La Chronique Agora

Grèce : un naufrage annoncé pour la Zone euro ?

▪ Les journées de cauchemar de la première décade du mois d’août puis des 18 et 19 août n’ont manifestement pas servi de leçon aux sherpas de l’économie occidentale. Les marchés redoutaient de nouveau les plus sombres scénarios depuis vendredi dernier (récession aux Etats-Unis, Grèce en perdition…). Christine Lagarde les conforte dans la conviction que le pire est à redouter puisque les banques européennes ne sont à son avis pas suffisamment capitalisées — c’est sa deuxième sortie à ce sujet en à peine quatre jours.

Curieusement, quelques jours avant qu’elle ne coiffe la casquette de patronne du FMI, elle jurait le contraire dans les médias tricolores. Elle affirmait alors que les banques françaises étaient des modèles de solidité financière et n’avaient nul besoin de renforcer leurs fonds propres.

Que se passerait-il si un caprice du destin la transplantait soudain à la présidence d’une organisation internationale défendant les revendications des pays émergents à l’OMC ?

Elle ne tarderait peut-être pas à dénoncer le rôle nuisible du FMI lorsqu’il prétend redresser la situation des pays en délicatesse avec leurs créanciers… sa fâcheuse tendance à protéger les intérêts de son principal bailleur de fonds (les Etats-Unis)… et sa myopie en matière de dérive du système bancaire occidental alors qu’il ne pardonne rien, par exemple, à celui de l’Argentine qui s’est pourtant pliée en vain à toutes ses exigences à la fin des années 90.

▪ Et comme si le soupçon que nos banques manqueraient de fonds propres en cas de défaut de la Grèce ne suffisait pas, J.-C. Trichet et Mario Draghi affirment qu’il y a urgence à mettre en oeuvre le plan de soutien mis sur pied fin juillet en faveur d’Athènes.

Mais les paramètres ont radicalement changé en l’espace de cinq semaines : récession plus sévère que prévue, expansion de la dette hors de contrôle… Désormais, même les plus fidèles zélateurs de la BCE ne croient pas un instant qu’une nouvelle injection de 100 milliards d’euros suffirait à tirer la Grèce de la crevasse (voir notre Chronique de vendredi) puis à la remettre dans le droit chemin de l’équilibre budgétaire.

Les partisans de la solution radicale consistant à « couper la corde » (Allemagne, Finlande, Pologne) n’hésitent plus à exprimer leur point de vue sans prendre de gants. Cela d’autant plus que la City et Wall Street jugent leur prise de position pertinente.

Ce sont les mêmes qui ont jugé tout aussi pertinent d’engloutir des sommes abyssales — à côté desquelles le sauvetage de la Grèce représente une bagatelle — pour sauver un système bancaire américain moribond (et qui le demeure) au lieu de le nationaliser pour arrêter les frais.

Ce qui vaut pour AIG et une poignée de spéculateurs irresponsables d’un bureau londonien ne s’applique pas à la Grèce. Elle représente pourtant quelques millions d’habitants et un patrimoine culturel dont se réclament tous les défenseurs de la démocratie.

Si la Grèce devait toucher des royalties sur les révolutions aux noms de fleurs qui se multiplient dans un rayon de 2 000 kilomètres par rapport à Athènes (et qui concerne plus d’une centaine de millions de personnes victimes de décennies de dictature), elle serait riche !

Mais il ne servirait à rien de lui verser de l’argent dans les conditions actuelles : son système économique et fiscal est lui aussi sur le point de rendre l’âme. De l’avis général, il n’a aucun avenir, à moins de recourir à des solutions… révolutionnaires.

La Grèce demeure donc l’épicentre de tous les périls qui menacent la Zone euro. Ni la BCE, ni Bruxelles n’ont donné le moindre motif de penser que le pire pourrait être évité : bien au contraire, tout ce qui a été dit ce week-end n’a fait que jeter de l’huile sur le feu.

