La Chronique Agora

Gros tracas aux USA, grosse crise sur la Tamise…

** L’inertie haussière des quatre précédentes séances a permis aux indices américains d’afficher des gains symboliques une heure après la reprise des cotations, même si le scénario s’avère identique à celui observé en Europe en début de matinée. Wall Street pourrait bien terminer cette première séance du mois de décembre sur une consolidation de -0,5% à -0,7%, comme Paris.

Le moment semble opportun pour mettre en œuvre les dernières opérations de couverture des portefeuilles. Le moment est aussi idéal pour les ultimes verrouillages de gains dans le cadre des opérations d’habillages de bilans de fin d’année. Si le CAC 40 ne gagne que 1,5%, l’Eurofirst 80 engrange 7,5%, les valeurs allemandes 19%, et le Nasdaq 10%.

Compte tenu des anticipations de baisse de taux le 11 décembre, puis du plan de sauvetage du secteur du crédit immobilier concocté par la Maison-Blanche et Henry Paulson — ex-CEO de Goldman Sachs –, taillé sur mesure pour les grandes banques commerciales qui dominent les débats à Wall Street, un puissant rebond s’est déjà matérialisé dans le secteur des valeurs financières et immobilières du 27 au 30 novembre. Nous avons ainsi pu constater des écarts moyens voisins de 15% et supérieurs à 20% pour certains promoteurs et assureurs crédit.

Ce sursaut a provoqué un décalage de 5% des indices américains « en ligne droite ». Le Dow Jones s’est éloigné du récent support des 12 750 points qui coïncidait avec le zénith du 26 février dernier — date presque « officielle » de la découverte de la crise du subprime — qui entérinait, par la même occasion, le concept d’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis.

Des centaines de milliards de dollars se sont volatilisés, non seulement dans les comptes des banques, mais également dans la trésorerie des entreprises qui avaient opté pour des placements dynamiques. Pour les plus chanceuses, cela ne représente que du manque à gagner…

** Mais pour beaucoup d’autres, dont les actifs se retrouvent sinistrés ou gelés, cela va représenter un trou dans le budget et risque de plomber les comptes en fin d’année. D’où la tentation de tirer sur les lignes de crédit négociées avant la crise, à des taux beaucoup plus avantageux que ceux qui se négocient aujourd’hui sur le marché interbancaire.

Et c’est un nouveau péril pour les banques à cours de capitaux propres. Elles ont senti venir le coup, rassurez-vous, c’était réglé comme du papier à musique ! Mais leur salut dépend moins à présent de la générosité de la Fed — qui inonde les marchés d’argent frais — que de la bonne volonté de leurs clients, priés de ne pas se montrer trop gourmands en liquidités, au risque de faire capoter tout le système.

Les banques britanniques lancent même un cri d’alarme, car elles redoutent de faire face à 4 ou 4,5 millions d’emprunteurs défaillants d’ici 2010. Si la norme en France, c’est une ponction à hauteur de 33% des revenus (au maximum), dans le cadre d’un emprunt immobilier, en Angleterre un ratio de 50% est jugé acceptable…

Et comme les autres types de remboursements (crédit à la consommation) ne sont pas pris en compte, les ménages se retrouvent endettés à hauteur de deux tiers, voire des trois quarts de leurs revenus et doivent se tourner vers les soupes populaires pour alimenter leur famille. Ce n’est malheureusement pas une image : le nombre des demandeurs explose cet automne.

** Aux Etats-Unis, les soupes populaires connaissent un succès sans précédent depuis le passage de l’ouragan Katrina. Le nombre de sinistres (et de faillites personnelles) auxquels les banques ont déjà dû faire face depuis 18 mois n’est rien en regard de ce qui se profile si les autorités de tutelle ne valident pas dans l’urgence un changement des règles du jeu.

Les banques américains évaluent à plus de deux millions le nombre des emprunteurs considérés comme à risques et incapables d’honorer les remboursements, en cas d’application des clauses de révision à la hausse de leurs mensualités.

Avec la chute des prix de l’immobilier, la saisie des maisons ou des appartements (95% en un an) ne permet plus aux établissements prêteurs de couvrir leurs frais. Et la situation se détériore à une vitesse jamais observée depuis 37 ans…

Si la moyenne nationale est de -13% dans le neuf, certains comtés de Californie, du Nevada, de Floride enregistrent des corrections de -30 à -40%. Le nombre des transactions s’effondre de 25% à l’échelle nationale, malgré des rabais massifs consentis par les constructeurs.

Le secrétaire au Trésor américain, Henry Paulson, pourrait annoncer des mesures sans précédent pour endiguer le raz de marée des défaillances (foreclosures) et notamment la possibilité pour les banques et des organismes comme Fannie Mae et Freddie Mac de restructurer les prêts subprimes à 30 ans. Le montant des remboursements pourrait être gelé et maintenu à un taux fixe extrêmement favorable durant trois années supplémentaires au-delà du délai initial. Mais le poids des mensualités aurait doublé ou triplé d’un coup, par le jeu de la réintégration du principal et d’un ajustement  à la hausse du taux d’intérêt.

Randall Kroszner, membre votant de la Fed, dans un récent discours prononcé à Philadelphie, estime à 450 000 par trimestre le nombre d’emprunteurs exposés à une augmentation drastique de leurs mensualités en 2008. Cela pourrait faire exploser le nombre de saisies en rythme annuel, lequel est actuellement estimé à 225 000 selon RealtyTrack.

** La crise du secteur immobilier voit son retentissement s’étendre jusqu’aux confins du cercle arctique, expliquions-nous hier. Mais sans aller aussi loin, le secteur manufacturier est profondément impacté aux Etats-Unis depuis la fin du premier semestre 2007.

L’enquête mensuelle de l’Institute for Supply Management (ISM) trahit une nouvelle baisse de l’indice avancé d’activité dans le secteur manufacturier, lequel est revenu à 50,8, après 50,9 au mois d’octobre… c’est le cinquième mois de repli consécutif.

Le CAC 40 a accusé le coup en fin d’après-midi, mais il s’est épargné une clôture au plus bas du jour et terminait un peu en deçà des 5 630 points, sur un repli de 0,72%, dans un volume soutenu (pour un lundi) de 5,9 milliards d’euros.

Les valeurs moyennes ont été largement épargnées par l’alourdissement de la tendance. Le SBF 80 ne s’est effrité que de 0,04%. Le CAC 40 a reculé dans le sillage des valeurs cycliques et bancaires, bien que les gérants soient généralement acheteurs en cette période de l’année, caractérisée par les opérations d’habillages des bilans.

** Francfort a cédé également du terrain (0,4%) mais les opérateurs vont pouvoir méditer sur la « grosse Kolère » du ministre allemand des Finances, Peter Steinbrück, qui a accordé vendredi une interview choc au Financial Times Deutschland puis au Financial Times britannique.

Il a déclaré en substance que « l’arrogance des managers des banques dont nous avons été témoin, partant du principe qu’ils sont plus malins que les autres, a fini par un désastre ». Et d’ajouter : « la crise a éclaté fin juillet, plusieurs mois se sont écoulés et ils ne savent toujours pas combien cela va leur coûter ».

Nous imaginons aisément que leurs collègues britanniques s’abstiendront de leur jeter la pierre car l’année 2008 s’annonce comme celle de tous les dangers. Cette situation ne va pas épargner le Premier ministre, Gordon Brown, dont le « laisser-faire » pourrait valoir à l’Angleterre une crise dont la faillite de Northern Rock ne constitue qu’un petit échantillon…

Philippe Béchade,
Paris

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