteur financier — les guichetiers des banques, par exemple, doivent dénoncer les clients en remplissant des "dossiers d’activité suspicieuse" sur quiconque se présente avec ce qu’ils considèrent comme une somme inhabituellement élevée en liquide.
Pourquoi cette "guerre contre le cash" ? En partie pour vous contrôler. Et en partie pour contrôler l’économie. S’ils peuvent créer un monde où les taux d’intérêt nominaux sont négatifs, ils pourraient entretenir le flot de crédit qui coule vers leurs amis et les zombies, maintenant l’économie dans le coma pendant de nombreuses années.
Des entreprises qui devraient faire faillite auront accès au crédit. Les spéculateurs gagneront encore de l’argent. Les gouvernements continueront à imprimer de la monnaie et à se l’emprunter à eux-mêmes. Bien sûr, de temps en temps, les zombies jetteront quelques cailloux et bouteilles — mais ils obtiendront quand même leur cash et le système survivra.
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