Comment ne pas accorder un certain crédit au diagnostic de traders londoniens ce lundi : « la Zone euro nous tend le bâton pour se faire battre ».

▪ Du coup, ce qui était à craindre — à défaut d’apparaître inévitable — s’est produit ce lundi : un mini-krach sur les indices paneuropéens et la pire clôture de l’année pour l’Euro-Stoxx 50 (-5,1%). Quant au CAC 40, il s’est inscrit sous les 3 000 points en clôture : tout un symbole ! Il rechute de 7,3% en deux séances. Cela s’apparente à une des deux séquences de capitulation déjà survenues vers le 10 puis le 19 août dernier, pour des causes identiques.

Wall Street était clos hier mais les futures indiquaient un repli potentiel de 2,5% à la reprise des cotations ce mardi. Un écart de -3% a même été observé en milieu d’après-midi, ce qui laisse craindre un phénomène de contagion sur les marchés américains.

Pour toucher du doigt à quel point les opérateurs fuient par tous les moyens les placements en actions jugés trop risqués, il suffit de jeter un oeil sur le rendement du Bund allemand. Il est tombé à un plus bas historique à 1,9%, bien en-deçà de ses niveaux de crise de l’automne 2008, en plein cataclysme boursier.

Les places européennes affichent de nouveau 24,5% de baisse depuis le 1er janvier tandis que le Dow Jones ne perd que 3% (et potentiellement -5%). Le Nasdaq affiche au pire -6,5% — le Nasdaq 100 ne cédait que 2,5% en clôture vendredi.

▪ Il ne va pas être facile de restaurer un semblant de confiance sur nos marchés : Standard & Poor’s a prévenu que si l’Europe mettait en place des Euro-obligations, elles seraient assorties d’une notation lamentable de type junk bond… Cela rend leur création quasiment inutile et la faillite de la Grèce plus que probable.

Si la Grèce, lâchée par l’Europe, fait défaut dans les prochains jours, comme beaucoup d’opérateurs le redoutent, la décote sur sa dette pourrait dépasser -50%. Cela impliquerait des provisions que de nombreux créanciers (banques et assurances principalement) n’ont pas encore constituées. Mais compte tenu du fait que la plupart des banques se payent désormais moins d’une fois leur valeur d’actifs, il est logique d’estimer que le pire est en grande partie dans les cours.

▪ Dans l’océan de noirceur au sein duquel sombrent les marchés, est-il encore possible de discerner une lueur d’espoir en recourant à l’éclairage de l’analyse technique ?

Prenons le CAC 40. Une ouverture sur un gap de -50 points, ce n’est pas monnaie courante : le dernier d’une telle ampleur remonte au 15 mars — c’est-à-dire l’explosion façon Tchernobyl de la centrale de Fukushima. Le gap de rupture du 2 août, qui a marqué le déclenchement de la récente débâcle jusque sur 2 890 points, ne représentait pas plus de quatre points (sous les 3 522 points).

Un CAC 40 qui s’effondre de 300 points en 48 heures (et de pratiquement -5,4% au plus bas du jour à 2 977), c’est également un scénario exceptionnel. Il constitue toutefois une réédition des séances noires des 10 puis 18 et 19 août, comme nous l’avons déjà évoqué.

A ce stade, soit le CAC 40 matérialise un triple creux sur 3 000 (à une poignée de points près) et s’en va retracer les 3 500… soit les marchés capitulent et le retracement des 2 891 points serait l’hypothèse la plus optimiste, avec un fort risque d’aller chercher un support vers 2 700, en vertu de la règle du balancier (sortie du flag 3 000/3 290).

Si un tel scénario survenait, les dégâts ne seraient pas seulement d’ordre financiers mais politiques : plus que la valeur des portefeuilles boursiers et des plans d’épargne retraite, c’est bien l’avenir de la plupart des dirigeants occidentaux qui serait « à risque ».

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